N°14 - Mars/Avril 2022 (Durée du travail)

Lettre de la chambre sociale

Une sélection des arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation (Contrat de travail, durée du travail, transfert d'entreprise, santé au travail, libertés fondamentales, représentation des salariés, conflits collectifs du travail, procédure, QPC)

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Lettre de la chambre sociale

N°14 - Mars/Avril 2022 (Durée du travail)

Convention de forfait en jours et décompte du nombre de jours effectivement travaillés

Soc., 2 mars 2022, pourvoi n° 19-25.616, FS-B

Sommaire :

Fait l'exacte application des dispositions de l'article 23 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972 la cour d'appel qui, pour déterminer les appointements minima garantis a tenu compte du nombre de jours effectivement travaillés par rapport au forfait de deux cent treize jours prévu par la convention individuelle.

 

Commentaire :

Dans cette affaire, un salarié, qui était soumis à une convention de forfait de 213 jours, avait saisi la juridiction prud’homale afin de solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison, notamment, du non-respect par l’employeur des appointements minima garantis par la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972. Débouté de sa demande par la cour d’appel, le salarié soutenait, dans le premier moyen de son pourvoi, que lorsqu’un salarié a bénéficié d’un maintien intégral de sa rémunération en cas d’arrêt maladie, l’employeur étant subrogé dans ses droits pour obtenir le versement des indemnités de sécurité sociale, les journées d’absences pour maladie du salarié ne devaient pas être déduites du décompte annuel des jours travaillés lorsqu’il convenait de procéder à la comparaison entre la rémunération annuelle du salarié et la rémunération annuelle minimale conventionnelle.

Par cet arrêt publié, en raison du caractère inédit de la question soulevée, la chambre sociale approuve la cour d’appel qui, pour déterminer les appointements minima garantis, prévus par l’article 23 de la convention collective précitée, a tenu compte du nombre de jours effectivement travaillés par rapport au forfait de 213 jours.

Ainsi, afin de vérifier le respect des minima conventionnels garantis, il convenait d'opérer une proratisation en fonction des jours de travail effectivement accomplis pour établir ensuite une comparaison entre ces appointements minima garantis et la rémunération effectivement perçue hors revenus de remplacement.

En effet, les sommes versées pendant la période de suspension du contrat de travail par l’employeur, en application des dispositions conventionnelles pour compléter les indemnités journalières, ne sont pas des éléments permanents de la rémunération. Ils sont par nature aléatoires, liés à la maladie et, surtout, ne sont pas versés en contrepartie du travail. Par ailleurs, en tenir compte pour la vérification des minima conventionnels reviendrait à payer ces minima garantis pendant les périodes de maladie, alors que le dispositif conventionnel prévoit un régime complémentaire de prévoyance des indemnités journalières dégressif en fonction de la durée d’absence des salariés et leur ancienneté.

Forfait en heures : conséquences de l'inopposabilité de la convention sur le décompte des heures supplémentaires

Soc., 2 mars 2022, pourvois n° 20-19.832 et 20-19.837, FS-B

Sommaire n° 1 :

Lorsqu'une convention de forfait en heures est déclarée inopposable, le décompte et le paiement des heures supplémentaires doit s'effectuer selon le droit commun, au regard de la durée légale de 35 heures hebdomadaires ou de la durée considérée comme équivalente.

Doit être approuvé, l'arrêt qui après avoir retenu l'inopposabilité de la convention de forfait en heures, a, recherchant la commune intention des parties, décidé que celles-ci étaient convenues d'une rémunération contractuelle fixée pour une durée hebdomadaire de 38h30 et constatant que cette rémunération de base avait été payée par l'employeur, en a déduit à bon droit que les salariés ne pouvaient prétendre qu'au paiement des majorations applicables aux heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée légale du travail.

 

Commentaire :

Dans cette affaire, les salariés d'une entreprise, dont la convention annuelle de forfait en heures, sur une base hebdomadaire de 38h30, leur avait été déclarée inopposable, sollicitaient un rappel de salaire au titre des heures effectuées entre le 35ème heures et la 38ème heure et demie ainsi que les majorations de 25 % pour heures supplémentaires.

La cour d’appel a retenu que les salariés ne pouvaient revendiquer que la majoration de 25% sur les 3h30 accomplies.

La chambre sociale a approuvé le raisonnement de la cour d’appel et a donné des indications sur la méthode à suivre par les juges du fond en la matière.

Il convient de rappeler que le fait que la convention de forfait soit déclarée inopposable aux salariés conduit, en matière d’heures supplémentaires à appliquer les règles du droit commun, ce qui signifie que le cadre du décompte est celui de la durée légale du travail de 35 heures ou de la durée considérée comme équivalente, que la preuve des heures accomplies au-delà de la durée légale relève des dispositions de l’article L.3171-4 du code du travail, et que le paiement des heures accomplies s’effectue selon les règles du droits commun, soit en l’état des textes applicables au litige, avec une majoration de 25 % pour les heures supplémentaires accomplies de la 36ème heure jusqu’à la 43ème heure et de 50 % pour les heures accomplies au-delà.

Dans la présente décision, la chambre sociale approuve la cour d’appel qui, recherchant la commune intention des parties, a décidé que celles-ci avaient convenu d’une rémunération contractuelle fixée pour une durée hebdomadaire de 38h30 et constaté que cette rémunération de base avait été payée par l’employeur. La cour d’appel en a déduit que les salariés ne pouvaient prétendre qu’au paiement des majorations applicables aux heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée légale du travail.

Cette méthode ne peut pas être transposée à l’hypothèse d’une convention annuelle de forfait en jours annulée ou déclarée inopposable. En effet, la rémunération en matière de forfait en jours ne repose pas sur la même logique que le forfait en heures, même annuel, car elle est déconnectée d’un taux horaire.

Convention de forfait en heures : seul le salarié peut se prévaloir de la nullité

Soc., 30 mars 2022, pourvoi n° 20-18.651, FS-B

Sommaire :

Seul le salarié peut se prévaloir de la nullité de la convention de forfait en heures.

 

Commentaire :

Par le présent arrêt, la chambre sociale de la Cour de cassation affirme pour la première fois que seul le salarié a qualité pour soulever la nullité d’une convention de forfait en heures.

Cette décision s’inscrit dans la continuité d’un arrêt du 13 septembre 2017 (Soc., 13 septembre 2017, pourvoi n° 15-24.397, Bull. 2017, V, n° 137) aux termes duquel un employeur, souhaitant tirer les conséquences de la nullité de l’accord collectif ouvrant le recours au forfait en heures, ne peut imposer au salarié la modification du contrat de travail qui en résulterait.

La limitation au seul salarié de la possibilité de soulever la nullité d’une stipulation contractuelle a déjà été retenue par la chambre sociale, en matière de clause de non-concurrence (Soc., 25 janvier 2006, pourvoi n° 04-43.646, Bull. 2006, V, n° 25 et Soc., 2 février 2006, pourvoi n° 04-41.004, Bull. 2006, V, n° 56) ainsi qu'en matière de requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée (Soc., 16 juillet 1987, pourvoi n° 85-45.258, Bull. 1987, V, n° 481 ; Soc., 16 janvier 1991, pourvoi n° 87-43.827, Bull. 1991, V, n° 13 et Soc., 30 octobre 2002, pourvoi n° 00-45.572, Bull. 2002, V, n° 332).

Congés payés légaux et conventionnels : identité des régimes quant à leurs conditions de modification par l'employeur

Soc., 2 mars 2022, pourvoi n° 20-22.261, FS-B

Sommaire :

Il résulte des dispositions de l'article L. 3141-16 du code du travail qu'aucune distinction n'est faite entre les quatre premières semaines et la cinquième semaine de congé quant à l'impossibilité pour l'employeur de modifier, en l'absence de circonstances exceptionnelles, l'ordre et les dates de départ en congés moins d'un mois avant la date de départ prévue. Sauf disposition contraire, la même règle s'applique aux congés d'origine conventionnelle.

 

Commentaire :

Dans cette affaire, la chambre sociale de la Cour de cassation se prononce pour la première fois sur la question de savoir si les dispositions de l’article L. 3141-16 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, qui interdisent à l’employeur, sauf circonstances exceptionnelles, de modifier la date de départ en congés d’un salarié moins d’un mois avant la date de départ prévue, s’appliquent également à la cinquième semaine de congés payés, semaine s’ajoutant au congé annuel de quatre semaines garanti par la directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003.

Interprétant les dispositions de l’article L. 3141-16 du code du travail, précité, la chambre sociale énonce qu’il résulte de ce texte qu’aucune distinction n’est faite entre les quatre premières semaines et la cinquième semaine et que sauf disposition contraire, la même règle s’applique aux congés d’origine conventionnelle. Il en résulte que le délai de prévenance d’un mois imposé à l’employeur s’applique également à la cinquième semaine de congés payés, que celle-ci soit d’origine légale ou conventionnelle.

Cette solution permet, sauf volonté contraire des partenaires sociaux pour les congés conventionnels, d’assurer un régime unique pour l’ensemble des congés quelle que soit leur origine et d’écarter la complexité qui aurait résulté d’un dispositif qui aurait dû distinguer selon chaque nature de congé, avec les difficultés notamment quant à l’imputation des congés exercés.

Congés payés et apprentissage

Soc., 16 mars 2022, pourvoi n° 19-20.658, FP-B

Sommaire n° 1 :

La rupture par l’employeur d’un contrat d’apprentissage hors des cas prévus par l’article L. 6222-18 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, étant sans effet, l’apprenti est fondé à prétendre au paiement des salaires dus jusqu’au terme du contrat, lesquels ouvrent droit au paiement des congés payés afférents.

Dès lors viole le texte susvisé, la cour d’appel qui, ayant constaté que la rupture unilatérale par l’employeur du contrat d’apprentissage était intervenue hors des cas prévus par la loi, retient que l’apprenti est fondé à obtenir une indemnité équivalente au rappel de salaire jusqu’au terme du contrat mais ne peut prétendre aux congés payés afférents.

 

Commentaire :

Dans la présente affaire, la chambre sociale se prononce sur les effets de la rupture unilatérale par l’employeur d’un contrat d’apprentissage hors des cas prévus par les dispositions de l’article L. 6222-18 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015. La question précise et inédite à laquelle la chambre sociale répond est celle de savoir si l’apprenti, dans une telle situation, a un droit au paiement des congés payés correspondant à la période couverte par la rupture regardée comme sans effet.

La cour d’appel avait retenu que la somme due à l’apprenti au titre de la rupture, équivalente au rappel de salaire jusqu’au terme du contrat avait un caractère indemnitaire et en avait déduit que l’apprenti ne pouvait pas prétendre aux congés payés afférents.

La chambre sociale, faisant application de sa jurisprudence antérieure, énonce dans un attendu de principe que la rupture par l’employeur d’un contrat d’apprentissage, hors des cas prévus par l’article L. 6222-18 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, est sans effet. Dès lors l’employeur est tenu, sauf en cas de mise à pied, de payer les salaires jusqu’au jour où le juge, saisi par l’une des parties, statue sur la résiliation ou, s’il est parvenu à expiration, jusqu’au terme du contrat (Soc., 4 mai 1999, pourvoi n° 97-40.049, Bull. 1999, V, n° 183).

Tirant la conséquence du caractère salarial de la somme, la chambre sociale en déduit, pour la première fois, que cette indemnité ouvre droit au paiement de congés payés. L’employeur reste tenu aux congés payés que le salarié aurait dû acquérir si la rupture, jugée sans effet, n’était pas intervenue.

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