N°19 - Mars/Avril 2023 (Questions prioritaires de constitutionnalité)

Lettre de la chambre sociale

Une sélection des arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation (Contrat de travail à durée déterminée / Durée du travail / Rupture du contrat de travail / Libertés fondamentales / Représentation du personnel / Statuts particuliers / Action en justice / QPC).

  • Travail
  • contrat de travail à durée déterminée
  • contrat de travail, rupture
  • preuve
  • durée et temps de travail (astreintes/travail effectif/repos hebdomadaire...)
  • licenciement pour motif économique
  • harcèlement
  • représentation des salariés
  • salariés à statut particulier (artistes, assistantes maternelles, employés de maison, journalistes, gérants non salariés, dockers...)
  • action en justice

Lettre de la chambre sociale

N°19 - Mars/Avril 2023 (Questions prioritaires de constitutionnalité)

QPC auxquelles la cour a répondu

Cass., soc., 20 avril 2023, pourvoi n° 23-40.003, non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Questions :

« L'application de l'article L. 2132-3 du code du travail, dans la portée effective que lui confère l'arrêt de la Cour de cassation du 6 juillet 2022 (n° 21-15.189) est-elle conforme à la liberté syndicale, à la liberté pour tout travailleur de participer à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises et au principe de responsabilité, tels que définis, protégés et garantis par l'alinéa 6 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? »

 

Réponse de la Cour de cassation :

La disposition contestée est applicable au litige, qui concerne l'action engagée par le syndicat en se prévalant de l'intérêt collectif de la profession pour demander d'enjoindre à la société de régulariser sous forme monétaire des droits personnels des salariés que l'employeur n'aurait pas respectés.

Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.

D'abord, la disposition contestée, telle qu'interprétée de façon constante par la Cour de cassation (en dernier lieu : Soc., 6 juillet 2022, pourvoi n° 21-15.189, publié), dont il résulte que, si un syndicat peut agir en justice pour contraindre un employeur à mettre fin à un dispositif irrégulier, au regard des articles 2 et 4 de l'ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020, de prise des jours de repos acquis au titre de la réduction du temps de travail ou d'une convention de forfait ou résultant de l'utilisation de droits affectés à un compte épargne-temps, sa demande tendant à obtenir que les salariés concernés soient rétablis dans leurs droits, ce qui implique de déterminer, pour chacun d'entre eux, le nombre exact de jours de repos que l'employeur a utilisés au titre des mesures dérogatoires, qui n'a pas pour objet la défense de l'intérêt collectif de la profession, n'est pas recevable, ne porte pas atteinte à la liberté syndicale consacrée par l'alinéa 6 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ni à l'alinéa 8 du même Préambule sur le droit à la participation de tout travailleur à la détermination collective des conditions de travail, dont elle concilie l'exercice avec le respect de la liberté personnelle des salariés et de leur droit d'agir en justice, lesquels ont valeur constitutionnelle.

En effet, le Conseil constitutionnel a jugé (Décision n° 89-257 DC du 25 juillet 1989, Loi modifiant le code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion), que les modalités de mise en œuvre des prérogatives reconnues aux organisations syndicales doivent respecter la liberté personnelle du salarié qui, comme la liberté syndicale, a valeur constitutionnelle et que, s'il est loisible au législateur de permettre à des organisations syndicales représentatives d'introduire une action en justice à l'effet non seulement d'intervenir spontanément dans la défense d'un salarié mais aussi de promouvoir à travers un cas individuel, une action collective, c'est à la condition que l'intéressé ait été mis à même de donner son assentiment en pleine connaissance de cause et qu'il puisse conserver la liberté de conduire personnellement la défense de ses intérêts et de mettre un terme à cette action.

Ensuite, la disposition contestée ne méconnaît pas le principe de responsabilité découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dès lors que les salariés concernés peuvent agir individuellement pour obtenir réparation et qu'il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation (Soc., 25 septembre 2013, pourvoi n° 11-27.693, 11-27.694, Bull. 2013, V, n° 206) que le délai de prescription de l'action en paiement de créances salariales ne commence à courir qu'à compter de l'issue de la procédure engagée par un syndicat devant la juridiction civile ayant mis les salariés en mesure de connaître le statut collectif applicable.

En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

 

Cass., soc., 7 juin 2023, pourvoi n° 22-22.920, non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Première question :

« L'article L. 1134-5, 1°, du code du travail méconnait-il le droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu’il prévoit un délai de prescription de l’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination relativement bref de cinq ans, sans prévoir de garanties suffisantes entourant le droit au recours, qui permettraient de le rendre effectif ? »

« L'article L. 1134-5, 1°, du code du travail, méconnait-il le principe de non-discrimination dans le travail, garanti par l'alinéa 5 du préambule de la Constitution de 1946, qui implique que les règles relatives à la prescription de l’action d’un salarié en réparation du préjudice résultant d’une discrimination soient entourées des garanties nécessaires afin qu’il soit effectivement protégé et indemnisé, en ce qu’il prévoit un délai de prescription de l’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination relativement bref de cinq ans, sans prévoir de garanties suffisantes entourant le droit au recours, qui permettraient de rendre effective la protection des salariés contre le principe de non-discrimination ? »

 

Deuxième question :

« L'article L. 1134-5, 1°, du code du travail, tel qu'il est interprété par la jurisprudence constante de la Chambre sociale de la Cour de cassation, méconnait-il le droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'il a pour conséquence de fixer le point de départ du délai de prescription de l’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination continue tout au long de la carrière, à la rupture du contrat de travail et en ce qu’il exclut ainsi toute effectivité du recours en réparation de la discrimination subie en cas de révélation de celle-ci dans toute son étendue postérieurement au délai de cinq ans à compter de la rupture du contrat de travail?»

« L'article L. 1134-5, 1°, du code du travail, tel qu'il est interprété par la jurisprudence constante de la Chambre sociale de la Cour de cassation méconnait-il le principe de non-discrimination dans le travail, garanti par l'alinéa 5 du préambule de la Constitution de 1946, qui implique que les règles relatives à la prescription de l’action d’un salarié en réparation d’une discrimination soient entourées des garanties nécessaires afin qu’il soit effectivement protégé et indemnisé, en ce qu'il a pour conséquence de fixer le point de départ du délai de prescription de l’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination continue tout au long de la carrière, à la rupture du contrat de travail, dès lors que le salarié a eu antérieurement connaissance d’une différence de statut, et en ce qu’il exclut ainsi toute réparation effective de la discrimination subie en cas de révélation de celle-ci dans son existence et toute son étendue postérieurement au délai de cinq ans à compter de la rupture du contrat de travail ? »

 

Troisième question :

« L'article L. 1134-5, 1°, du code du travail, tel qu'il est interprété par la jurisprudence constante de la Chambre sociale de la Cour de cassation, méconnait-il le droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'il a pour conséquence de fixer le point de départ du délai de prescription de l’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination continue dans les droits à la retraite au moment où le salarié se trouve en droit de prétendre à la liquidation de ses droits à pension et en ce qu’il exclut ainsi toute effectivité du recours en réparation de la discrimination subie en cas de révélation de celle-ci dans toute son étendue postérieurement au délai de cinq ans à compter du moment où il s’est trouvé en droit de prétendre à la liquidation de ses droits à pension ?»

« L'article L. 1134-5, 1°, du code du travail, tel qu'il est interprété par la jurisprudence constante de la Chambre sociale de la Cour de cassation méconnait-il le principe de non-discrimination dans le travail, garanti par l'alinéa 5 du préambule de la Constitution de 1946, qui implique que les règles relatives à la prescription de l’action d’un salarié en réparation d’une discrimination soient entourées des garanties nécessaires afin qu’il soit effectivement protégé et indemnisé, en ce qu'il a pour conséquence de fixer le point de départ du délai de prescription de l’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination continue dans les droits à la retraite au moment où le salarié se trouve en droit de prétendre à la liquidation de ses droits à pension, dès lors que le salarié a eu antérieurement connaissance d’une différence de régime de retraite, et en ce qu’il exclut ainsi toute réparation effective de la discrimination subie en cas de révélation de celle-ci dans son existence et toute son étendue postérieurement au délai de cinq ans à compter du moment où il s’est trouvé en droit de prétendre à la liquidation de ses droits à pension ? »

 

Réponse de la Cour de cassation :

Examen de la recevabilité des deuxième et troisième questions prioritaires de constitutionnalité

Tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative, sous la réserve que cette jurisprudence ait été soumise à la juridiction suprême compétente.

Cependant, il n'existe pas, en l'état, de jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle l'article L. 1134-5, alinéa 1, du code du travail, serait interprété en ce qu'il aurait pour conséquence de fixer, dans tous les cas, le point de départ du délai de prescription de l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination continue tout au long de la carrière à date de la rupture du contrat de travail et celui du délai de prescription de l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination continue dans les droits à la retraite au moment où le salarié se trouve en droit de prétendre à la liquidation de ses droits à pension, les décisions invoquées (Soc. 29 mai 2019, n° 18-20018 ; Soc. 29 mai 2019, n° 18-14491) s'étant bornées à approuver les motifs par lesquels la cour d'appel a, aux cas d'espèce, retenu ces deux dates comme constituant la date de la révélation de la discrimination au sens de l'article L. 1134-5, alinéa 1, du code du travail.

En conséquence, les deuxième et troisième questions prioritaires de constitutionnalité ne sont pas recevables.

 

Examen de la première question prioritaire de constitutionnalité

La disposition contestée est applicable au litige, qui concerne des demandes de réparation au titre d'une discrimination en raison de la nationalité en matière de déroulement de carrière et de retraite.

Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux. En effet, l'article L. 1134-5, alinéa 1, du code du travail, en établissant un délai de prescription de cinq ans en matière de discrimination, ne déroge pas au délai de prescription de droit commun fixé à la même durée par l'article 2224 du code civil et il ressort d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation (Soc., 31 mars 2021, pourvoi n° 19-22.557, publié ; Soc., 18 mai 2022, pourvoi n° 21-11.870 ; Soc., 19 octobre 2022, pourvoi n° 21-21.309) que, quand bien même le salarié fait état d'une discrimination ayant commencé lors d'une période atteinte par la prescription, l'action n'est pas prescrite dès lors que cette discrimination s'est poursuivie tout au long de la carrière en termes d'évolution professionnelle, tant salariale que personnelle, ce dont il résulte que le salarié se fonde sur des faits qui n'ont pas cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription, de sorte que le principe de non-discrimination à raison de la nationalité découlant de l'alinéa 5 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne sont pas méconnus.

En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

 

Cass., soc., 21 juin 2023, pourvoi n° 23-40.007, irrecevabilité

Question :

« La jurisprudence constante depuis 2014 de la chambre criminelle et de la chambre sociale de la Cour de cassation, retenant une interprétation de l’article L. 3122-1 (ancien article L. 3122-32) du code du travail, qui interdit de facto le recours au travail de nuit aux entreprises du secteur de la distribution et du commerce alimentaire s’agissant de l’ouverture au public de nuit, est-elle conforme à la liberté d’entreprendre qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? »

 

Réponse de la Cour de cassation :

L’article L. 3122-1 du code du travail est applicable au litige, qui concerne la validité d’un accord collectif relatif au travail de nuit dans des sociétés exerçant l’activité de commerce alimentaire souhaitant ouvrir au public la nuit.

L’article L. 3122-32 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, devenu l’article L. 3122-1 du même code après cette loi, a été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif de la décision n° 2014-373 QPC du 4 avril 2014 rendue par le Conseil constitutionnel.

Depuis cette décision, aucun changement de circonstances de droit n’est intervenu dans la mesure où les arrêts de la Cour de cassation (Crim., 2 septembre 2014, pourvoi n° 13-83.304 ; Soc., 24 septembre 2014, pourvoi n° 13-24.851, Bull. 2014, V, n° 205 ; Crim., 4 septembre 2018, pourvoi n° 17-83.674 ; Crim., 7 janvier 2020, pourvoi n° 18-83.074, publié ; Crim., 10 mars 2020, pourvoi n° 18-85.832 ; Soc., 30 septembre 2020, pourvoi n° 18-24.130) n’ont fait que tirer les conséquences s’inférant des limitations encadrant le recours au travail de nuit.

Sous le couvert de critiquer l’interprétation de l’article L. 3122-1 (ancien article L. 3122-1) donnée par la Cour, la question posée se borne à contester ces arrêts.

Il s’ensuit que la question prioritaire de constitutionnalité est irrecevable.

QPC en cours

  • Pourvoi n° 22-24.712

 

Question :

« 1°) Les articles 12 et 14, II de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021, prévoyant la suspension du contrat de travail pour certains salariés refusant de se soumettre à l'obligation vaccinale contre la Covid-19, portent-ils atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, notamment au principe de protection de la santé garanti par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 dès lors qu’ils imposent une vaccination avec des produits qui ne sont qu’en phase d’expérimentation et dont l’absence de dangerosité n’est pas établie et au principe d’égalité devant la loi garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en ce qu’ils ne prévoient une obligation de vaccination que pour certaines personnes alors que les vaccins ne permettent pas de stopper la transmission du virus de la Covid 19 ?

2°) L’article 14 II de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 porte-t-il atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, notamment au principe à valeur constitutionnelle du droit au travail et de l’interdiction de léser un travailleur dans son emploi en raison de ses opinions garanti par le 19 cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 dès lors qu’il impose la suspension du contrat de travail tant que le salarié ne sera pas vaccinée ainsi qu’au principe selon lequel tout être humain dans l’incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence garanti par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 dès lors qu’il ne prévoit pas de régime d'indemnisation des salariés dont le contrat est suspendu par l’employeur ?

3°) L’article 14 II de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 porte-t-il atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, notamment au principe des droits de la défense garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dès lors que la suspension du contrat de travail n’étant précédée d’aucune procédure, elle ne permet pas à l’intéressé de bénéficier de tels droits ? »

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.