N°14 - Mars/Avril 2022 (Contrat de travail, formation)

Lettre de la chambre sociale

Une sélection des arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation (Contrat de travail, durée du travail, transfert d'entreprise, santé au travail, libertés fondamentales, représentation des salariés, conflits collectifs du travail, procédure, QPC)

  • Travail
  • contrat de travail, formation
  • travail réglementation, durée du travail
  • accident du travail, maladie professionnelle
  • contrat de travail, rupture
  • vie personnelle du salarié et libertés individuelles et collectives
  • représentation des salariés
  • conflits collectifs du travail (grève / lock-out...)
  • procédure civile et sociale

Lettre de la chambre sociale

N°14 - Mars/Avril 2022 (Contrat de travail, formation)

Existence du contrat de travail et travailleur de plateforme

Soc., 13 avril 2022, pourvoi n° 20-14.870, FS-B

Sommaire :

Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Peut constituer un indice de subordination le travail au sein d'un service organisé lorsque l'employeur en détermine unilatéralement les conditions d'exécution.

Ne donne pas de base légale à sa décision, la cour d'appel qui retient l'existence d'un contrat de travail entre un chauffeur et une plateforme en se déterminant par des motifs insuffisants à caractériser l'exercice d'un travail au sein d'un service organisé selon des conditions déterminées unilatéralement par la plateforme, sans constater que celle-ci a adressé au chauffeur des directives sur les modalités d'exécution du travail, et qu'elle disposait du pouvoir d'en contrôler le respect et d'en sanctionner l'inobservation.

 

Commentaire :

La chambre sociale de la Cour de cassation se prononce pour la première fois sur le statut d’un travailleur, exerçant une activité de chauffeur en recourant à la plateforme de mobilité dénommée « Le Cab », appartenant à la société Voxtur (désormais placée en liquidation judiciaire).

Cet arrêt se démarque de la décision emblématique rendue par la formation plénière de cette chambre dans un litige opposant un chauffeur à la société Uber (Soc.4 mars 2020, n°19-13.316, publié au rapport annuel).

Dans cette dernière affaire, la Cour de cassation, après avoir rappelé sa jurisprudence classique quant à la définition du lien de subordination issue de l'arrêt Société générale du 13 novembre 1996 (n° 94-13187), avait approuvé la cour d’appel d’avoir retenu l’existence d’un contrat de travail, en relevant, non seulement que le chauffeur avait intégré un service de prestation de transport créé et entièrement organisé par cette société, mais également que celui-ci s’était vu imposer un itinéraire particulier dont il n'avait pas le libre choix et pour lequel des corrections tarifaires étaient appliquées si le chauffeur ne suivait pas cet itinéraire, que la société avait la faculté de déconnecter temporairement le chauffeur de son application à partir de trois refus de courses et que le chauffeur pouvait perdre l'accès à son compte en cas de dépassement d'un taux d'annulation de commandes ou de signalements de comportements problématiques, ce dont il résultait l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui avait le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements.

C’est en mobilisant largement la notion de « travail au sein d'un service organisé lorsque l'employeur en détermine unilatéralement les conditions d'exécution » que la cour d’appel de Paris, dans l’affaire Voxtur ayant donné lieu à l’arrêt de cassation du 12 avril 2022, avait retenu l’existence d’un contrat de travail.

Or, l’exercice d’un travail au sein d'un service organisé ne constitue qu’un indice d’un lien de subordination, qui, depuis l’arrêt Bardou du 6 juillet 1931, est entendu comme une subordination juridique.

Les éléments retenus par la cour d’appel, s’ils attestaient des contraintes pesant sur le chauffeur, présentaient essentiellement une coloration économique (interdépendance entre les contrats de location et d'adhésion à la plateforme, fixation unilatérale du montant des courses et facturation par la plateforme, incitation à accepter des courses), ou bien participaient du service proposé par la plateforme de mobilité, et en l’espèce, de son positionnement sur un secteur « haut de gamme » (absence de choix du véhicule, évaluation du chauffeur par les clients eux-mêmes, conditionnant le maintien de la relation contractuelle...). La géolocalisation du chauffeur est une condition même du bon fonctionnement de la plateforme, puisque comme la cour d’appel l’avait souligné, elle permettait d’assurer une répartition optimisée et efficace des courses. Si les juges du fond ont retenu dans cette affaire que cette géolocalisation permettait d’assurer un contrôle du chauffeur, il n’en résultait pas, au contraire du cas d’espèce que la chambre sociale avait examiné à l’occasion de l’affaire « Uber » ayant donné lieu à l’arrêt du 4 mars 2020, que cette géolocalisation avait permis de contrôler l’exécution de directives données au chauffeur dans l’exécution de sa prestation, directives dont l’existence n’avait d’ailleurs pas été relevée par la cour d’appel, pas plus qu’elle n’avait constaté l’existence d’un pouvoir de sanction de leur non-respect.

C’est donc en constatant que la cour d’appel s’était déterminée par des motifs insuffisants à caractériser l'exercice d'un travail au sein d'un service organisé selon des conditions déterminées unilatéralement par la plateforme, sans constater que celle-ci a adressé au chauffeur des directives sur les modalités d'exécution du travail, et qu'elle disposait du pouvoir d'en contrôler le respect et d'en sanctionner l'inobservation, que la chambre sociale a cassé l’arrêt.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.