N°14 - Mars/Avril 2022 (Contrat de travail, rupture)

Lettre de la chambre sociale

Une sélection des arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation (Contrat de travail, durée du travail, transfert d'entreprise, santé au travail, libertés fondamentales, représentation des salariés, conflits collectifs du travail, procédure, QPC)

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Lettre de la chambre sociale

N°14 - Mars/Avril 2022 (Contrat de travail, rupture)

Résiliation judiciaire et examen des manquements par le juge prud'homal

Soc., 2 mars 2022, pourvoi n° 20-14.099, FS-B

Sommaire :

Il résulte des articles L.1221-1 du code du travail, et 1184 du code civil, ce dernier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que lorsqu'un salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, et qu'il est licencié ultérieurement, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation judiciaire était justifiée. Pour apprécier si les manquements de l'employeur sont de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail, il peut tenir compte de la régularisation survenue jusqu'à la date du licenciement.

 

Commentaire :

La présente affaire pose la question de la portée de la régularisation par l’employeur d’un manquement qui lui était reproché à l’appui d’une action en résiliation judiciaire, régularisation intervenue au cours de l’instance mais postérieurement à la rupture du contrat de travail résultant du licenciement du salarié.

La chambre sociale décide que la régularisation intervenue postérieurement au prononcé d’un licenciement ne peut pas avoir d’incidence sur l’examen du manquement présenté à l’appui d’une demande de résiliation judiciaire. Le juge ne peut donc tenir compte que de la régularisation survenue jusqu’à la date du licenciement.

Cette jurisprudence s’inscrit dans la continuité d’un arrêt du 14 décembre 2011 (Soc., 14 décembre 2011, pourvoi n° 10-13.542, Bull. 2011, V, n° 297) dans lequel il avait été décidé que “la juridiction, saisie d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail puis d'une contestation du licenciement prononcé ultérieurement et qui a caractérisé des manquements de l'employeur antérieurs à l'introduction de l'instance, peut tenir compte de leur persistance jusqu'au jour du licenciement pour en apprécier la gravité”.

L’arrêt est décrypté dans le podcast « La Sociale, le Mag’ » n° 5, mars 2022, Décryptage.

Qualification du licenciement consécutif au refus d’une modification du contrat pour motif disciplinaire

Soc., 24 mars 2021, pourvoi n° 19-12.208, FS-P+I

Soc, 9 mars 2022, pourvoi n° 20-17.005, FR-B

Sommaire :

C'est le motif de rupture mentionné dans la lettre de licenciement qui détermine le caractère disciplinaire ou non du licenciement, peu important la proposition faite par l'employeur d'une rétrogradation disciplinaire, impliquant une modification du contrat de travail refusée par le salarié.

Doit en conséquence être cassé l'arrêt qui, pour dire le licenciement prononcé pour insuffisance professionnelle dénué de cause réelle et sérieuse, retient qu'il présente nécessairement un caractère disciplinaire puisqu'il a été précédé d'une proposition de rétrogradation disciplinaire refusée par le salarié.       

 

Commentaire :

Le prononcé d'une mise à pied à titre conservatoire n'implique pas nécessairement que le licenciement prononcé ultérieurement présente un caractère disciplinaire (Soc., 16 janvier 2007, pourvoi n°04-46.414 ; Soc., 8 juillet 2008, pourvoi n°06-45.783 ; Soc., 3 février 2010, pourvoi n° 07-44.491, Bull. 2010, V, n° 32).  

Le principe énoncé dans l’arrêt précité du 16 janvier 2007, selon lequel le motif de rupture retenu par l'employeur et mentionné dans la lettre de licenciement détermine la qualification du licenciement, est étendu ici pour la première fois à l'hypothèse d'un employeur qui, après avoir constaté le refus par le salarié d'une rétrogradation, engage finalement contre l'intéressé une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle. 

Par le présent arrêt, la chambre sociale autorise ainsi un employeur à prononcer un licenciement pour insuffisance professionnelle du salarié à l'encontre duquel il avait précédemment engagé une procédure de licenciement pour motif disciplinaire après refus d’une rétrogradation qui ne pouvait lui être imposée.

Elle revient donc sur sa jurisprudence antérieure selon laquelle le licenciement, précédé d'une proposition de mutation, de rétrogradation et comportant une diminution de salaire, assortie d'une mise à pied conservatoire, présente nécessairement un caractère disciplinaire (Soc., 28 novembre 2000, pourvoi n° 98-43.029, Bull. 2000, V, n° 392 ; Soc., 9 mai 2000, pourvoi n° 97-45.163, Bull. 2000, V, n° 170).

L’arrêt est commenté dans le podcast « La Sociale, le Mag’ » n° 6, avril 2022, Actualités.

Délai pour engager la procédure de licenciement et gravité de la faute

Soc., 9 mars 2022, pourvoi n° 20-20.872, FR-B

Sommaire :

Le fait pour l'employeur de laisser s'écouler un délai entre la révélation des faits et l'engagement de la procédure de licenciement ne peut avoir pour effet de retirer à la faute son caractère de gravité, dès lors que le salarié, dont le contrat de travail est suspendu, est absent de l'entreprise.

 

Commentaire :

De jurisprudence constante, la faute grave, étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, l’employeur doit mettre en œuvre dans un délai restreint la procédure de licenciement après qu’il a eu connaissance des faits allégués, sauf si des vérifications sont nécessaires (Soc. 16 juin 1998, pourvoi n° 96-42.054, Bull. 1998, V, n° 326). En effet, la définition même de la faute grave implique le départ immédiat du salarié de l’entreprise (Soc. 27 sept. 2007, pourvoi n° 06-43.867, Bull. 2007, V, n° 146) : « L’immédiateté de la rupture s’entend de l’impossibilité pour l’employeur, compte tenu de l’importance de la faute, de tolérer, même pendant une durée limitée, la présence du salarié dans l’entreprise », indique le rapport annuel de la Cour de cassation pour l’année 2007. Il convient de souligner que cette question est distincte de celle de la prescription disciplinaire de deux mois de l’article L. 1332-4 du code du travail.

Si la question du délai restreint est soulevée, les juges du fond doivent nécessairement procéder à la vérification de son  respect par l’employeur (Soc., 06 octobre 2010, n° 09-41.294, Bull. 2010, V, n° 214).

Dans la présente affaire, la chambre sociale, rappelant une règle déjà énoncée (Soc. 25 juin 2002, pourvoi n° 00-44.001, Bull. 2002, V, n° 211), retient que lorsque du fait de la suspension du contrat de travail, le salarié est absent de l’entreprise, l’incompatibilité entre, d’une part, l’écoulement d’un délai entre la révélation des faits et l’engagement de la procédure de licenciement et, d’autre part, l’existence d’une faute grave ne peut être invoquée : tarder à sanctionner le salarié ne signifie pas dans ce cas  dans ce cas que l’employeur s’accommode de sa présence dans les effectifs de l’entreprise.

L’arrêt est commenté dans le podcast « La Sociale, le Mag’ » n° 6, avril 2022, Actualités.

Licenciement pour motif économique et mise en œuvre de la réorganisation avant l’homologation du PSE par l’administration : absence de manquement de l’employeur justifiant une résiliation judiciaire

Soc., 23 mars 2022, pourvoi n° 20-15.370, FS-B

Sommaire :

Si, en application de l’article L. 2323-31 du code du travail, dans sa version en vigueur du 1er janvier 2016 au 1er janvier 2018, le comité d’entreprise doit être saisi en temps utile des projets de restructuration et de compression des effectifs, la réorganisation peut être mise en œuvre par l’employeur avant la date d’homologation du plan de sauvegarde de l’emploi par l’autorité administrative.

Dès lors, encourt la cassation l’arrêt qui pour prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail du salarié aux torts de l’employeur pour manquement à son obligation de fournir un travail, retient que le document unilatéral établi par la société, portant projet de réorganisation et plan de sauvegarde de l’emploi, ne pouvait être mis en œuvre avant son homologation par l’administration et qu’il en résultait que le salarié avait vocation à travailler sur le site dont la fermeture avait été décidée jusqu’à la mise en œuvre du plan.

 

Commentaire :

Dans la présente affaire, après avoir consulté le comité d’établissement sur un projet de réorganisation, et sur les mesures d’accompagnement des salariés, l’employeur a proposé une mutation sur un autre site à un salarié, qui l’a refusée. L’employeur a ensuite introduit la procédure de licenciement économique collectif en consultant le comité d’établissement, puis, le temps de la mise en œuvre de la procédure, a placé en dispense d’activité rémunérée le salarié qui avait refusé la modification de son contrat de travail. Le plan de sauvegarde de l’emploi concernant les salariés ayant refusé la proposition de modification de leur lieu de travail a été homologué par l’autorité administrative postérieurement.

La question posée était celle de savoir si la dispense d’activité avec maintien de la rémunération, dans ces conditions, constitue un manquement de l’employeur à ses obligations justifiant la résiliation judiciaire du contrat de travail.

Pour faire droit à la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail du salarié aux torts de l’employeur, pour manquement à son obligation de fournir un travail, la cour d’appel avait lié le manquement de l’employeur à l’inachèvement de la procédure de licenciement. Enonçant que le plan de sauvegarde de l’emploi ne pouvait être mis en œuvre avant son homologation par l’administration, la cour d’appel retenait que le salarié avait en conséquence vocation à travailler jusqu’à cette date, sur le site dont la fermeture avait été décidée dans le cadre du projet de restructuration soumis au comité d’établissement. Elle en a conclu que le manquement de l’employeur était suffisamment grave pour justifier la résiliation judiciaire du contrat.

La chambre sociale juge qu’il ne peut être reproché à un employeur, alors qu’il a procédé à des consultations préalables des instances représentatives du personnel sur les projets de restructuration et de compression des effectifs, le décalage entre la mise en œuvre de la réorganisation et l’homologation par l’autorité administrative du plan de sauvegarde de l’emploi. Ce n’est pas l’issue mais l’introduction de la procédure de licenciement qui doit coïncider avec la mise en œuvre de la réorganisation.

Licenciement pour motif économique : séparation des pouvoirs et examen des catégories professionnelles fixées par le document unilatéral

Soc., 20 avril 2022, pourvoi n° 20-20.567, FS-B

Sommaire :

Il résulte des dispositions des articles L. 1233-24-2, L. 1233-24-4 et L. 1233-57-3 du code du travail que, lorsque les catégories professionnelles devant donner lieu à des suppressions d'emplois sont fixées dans un document unilatéral élaboré par l'employeur sur le fondement de l'article L. 1233-24-4, il appartient à l'autorité administrative, saisie de la demande d'homologation de ce document, de s'assurer que ces catégories regroupent, en tenant compte des acquis de l'expérience professionnelle qui excèdent l'obligation d'adaptation qui incombe à l'employeur, l'ensemble des salariés qui exercent, au sein de l'entreprise, des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune.

Il résulte des mêmes articles que, lorsque les critères d'ordre des licenciements fixés dans un plan de sauvegarde de l'emploi figurent dans un document unilatéral élaboré par l'employeur sur le fondement de l'article L. 1233-24-4, il appartient à l'autorité administrative, saisie de la demande d'homologation de ce document, de vérifier la conformité de ces critères et de leurs règles de pondération aux dispositions législatives et conventionnelles applicables.

C'est dès lors à bon droit, sans méconnaître l'autorité de la chose décidée par l'autorité administrative, qu'une cour d'appel qui n'était pas saisie d'une contestation portant sur la définition même des catégories professionnelles visées par les suppressions d'emploi, ni d'une contestation des critères d'ordre et de leurs règles de pondération fixés dans le plan, retient la compétence du juge judiciaire pour connaître d'un litige portant sur la réalité de la suppression d'emplois et l'application par l'employeur des critères d'ordre de licenciement.

 

Commentaire :

La Direccte, sous le contrôle du juge administratif, apprécie si les catégories professionnelles concernées par les suppressions de poste ont été objectivement déterminées par l’employeur au regard des emplois existants dans l’entreprise au moment de l’élaboration du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE)  (CE, 7 février 2018, n° 409978, mentionné dans les tables du Recueil Lebon), si les critères d’ordre et de pondération ont été appliqués conformément aux dispositions législatives et conventionnelles applicables (CE, 22 mai 2019, n° 407401, mentionné dans les tables du Recueil Lebon) et si les mesures de reclassement et de maintien dans l’emploi sont suffisantes.

Par cet arrêt, la chambre sociale de la  Cour de cassation précise l'étendue de l'autorité de la chose décidée par l’autorité administrative saisie d'une demande d’homologation d’un PSE : elle décide que le juge judiciaire n'en a pas méconnu l'autorité en se déclarant compétent pour s’assurer de la réalité de la suppression des postes de salariés relevant des catégories professionnelles visées par le PSE et de l’application des critères d’ordre de licenciement, compte tenu des postes nouvellement créés par ce PSE.

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