N°19 - Mars/Avril 2023 (Action en justice)

Lettre de la chambre sociale

Une sélection des arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation (Contrat de travail à durée déterminée / Durée du travail / Rupture du contrat de travail / Libertés fondamentales / Représentation du personnel / Statuts particuliers / Action en justice / QPC).

  • Travail
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  • durée et temps de travail (astreintes/travail effectif/repos hebdomadaire...)
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  • salariés à statut particulier (artistes, assistantes maternelles, employés de maison, journalistes, gérants non salariés, dockers...)
  • action en justice

Lettre de la chambre sociale

N°19 - Mars/Avril 2023 (Action en justice)

Droit à la preuve de l’employeur et procès équitable : cas de l’utilisation d’un procès-verbal de police illicite

Soc., 8 mars 2023, pourvoi n° 20-21.848, FS-B

Sommaire :

Il appartient à la partie qui produit une preuve illicite de soutenir, en substance, que son irrecevabilité porterait atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble. Le juge doit alors apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Doit en conséquence être approuvé l'arrêt qui déclare irrecevable une preuve jugée illicite, sans qu'il puisse être reproché à la cour d'appel de n'avoir pas vérifié si le rejet de cette preuve ne portait pas atteinte au caractère équitable de la procédure, dès lors que l'employeur n'avait pas invoqué, devant elle, son droit à la preuve.

 

Commentaire :

Dans cette affaire, un salarié conducteur de bus avait été licencié pour faute grave. Son employeur se prévalait à titre de seule preuve d’un procès-verbal de police, dressé après que le salarié avait lui-même déposé plainte pour vol de tickets de bus, par les enquêteurs qui en visionnant les enregistrements des caméras de vidéo-protection qui équipaient le bus avaient relevé des infractions au code de la route contre celui-ci. Ils avaient remis une copie de ce procès-verbal à l’employeur dans le cadre informel des relations que celui-ci entretenait pour les besoins de son activité avec les autorités de police.

La Cour de cassation se prononce sur l’office du juge, en réponse à la première branche, qui fait grief à l’arrêt de déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse du seul fait de l’utilisation d’un procès-verbal de police illicite, sans avoir constaté d’atteinte disproportionnée aux droits du salarié.

La décision s’inspire d'arrêts rendus par la chambre commerciale le 21 novembre 2021 (Com, 21 novembre 2021, n°20-14.669 et Com, 21 novembre 2021,20-14.670) et précise que c’est aux parties qu’il appartient d’invoquer en substance (au sens de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, c’est-à-dire invoquer un droit équivalent à celui garanti par la Convention) que le rejet de la preuve illicite pouvait porter atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble. Or dans cette affaire, cette recherche n’était pas demandée au juge, qui n’avait donc pas à relever d’office le droit à la preuve de l’employeur en mettant en balance les intérêts en cause.

Cet arrêt offre également une illustration d’une preuve illicite, malgré l’absence de stratagème de la part de l’employeur pour l’obtenir. En effet, le procès-verbal de police a été obtenu en violation du secret de l'enquête pénale à laquelle l’employeur était tiers et contrairement aux engagements pris par ce dernier dans une charte, dans laquelle il s'était interdit de faire usage dans un cadre disciplinaire, contre les salariés, des enregistrements issus du système de vidéo protection installé dans les bus.

L’arrêt est cité dans le podcast « La Sociale, le Mag’ » n° 16, avril 2023, Numéro spécial (Le droit à la preuve et ses effets en droit du travail).

Droit à la preuve de l’employeur et procès équitable : cas de l’utilisation d’un système de vidéosurveillance irrégulièrement mis en place

Soc., 8 mars 2023, pourvoi n° 21-17.802, FS-B

Sommaire :

Il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que l'illicéité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant, lorsque cela lui est demandé, apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

En présence d'une preuve illicite, le juge doit d'abord s'interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l'employeur et vérifier s'il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l'ampleur de celle-ci. Il doit ensuite rechercher si l'employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d'autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié. Enfin le juge doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi.

Doit être approuvé l'arrêt qui, ayant exactement retenu que des enregistrements extraits d'un système de vidéosurveillance irrégulièrement mis en place, constituaient un moyen de preuve illicite, en déduit que ces pièces sont irrecevables dès lors que, pour justifier du caractère indispensable de la production des enregistrements, l'employeur faisait valoir que ceux-ci avaient permis de confirmer des soupçons de vol et d'abus de confiance à l'encontre de la salariée, révélés par un audit qui avait mis en évidence de nombreuses irrégularités concernant l'enregistrement et l'encaissement en espèces des prestations effectuées par la salariée, tout en constatant que l'employeur ne produisait pas cet élément dont il faisait également état dans la lettre de licenciement.

 

Commentaire :

Cette affaire pose la question du caractère indispensable d'un moyen de preuve illicite produit, s'agissant d'un dispositif de vidéosurveillance mis en place par l'employeur dans un institut esthétique d’onglerie et portant atteinte à la vie personnelle de la salariée. La salariée avait été licenciée pour faute grave, son employeur lui reprochant des irrégularités dans l’enregistrement et l’encaissement de ses prestations d’esthéticienne réglées en espèces. Il s’était fondé sur un moyen de preuve illicite, dans la mesure où la finalité du système de vidéosurveillance n’avait pas été portée préalablement à la connaissance de la salariée et où il n’avait pas demandé l’autorisation préfectorale alors exigée par la loi pour l’utilisation de ce système pendant la période concernée par les enregistrements litigieux. La cour d’appel en avait à bon droit déduit qu’il convenait d’apprécier si l’utilisation de cette preuve avait porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle de la salariée et le droit à la preuve de l’employeur, par un contrôle de proportionnalité.

L’arrêt offre une méthodologie du contrôle de la recevabilité d’une preuve illicite en trois temps : d’abord, le juge doit s’interroger sur la légitimité de la surveillance opérée par l’employeur et vérifier s’il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l’ampleur de celle-ci ; ensuite, le juge doit rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autre moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié, à savoir le caractère indispensable de la preuve illicite ; enfin, le juge doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte au regard du but poursuivi.

En l’espèce, l’employeur qui se prévalait de l’existence d’un audit s’abstenait de le produire, de sorte qu’il ne pouvait pas soutenir que la preuve illicite était indispensable.

L’arrêt est cité dans le podcast « La Sociale, le Mag’ » n° 16, avril 2023, Numéro spécial (Le droit à  la preuve et ses effets en droit du travail).

Conséquences de l’irrégularité de la lettre du mandataire judiciaire sur le délai de forclusion

Soc., 22 mars 2023, pourvoi n° 21-14.604, FS-B

Sommaire :

En application des articles L. 625-1 et R. 625-3 du code du commerce, la lettre par laquelle le mandataire judiciaire informe chaque salarié, doit indiquer la nature et le montant des créances admises ou rejetées et lui rappeler le délai de forclusion, lui indiquer la durée de ce délai, la date de la publication prévue au troisième alinéa de l'article R. 625-3, le journal par lequel elle sera effectuée. Elle contient en outre, au titre des modalités de saisine de la juridiction compétente, l'indication de la saisine par requête de la formation de jugement du conseil de prud'hommes compétent et de la possibilité de se faire assister et représenter par le représentant des salariés.

En l'absence de ces mentions, ou lorsqu'elles sont erronées, le délai de forclusion ne court pas.

Dès lors, doit être cassé l'arrêt qui déclare forclose la demande du salarié tout en constatant que la lettre du mandataire judiciaire ne mentionnait pas la nature et le montant des créances admises ou rejetées, ni le lieu et les modalités de saisine de la juridiction compétente.

 

Commentaire :

L'article L.625-1 du code de commerce prévoit que le salarié dont la créance ne figure pas en tout ou partie sur un relevé des créances résultant du contrat de travail établi par le mandataire judiciaire peut saisir, à peine de forclusion, le conseil de prud'hommes dans un délai de deux mois à compter de la mesure de publicité de ce relevé. En outre, selon l'article R.625-3 du code de commerce, le mandataire doit procéder à une information individuelle des salariés concernés en leur adressant une lettre.

La chambre sociale a déjà jugé que cette lettre doit, pour que le délai de forclusion puisse être opposé au salarié, notamment indiquer la nature et le montant des créances admises ou rejetées (Soc. 25 juin 2002, n° 00-44.704, Bull V n° 210 ; Soc. 7 février 2006, n° 03-47.937, Bull. V n° 62), mais elle ne l'avait plus rappelé depuis 2006.

En revanche, pour la première fois, la chambre sociale précise que l'information délivrée au salarié par ladite lettre doit également contenir l'indication de la saisine par requête de la formation de jugement du conseil de prud'hommes compétent et de la possibilité de se faire assister et représenter par le représentant des salariés.

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