N°18 - Janvier/Février 2023 (Rupture du contrat de travail)

Lettre de la chambre sociale

Une sélection des arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation (Contrat à durée déterminée / Santé et sécurité au travail / Rupture du contrat de travail / Libertés fondamentales / Représentants du personnel / Action en justice / QPC).

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Lettre de la chambre sociale

N°18 - Janvier/Février 2023 (Rupture du contrat de travail)

Salarié déclaré inapte par le médecin du travail : l’employeur ne peut le licencier pour une autre cause que l’inaptitude

Soc., 8 février 2023, pourvoi n° 21-16.258, FS-B

Sommaire :

Il résulte des dispositions d'ordre public des articles L.1226-2 et L.1226-2-1 du code du travail que, lorsque le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail, l'employeur ne peut prononcer un licenciement pour un motif autre que l'inaptitude, peu important qu'il ait engagé antérieurement une procédure de licenciement pour une autre cause.

 

Commentaire :

Dans cette affaire, la chambre sociale est invitée à se prononcer sur le sort de la procédure de licenciement pour motif disciplinaire en cours au moment de la déclaration d’inaptitude du salarié par le médecin du travail.

La chambre juge que la circonstance que le salarié ait été déclaré inapte avant le licenciement interdit son licenciement pour tout autre motif que l’inaptitude (Soc., 5 décembre 2012, pourvoi n° 11-17.913, Bull. 2012, V, n° 320 ; Soc., 20 décembre 2017, pourvoi n° 16-14.983, Bull. 2017, V, n° 223).

Dans la continuité de la jurisprudence précitée, cet arrêt adopte la même solution : dès lors que le salarié est déclaré inapte, l’employeur ne peut le licencier que pour inaptitude et impossibilité de reclassement, peu important qu’une procédure de licenciement pour faute ait été initiée préalablement.

Licenciement pour motif économique, difficultés économiques et « dégradation de l’excèdent brut d’exploitation : contrôle du juge

Soc., 1er février 2023, pourvoi n° 20-19.661, FS-B

Sommaire :

Aux termes de l'article L. 1233-3, 1°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Dès lors, une cour d'appel qui, ayant constaté que l'employeur justifiait avoir été confronté à des difficultés économiques caractérisées par une dégradation de l'excédent brut d'exploitation, a pu en déduire, au regard du caractère sérieux et durable de cette dégradation, que cet indicateur avait subi une évolution significative.

 

Commentaire :

Cet arrêt s'inscrit dans la lignée des précédentes décisions de la chambre sociale portant sur l'interprétation des critères énoncés à l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, pour l'appréciation de l'existence de difficultés économiques caractérisées par la baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires au cours de la période de référence précédant le licenciement (Soc., 1er juin 2022, pourvoi n° 20-19.957, publié ; Soc., 1er juin 2022, pourvoi n° 20-19.958), ainsi que sur l’office du juge lorsque la réalité de cet indicateur économique n'est pas établie, dans la mesure où l’absence du seul indicateur économique relatif à la baisse des commandes ou du chiffre d’affaires n’épuise pas le débat sur l’existence du motif économique, qui peut résulter d’un autre indicateur ou de « tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés » (Soc., 21 septembre 2022, pourvoi n° 20-18.511, publié).

Dans le présent arrêt, l'indicateur économique concerné était celui de « l’évolution significative » d’une dégradation de l'excédent brut d'exploitation. Cette notion d’« évolution significative » est laissée à l’appréciation des juges du fond au moment du licenciement, sans critère de durée.

Le principal apport de l'arrêt concerne, d’une part, l’appréciation globale par les juges de la situation de l’entreprise en procédant à une analyse tant quantitative que qualitative de l’ampleur des indicateurs économiques. D’autre part, la chambre sociale précise ici l'intensité du contrôle qu’elle opère désormais. En effet, jusqu'à présent, il n’était pas procédé à un contrôle de la réalité du motif économique, les juges du fond disposant d'un pouvoir souverain d'appréciation à cet égard (Soc., 26 mai 2015, pourvoi n° 14-13.523), le contrôle ne portant que sur les conséquences légales qu’ils tiraient de leurs constatations (Soc., 9 juillet 2015, pourvoi n° 14-12.801) et la mise en évidence de la cause de la rupture et ses conséquences sur l’emploi (Soc., 14 décembre 2011, pourvoi n°10-11.042, Bull. 2011, V, n° 295). Dès lors que le législateur de 2016 a établi des critères légaux, la chambre sociale a décidé d’exercer un contrôle léger sur la notion d'évolution significative, autrement dit sur le caractère sérieux et durable de l’évolution de l’indicateur économique retenu, dans le cadre d’une approche contextualisée.

L’arrêt est cité dans le podcast « La Sociale, le Mag’ » n° 14, février 2023, Actualité.

Licenciement individuel pour motif économique et priorité de réembauche : détermination du point de départ et du délai de la prescription

Soc., 1er février 2023, pourvoi n° 21-12.485, FS-B

Sommaire :

Aux termes de l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Ces dispositions ne font cependant pas obstacle aux délais de prescription plus courts prévus par le présent code et notamment celui prévu à l'article L. 1233-67.

Selon l'article L. 1233-45 du code du travail, le salarié licencié pour motif économique bénéficie d'une priorité de réembauche durant un délai d'un an à compter de la date de rupture de son contrat s'il en fait la demande au cours de ce même délai. Dans ce cas, l'employeur informe le salarié de tout emploi devenu disponible et compatible avec sa qualification.

Il en résulte que l'action fondée sur le non-respect par l'employeur de la priorité de réembauche, qui n'est pas liée à la contestation de la rupture du contrat de travail résultant de l'adhésion au contrat de sécurisation professionnelle, soumise au délai de prescription de l'article L. 1233-67 du code du travail, mais à l'exécution du contrat de travail, relève de la prescription de l'article L. 1471-1 du même code.

L'indemnisation dépendant des conditions dans lesquelles l'employeur a exécuté son obligation, le point de départ de ce délai est la date à laquelle la priorité de réembauche a cessé, soit à l'expiration du délai d'un an à compter de la rupture du contrat de travail.

 

Commentaire :

C'est la première fois que la chambre sociale se prononce sur le délai de prescription applicable à l'action en dommages-intérêts d'un salarié pour non-respect par l'employeur de la priorité de réembauche, ainsi que sur son point de départ.

Plusieurs textes étaient envisageables pour régir cette prescription : l'article 2224 du code civil prévoyant la prescription quinquennale de droit commun et dont la plénière de chambre a fait application pour l'action en reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail (Soc., 11 mai 2022, pourvoi n° 20-18.084, publié), l'article L.1233-67 du code du travail instaurant une prescription de douze mois pour toute contestation portant sur la rupture du contrat de travail ou son motif quand cette rupture résulte de l'adhésion du salarié à un contrat de sécurisation professionnelle (CSP), et l'article L.1471-1 du même code prévoyant une prescription de deux ans pour toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail.

Cependant, dès lors que les dispositions relatives à la priorité de réembauche s'appliquent même si la rupture du contrat de travail ne donne lieu à aucune contestation de la part du salarié, il est apparu que l'article L.1233-67 n'était pas le texte pertinent et que l'action indemnitaire en cas de non-respect de la priorité de réembauche relevait du champ de l'exécution du contrat de travail et des dispositions de l'article L.1471-1.

Par ailleurs, le délai de prescription de deux ans ne peut commencer à courir tant que dure la priorité de réembauche. Son point de départ est donc le terme du délai d'un an de la priorité, qui lui-même débute à la rupture du contrat de travail.

Licenciement pour motif économique, contrat de sécurisation professionnelle et régime indemnitaire

Soc., 1er février 2023, pourvoi n° 21-21.011, F-D

Décision :

« (…) Vu l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 :

Il résulte de ce texte que si le salarié est licencié pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'existe pas de possibilité de réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté exprimée en années complètes du salarié.

Pour condamner la société à payer à la salariée la somme de 26 562 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt, après avoir constaté que la salariée avait presque six ans d'ancienneté et avait perçu en 2018 un salaire annuel de 28 262 euros, retient qu'elle n'a pas retrouvé d'emploi, que son indemnité Pôle emploi va bientôt s'arrêter alors que sa fille étudiante est toujours à sa charge fiscalement et qu'elle n'a bénéficié d'aucune formation au sein de la société.

En statuant ainsi, en allouant à l'intéressée une somme représentant onze mois de salaire, alors que pour un salarié dont l'ancienneté dans l'entreprise est de cinq années complètes, le montant minimal de l'indemnité est de trois mois de salaire et le montant maximal est de six mois de salaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé (…) ».

 

Commentaire :

La Cour de cassation fait application pour la première fois de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2018-217 du 29 mars 2018, relatif au barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse instauré par l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017. Elle censure une cour d’appel qui, sans motivation particulière, n’a pas fait application de ce barème dit « Macron » validé par ses avis (Ass. Plén., 17 juillet 2019, pourvoi n°19-70.010 et Ass. Plén., 17 juillet 2019, pourvoi n°19-70.011, publiés) et ses arrêts du 11 mai 2022 (Soc., 11 mai 2022, pourvoi n°21-14.490 et Soc., 11 mai 2022, pourvoi n° 21-15.247, publiés).

Nullité du licenciement, exercice normal du droit de grève et remboursement des indemnités de chômage a pôle emploi

Soc., 18 janvier 2023, pourvoi n° 21-20.311, FR-B

Sommaire :

Il résulte des articles L. 1235-4 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, L. 1132-4 et L. 1132-2 du même code que les dispositions de l'article L. 1235-4 selon lesquelles le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé, sont applicables en cas de nullité du licenciement en raison de l'exercice normal du droit de grève.

 

Commentaire :

Dans cette affaire, la chambre sociale de la Cour de cassation fait application de l’article L. 1235-4 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, qui a étendu la possibilité de condamnation d’un employeur fautif au remboursement des indemnités de chômage versées au salarié dans les cas de nullité du licenciement prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4.

L’article L. 1235-4 du code du travail, dans sa version antérieure, prévoyait la possibilité de condamner l’employeur fautif au remboursement des indemnités de chômage versées au salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail ou de nullité du licenciement pour motif économique prévue par l’article L. 1235-11 du même code. La jurisprudence interprétait ces dispositions de manière restrictive et jugeait que le remboursement des indemnités de chômage ne pouvait être ordonné en cas de nullité du licenciement pour un autre motif (Soc., 12 décembre 2001, pourvoi n° 99-44.167, Bull. 2001, V, n° 383).

En l’espèce, la cour d’appel, après avoir dit le licenciement nul comme consécutif à l’exercice normal du droit de grève par le salarié, a condamné l’employeur à rembourser à Pôle emploi des allocations de chômage versées au salarié.

La Cour de cassation rejette le pourvoi formé à l’encontre de cette décision et juge que les dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail sont applicables en cas de nullité du licenciement en raison de l'exercice normal du droit de grève, en se fondant sur la combinaison de l’article L.1132-2 du code du travail, qui prohibe les mesures discriminatoires en raison de l’exercice normal du droit de grève, et de l’article L. 1132-4 du même code auquel renvoie l’article L. 1235-4 dans sa nouvelle version.

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