N°14 - Mars/Avril 2022 (Libertés fondamentales)

Lettre de la chambre sociale

Une sélection des arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation (Contrat de travail, durée du travail, transfert d'entreprise, santé au travail, libertés fondamentales, représentation des salariés, conflits collectifs du travail, procédure, QPC)

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Lettre de la chambre sociale

N°14 - Mars/Avril 2022 (Libertés fondamentales)

Liberté d’expression, propos d’un animateur humoriste ayant conduit à son licenciement, et contrôle de proportionnalité

Soc., 20 avril 2022, pourvoi n°20-10.852, FS-B

 

Sommaire :

La rupture du contrat de travail, motivée par des propos tenus par le salarié, constituant une ingérence de l'employeur dans l'exercice de son droit à la liberté d'expression, tel que garanti par l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient au juge de vérifier si, concrètement, dans l'affaire qui lui est soumise, une telle ingérence est nécessaire dans une société démocratique, et, pour ce faire, d'apprécier la nécessité de la mesure au regard du but poursuivi, son adéquation et son caractère proportionné à cet objectif.

Doit être approuvé l'arrêt qui, ayant fait ressortir que le licenciement, fondé sur la violation par le salarié d'une clause de son contrat de travail d'animateur, poursuivait le but légitime de lutte contre les discriminations à raison du sexe et les violences domestiques et celui de la protection de la réputation et des droits de l'employeur, en a déduit, compte tenu de l'impact potentiel des propos réitérés du salarié, reflétant une banalisation des violences à l'égard des femmes, sur les intérêts commerciaux de l'employeur, que cette rupture n'était pas disproportionnée et ne portait donc pas une atteinte excessive à la liberté d'expression du salarié.

 

Commentaire :

La présente affaire concerne la question de la liberté d’expression d’un salarié, animateur d’une émission de télévision produite par son employeur et diffusée sur une chaîne du service public, par ailleurs humoriste, dont le contrat a été rompu pour faute grave à la suite d’une blague prononcée lors d’une émission de télévision banalisant des propos sexistes et la violence faite aux femmes et à son comportement réitéré sur son lieu de travail : devrait-il bénéficier d’une plus grande tolérance au nom d’un droit à la satire ou de l’excès caractérisant précisément sa qualité d’humoriste contre le risque de censure ?

La Cour européenne des droits de l’homme a reconnu un droit à l’humour (CEDH, 2 septembre 2021, Z.B. c. France, n° 46883/15), cependant limité par le paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Elle impose aux juges de procéder à un contrôle de proportionnalité en quatre étapes:

  • Constater, du fait du licenciement, une ingérence de l’employeur dans la liberté d’expression du salarié ;
  • Vérifier que cette ingérence était prévue par la loi (art. L. 1124-1 du code du travail) et spécifiquement dans cette affaire par une clause du contrat de travail ;
  • Vérifier in concreto que la limitation contractuelle à la liberté d’expression est nécessaire dans une société démocratique en ce qu’elle poursuit un but légitime prévu par l’article 10, §2, de la Convention européenne, en l’espèce la protection des droits d’autrui à savoir, d’une part, la lutte contre les discriminations fondée sur le sexe et les violences domestiques (CEDH, 15 juin 2021, Kurt c. Autriche, n° 62903/15) et, d’autre part, celui de la protection de la réputation de l’employeur (CEDH, 7 juillet 2020, Y. Mahi c. Belgique, n° 57462/19) ;
  • Caractériser la nécessité de la sanction au regard de son adéquation et de sa proportionnalité au but poursuivi (CEDH, 29 février 2000, Fuentes Bobo c. Espagne, n° 39293/98; CEDH, 29 mars 2016, Bédat c. Suisse, n° 56925/08 ; CEDH, 2 septembre 2021, Z.B. c. France, n° 46883/15), en l’inscrivant dans le contexte général d’un débat touchant l’intérêt général, et dans le contexte spécifique d’un animateur d’émission de télévision ayant délibérément violé la clause éthique de son contrat de travail.

La chambre sociale rappelle, de manière générale, la nécessité d’un contrôle de proportionnalité en cas de licenciement justifié mais mettant en cause la liberté d’expression. Puis elle décline ce contrôle au cas d’espèce et inscrit la solution  dans la continuité du contrôle lourd exercé par la Cour de cassation sur les limites admissibles de la liberté d’expression au regard du droit à l’humour et à la satire (Ass. Plén., 25 octobre 2019, pourvoi n° 17-86.605, publié).

Le communiqué de presse de cet arrêt est disponible sur le site internet de la Cour de cassation.

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