N°13 - Janvier/Février 2022 (Procédure)

Lettre de la chambre sociale

Une sélection des arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation (Exécution du contrat de travail, durée du travail, rupture du contrat de travail, représentation des salariés, statut collectif du travail, libertés fondamentales, procédure).

  • Travail
  • contrat de travail, exécution
  • travail réglementation, durée du travail
  • contrat de travail, rupture
  • représentation des salariés
  • statut collectif du travail
  • vie personnelle du salarié et libertés individuelles et collectives
  • procédure civile
  • procédure prud'homale

Lettre de la chambre sociale

N°13 - Janvier/Février 2022 (Procédure)

Compétence du conseil de prud’hommes

Soc., 19 janvier 2022, pourvoi n° 19-19.313, FS-B

Sommaire :

Il résulte des articles R. 662-3 du code de commerce et 51 du code de procédure civile, dans leur rédaction antérieure au décret n°2019-966 du 18 septembre 2019, et L.625-1 du code de commerce, que la juridiction prud’homale n’est pas compétente pour connaître de la demande incidente formée par un salarié pour obtenir la condamnation du liquidateur de la société qui l’employait à garantir le paiement des sommes fixées au titre des créances salariales au passif de la liquidation. Une telle demande relève de la compétence du tribunal de grande instance (désormais tribunal judiciaire).

Doit dès lors être cassé l’arrêt qui retient que le conseil de prud’hommes a compétence pour statuer sur la demande de responsabilité personnelle du liquidateur au motif qu’elle est une demande accessoire à la demande principale de fixation de salaires.

 

Commentaire :

A l’occasion de ce pourvoi, la chambre maintient la solution résultant d’arrêts anciens écartant la compétence matérielle de la juridiction prud’homale au profit du tribunal de grande instance (désormais tribunal judiciaire) pour connaître de l’action en responsabilité civile engagée par un salarié contre le liquidateur judiciaire pris à titre personnel, par voie d’intervention forcée, pour obtenir sa condamnation à garantir le paiement des sommes fixées au passif de la liquidation de l’employeur, sur le fondement de l’article L. 625-1 du code de commerce, faute pour lui d’avoir procédé au licenciement dans les quinze jours du prononcé de la liquidation judiciaire de l’employeur, privant ainsi le salarié de la garantie de l’AGS (Soc., 12 février 1992, pourvoi n° 89-44.630 ; Soc., 17 mai 1994, pourvoi n° 92-44.385 ; Soc., 2 avril 1998, pourvoi n° 96-40.040).

Les textes relatifs aux procédures collectives (art. 123 et 125 de la loi du 25 janvier 1985) prévoient une compétence d’attribution exclusive et d’ordre public du conseil de prud’hommes pour statuer sur la demande initiale en fixation de la créance salariale du salarié. En revanche, l’article R. 662-3 du code de commerce donne compétence au tribunal de grande instance en matière de responsabilité du mandataire ou liquidateur judiciaire.

L’extension de compétence s’agissant de la demande incidente aux fins de condamnation du liquidateur se heurte à la lettre de l’article 51 du CPC (Soc., 22 janvier 2020, pourvoi n°17-31.266), qui prévoit de laisser au tribunal de grande instance, juridiction de droit commun, la connaissance de toutes les demandes incidentes qui n’entrent pas dans la compétence d’attribution exclusive d’une autre juridiction.

En conséquence, est censuré l’arrêt de cour d’appel qui n’a pas distingué la demande principale en fixation de créance salariale de la demande incidente en responsabilité du liquidateur.

Absence de caducité de la déclaration d’appel dans le cas où les conclusions établies et signées par le défenseur syndical sont remises au greffe par le salarié

Soc., 2 février 2022 pourvoi n° 19-21.810, F-B+L

Sommaire :

Il résulte de l’article R. 1461-1, alinéa 2, et de l'article R. 1453-2, 2°, du code du travail, selon lesquels en matière prud'homale les actes de la procédure d'appel qui sont mis à la charge de l'avocat sont valablement accomplis par le défenseur syndical, et de l'article 930-2, alinéa 2, du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-1008 du 10 mai 2017, selon lequel les actes de procédure effectués par le défenseur syndical peuvent être établis sur support papier et remis au greffe, que la remise de l'acte peut être effectuée au greffe au nom du défenseur syndical, par toute personne qu'il a mandatée à cette fin.    

    

Commentaire :

Par le présent arrêt, la chambre sociale a approuvé une cour d'appel qui a écarté la caducité de l'appel alors que les conclusions avaient été établies et signées par le défenseur syndical mais remises au greffe par la salariée.

L'appel, interjeté en février 2017, relevait des dispositions suivantes :

- d'une part, en application du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, de la procédure écrite ainsi que de la représentation obligatoire, la spécificité prud'homale permettant aux parties d'être représentées par un avocat ou un défenseur syndical ;

- d'autre part de l'article 930-2 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, lequel énonçait que « les actes de procédure effectués par le défenseur syndical peuvent être établis sur support papier et remis au greffe », sans prévoir la possibilité de les adresser par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Cette possibilité a été introduite par le décret n° 2017-1008 du 10 mai 2017, applicable à compter du 12 mai 2017, mais la chambre sociale avait précédemment jugé que la remise au greffe d'un acte de procédure s'entendait nécessairement d'une remise matérielle excluant l'envoi sous forme de lettre recommandée avec avis de réception (Soc., 15 mai 2019, pourvoi n° 17-31.800, publié).

Au cas précis, a été distingué, d’une part, ce qui fait l'objet de la représentation obligatoire (l'établissement des conclusions, leur signature, et l'initiative du dépôt de l'acte) et, d’autre part, les opérations purement matérielles de remise des conclusions au greffe, lesquelles peuvent être effectuées, en l'absence de précision contraire des textes applicables, par toute personne que le défenseur syndical a mandatée pour cette tâche. La circonstance que la salariée elle-même ait effectué ces opérations ne justifiait donc pas la caducité de l'appel.

Disposition de nature réglementaire incompatible avec le droit de l’Union européenne : incompétence du juge judiciaire pour la déclarer inopposable erga omnes

Soc., 16 février 2022, pourvoi n° 20-21.758, FS-B

Sommaire :

Le juge judiciaire n'est pas compétent pour déclarer inopposable erga omnes une disposition de nature réglementaire, quand bien même il est allégué que cette disposition est incompatible avec une directive de l'Union européenne, une telle action relevant de la juridiction administrative chargée d'appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l'Union européenne.

 

Commentaire :

Dans cette affaire, la chambre sociale de la Cour de cassation était invitée à s’emparer du contrôle, au vu des dispositions de droit de l’Union d’effet direct, à titre principal et non pas incident, des actes de nature réglementaire par voie de déclaration d’inopposabilité erga omnes de ces derniers.

La chambre sociale rappelle le principe d'autonomie procédurale, en vertu duquel il appartient à chaque État membre de régler les modalités de la procédure administrative et celles de la procédure juridictionnelle destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l'Union. Elle constate que si, selon l'article 5 du code civil, le juge judiciaire ne peut se prononcer par voie d'arrêts de règlement,  conformément à la jurisprudence du Conseil d'Etat, Compagnie Alitalia (CE, Ass., 3 février 1989, n° 74052), d'une part, les autorités nationales sont tenues d'adapter leur législation et leur réglementation aux directives et ne peuvent ni laisser subsister ni édicter des dispositions réglementaires contraires aux objectifs de celles-ci, d'autre part, ces obligations sont contrôlées par le juge administratif. La chambre sociale en déduit, en considération de cette compétence garantissant le plein effet du droit de l'Union, que le juge judiciaire n'est pas compétent pour déclarer inopposable erga omnes une disposition de nature réglementaire, quand bien même il est allégué que cette disposition est incompatible avec une directive de l'Union européenne.

Cette décision s’accorde avec l’arrêt du Tribunal des conflits SCEA du Chéneau (TC, 17 octobre 2011, Bull. 2011, décision n° 24) selon lequel le juge judiciaire a compétence pour appliquer le droit de l’Union, sans être tenu de saisir au préalable la juridiction administrative d’une question préjudicielle, dans le cas où serait en cause devant lui à titre incident, la conformité d’un acte administratif au droit de l’Union européenne. En effet, dans une telle hypothèse, la décision du juge judiciaire n’a pour effet de rendre inopposable l’acte en cause qu’à l’égard de la partie contre laquelle celui-ci est invoqué.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.