N°16 - Septembre/Octobre 2022 (Contrats à durée déterminée)

Lettre de la chambre sociale

Une sélection des arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation (Contrats à durée déterminée / Durée du travail / Contrat de travail, rupture / Représentation des salariés / Statut collectif du travail / Procédure / QPC).

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Lettre de la chambre sociale

N°16 - Septembre/Octobre 2022 (Contrats à durée déterminée)

Portée de l’homologation des contrats de travail de sportif professionnel par la Ligue nationale de rugby et conditions de recours au CDD

Soc., 21 septembre 2022, pourvoi n° 21-12.590, FS-B

Sommaire 1 :

Le litige portant notamment sur les effets de l'homologation des contrats de travail à durée déterminée délivrée par elle, la Ligue nationale de rugby justifie d'un intérêt, pour la préservation de ses droits, à soutenir les prétentions du club demandeur au pourvoi.

 

Sommaire 2 :

Le contrôle des conditions de recours au contrat de travail à durée déterminée n'entre pas dans le champ des vérifications effectuées par une fédération ou une ligue professionnelle, qui dans le cadre de sa mission de service public relative à l'organisation des compétitions sportives, procède à l'homologation d'un contrat de travail.

 

Sommaire 3 :

Il résulte de la clause 8 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 19 mars 1999, mis en œuvre par la directive n° 1999/70/CE que les Etats membres ou les partenaires sociaux peuvent maintenir ou introduire des dispositions plus favorables pour les travailleurs et que la mise en œuvre de l'accord-cadre ne constitue pas une justification valable pour la régression du niveau général de protection des travailleurs.

La demande de renvoi préjudiciel, qui propose une interprétation de la directive n° 1999/70/CE de nature à entraîner une régression du niveau général de protection des salariés concernés, n'apparaît pas pertinente, faute d'influence sur le litige.

 

Sommaire 4 :

Les justifications relatives à l'incapacité physique pour un joueur de rugby professionnel d'exercer son métier au-delà d'un certain âge et les évolutions affectant ses performances, avancées par l'employeur, qui sont liées à la personne même du salarié et non à l'emploi concerné, ne sont pas de nature à établir le caractère par nature temporaire de cet emploi.

 

Sommaire 5 :

Ayant constaté que l'employeur s'était borné à invoquer des justifications d'ordre général, tenant notamment aux évolutions du projet tactique de l'entraîneur et des objectifs sportifs et économiques fixés par la direction du club, la cour d'appel, qui a retenu que l'employeur n'établissait pas le caractère par nature temporaire de l'emploi concerné, a pu décider que la relation de travail devait être requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée.

 

Commentaire :

Au cas précis, un salarié, joueur de rugby professionnel, a été engagé suivant des contrats à durée déterminée successifs pendant une durée de onze ans. A la suite de la décision de l’employeur de ne pas lui proposer un nouveau contrat au terme du dernier CDD, le salarié a saisi la juridiction prud’homale afin notamment d’obtenir la requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée. La cour d’appel ayant fait droit à la plupart des demandes du salarié, l’employeur a formé un pourvoi en cassation et la Ligue nationale de rugby est intervenue volontairement à l’instance.

Se posait en premier lieu la question de la recevabilité de l’intervention de la Ligue de rugby. La chambre sociale a considéré qu'elle était recevable dans la mesure où le pourvoi en cassation posait la question de la portée de l’homologation par la Ligue des contrats des joueurs professionnels et la compétence des juridictions judiciaires pour statuer sur la validité du recours au CDD. La ligue justifiait donc d'un intérêt, pour la préservation de ses droits, à soutenir les prétentions du club de rugby.

La chambre sociale affirme, ensuite, pour la première fois, que le contrôle des conditions de recours au contrat de travail à durée déterminée n'entre pas dans le champ des vérifications effectuées par une fédération ou une ligue professionnelle, qui, dans le cadre de sa mission de service public relative à l'organisation des compétitions, procède à l'homologation d'un contrat de travail. En effet, cette homologation n’est faite que pour l’accomplissement de la mission d’organisation des compétitions et les justificatifs à fournir sont d’ordre sportif. Notons par ailleurs que la Ligue ne pourrait pratiquer d’office un tel contrôle des conditions légales de recours au CDD, alors que, selon la jurisprudence de la chambre sociale, seul le salarié peut se prévaloir de l’irrégularité d’un CDD pour obtenir sa requalification en CDI (Soc., 16 juillet 1987, pourvoi n° 85-45.258, Bull. 1987, V, n° 481, Soc., 4 décembre 2002, pourvoi n° 00-43.750, Bull., 2002, V, n° 367, Soc., 20 février 2013, n° 11-12.262, Bull. 2013, V, n° 45).

La chambre sociale a en outre refusé le renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne de deux questions préjudicielles dans la mesure où elles ne pouvaient avoir une influence sur le litige. En effet, la directive n° 1999/70/CE du 28 juin 1999 est une directive minimale, qui permet aux États d'adopter ou de maintenir des solutions plus favorables pour les travailleurs et qui contient une clause de non régression. La directive, qui ne s’oppose pas à que les Etats membres accordent des droits supplémentaires aux salariés, ne saurait, par elle-même, justifier un recul de ceux-ci. Le législateur peut choisir de réduire la protection des travailleurs, dans le respect du socle issu du droit communautaire, mais, en assumant des raisons qui lui sont propres, sans pouvoir, à cet effet, invoquer le droit de l'Union. Or, l'interprétation proposée par l’employeur et la Ligue conduisait, dans le cadre de la réglementation de droit commun, à proposer une solution de régression du droit interne, puisqu’elle tendait à élargir les conditions de recours au CDD et à restreindre corrélativement les conditions de requalification   en contrat à durée indéterminée. Soulignons que cette solution ne vaut que pour l’état du droit antérieur à la loi n° 2015-1541 du 27 novembre 2015, par laquelle le législateur a organisé le recours à un contrat de travail à durée déterminée spécifique pour l’engagement des sportifs professionnels.

Enfin, saisie d’un moyen portant sur la justification du recours au contrat à durée déterminée pour pourvoir un emploi de sportif professionnel, la cour d’appel a approuvé la cour d’appel qui a considéré que les éléments invoqués par l’employeur n’étaient pas de nature à établir le caractère par nature temporaire de l’emploi. Les motifs invoqués étaient de nature différente et leur rejet n’est pas de même nature. En premier lieu, la Cour de cassation exclut la possibilité de caractériser la nature temporaire d’un emploi pourvu au moyen de contrats à durée déterminée successifs, par des éléments relatifs à la personne du salarié concerné, en l’espèce l’âge et la performance, et non liés à l’emploi lui-même. En second lieu, elle a écarté les justifications relatives au projet de l’entraîneur et aux objectifs du club, en soulignant qu’elles étaient invoquées de façon générale. Ces justifications peuvent effectivement être liées à l’emploi considéré, mais il incombe à l’employeur de justifier de façon concrète que l’emploi concerné est par nature temporaire. L’appréciation de cette justification relevant du pouvoir souverain des juges du fond, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre l’arrêt qui avait retenu que l’employeur n’établissait pas la réalité des justifications invoquées.

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