N°13 - Janvier/Février 2022 (Libertés fondamentales)

Lettre de la chambre sociale

Une sélection des arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation (Exécution du contrat de travail, durée du travail, rupture du contrat de travail, représentation des salariés, statut collectif du travail, libertés fondamentales, procédure).

  • Travail
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  • travail réglementation, durée du travail
  • contrat de travail, rupture
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  • statut collectif du travail
  • vie personnelle du salarié et libertés individuelles et collectives
  • procédure civile
  • procédure prud'homale

Lettre de la chambre sociale

N°13 - Janvier/Février 2022 (Libertés fondamentales)

Liberté religieuse, discrimination et refus du salarié d’exécuter sa prestation de travail

Soc., 19 janvier 2022, pourvoi n° 20-14.014, FS-B+L

Sommaire :

Selon les articles L. 1121-1, L. 1132-1, dans leur rédaction applicable, et L. 1133-1 du code du travail, mettant en œuvre en droit interne les dispositions des articles 2, § 2, et 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché.

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 14 mars 2017, Micropole Univers, C-188/15), que la notion d'« exigence professionnelle essentielle et déterminante », au sens de l'article 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d'exercice de l'activité professionnelle en cause.

Doit être censuré l'arrêt qui, pour annuler la mutation disciplinaire et le licenciement subséquent du salarié, retient le caractère discriminatoire de cette mutation prononcée par l'employeur au motif de son refus de prendre en considération l'interdiction religieuse invoquée par le salarié, édictée par sa religion hindouiste, pour refuser de rejoindre son affectation sur le site d'un cimetière, alors que la mutation disciplinaire prononcée par l'employeur était justifiée par une exigence professionnelle et déterminante au sens de l'article 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 au regard, d'une part de la nature et des conditions d'exercice de l'activité du salarié, chef d'équipe dans le secteur de la propreté, affecté sur un site pour exécuter ses tâches contractuelles en vertu d'une clause de mobilité légitimement mise en œuvre par l'employeur, d'autre part du caractère proportionné au but recherché de la mesure, laquelle permettait le maintien de la relation de travail par l'affectation du salarié sur un autre site de nettoyage, ce dont elle aurait dû déduire que la mutation disciplinaire ne constituait pas une discrimination directe injustifiée en raison des convictions religieuses du salarié.

 

Commentaire :

Dans la présente affaire, un salarié, chef d’équipe dans le secteur de la propreté, est muté disciplinairement compte tenu de son refus de rejoindre le poste sur lequel il avait été affecté en exécution de la clause de mobilité de son contrat de travail, refus que le salarié avait motivé par l’incompatibilité de ce poste, l’amenant à travailler dans un cimetière, avec ses convictions religieuses hindouistes. Il est par la suite licencié en raison de son refus de rejoindre sa nouvelle affectation.

La cour d’appel a retenu le caractère discriminatoire de la sanction disciplinaire de mutation et du licenciement et les a annulés.

Par un moyen soulevé d’office et s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 14 mars 2017, Micropole Univers, C-188/15), la chambre sociale se prononce pour la première fois sur le cas d’un salarié refusant d’exécuter sa prestation de travail pour un motif qu’il estime discriminatoire, sa mutation disciplinaire portant atteinte selon lui à l’exercice de sa liberté religieuse. La Cour, au contraire, analyse la sanction disciplinaire à l’aune de l’existence d’une clause contractuelle de mobilité, et au caractère justifié par l’exigence professionnelle essentielle et déterminante de la mesure.

Dans cette décision nuancée, la chambre sociale retient que la mutation disciplinaire du salarié ne constituait pas une discrimination directe injustifiée en raison de ses convictions religieuses et que le licenciement n’est dès lors pas nul. Elle s’attache à exiger du juge du fond qu’il vérifie tant la nature et les conditions d’exercice de l’activité du salarié que le caractère proportionné au but recherché de la mesure décidée par l’employeur.

L’arrêt est décrypté dans le podcast « La Sociale, le Mag’ » n° 4, février 2022, Décryptage.

Vie personnelle du salarié et droit d’affichage des institutions représentatives du personnel

Soc., 16 février 2022, pourvoi n° 20-14.416, FS-B+L

Sommaire :

Il résulte de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 9 du code civil et l'article L. 2315-15 du code du travail que le respect de la vie personnelle d'un salarié n'est pas en lui-même un obstacle à l'application de l'article L. 2315-15 du code du travail, nonobstant l'obligation de discrétion à laquelle sont tenus les représentants du personnel à l'égard des informations revêtant un caractère confidentiel, dès lors que l'affichage par un membre de la délégation du personnel du comité social et économique d'informations relevant de la vie personnelle d'un salarié est indispensable à la défense du droit à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, lequel participe des missions du comité social et économique en application de l'article L. 2312-9 du code du travail, et que l'atteinte ainsi portée à la vie personnelle est proportionnée au but poursuivi.

 

Commentaire :

Par cet arrêt, la chambre sociale se prononce sur la conciliation du droit d’affichage des membres de la délégation du personnel du comité social et économique, prévu à l’article L. 2315-15 du code du travail, avec la protection des informations à caractère personnel, s’agissant de l’affichage d’extraits d’un message électronique, s’apparentant, par sa teneur, à un avertissement.

La chambre s’inscrit dans le sillage de sa jurisprudence traditionnelle sur la protection de la vie personnelle des salariés (Soc., 22 septembre 2021, pourvoi n° 19-26.144, publié). Ainsi, elle affirme, aux visas de l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de l’article 9 et de l’article L. 2315-15 du code du travail, que le respect de la vie personnelle n’est pas en lui-même un obstacle à l’application de ce dernier article dès lors que l’affichage par un membre de la délégation du personnel du comité social et économique d’informations relevant de la vie personnelle du salarié est indispensable à la poursuite d’une mission légalement dévolue au comité social et économique, à savoir la défense du droit à la protection de la santé et de la sécurité du travailleur et que l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle est proportionnée au but poursuivi.

En considération de la circonstance que le message électronique en cause était adressé personnellement et exclusivement par le directeur d’établissement au directeur en charge de certaines missions d’hygiène, de sécurité et d’environnement et de la teneur disciplinaire de celui-ci, la chambre le rattache à la vie personnelle du salarié. Ainsi, elle retient que l’avertissement perd son caractère professionnel pour relever de la vie personnelle dès lors qu’il sort du cercle formé par l’employeur et le salarié sanctionné.

Cependant, la chambre censure, pour manque de base légale, l'arrêt de la cour d'appel, faute pour celle-ci d'avoir démontré le caractère indispensable à la défense du droit à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs de l'affichage du message en cause et la proportionnalité au but poursuivi de l'atteinte portée à la vie personnelle.

Liberté d’expression du salarié, lanceur d’alerte et nullité du licenciement

Soc., 16 février 2022, pourvoi n° 19-17.871, FS-B+L

Sommaire :

Il résulte des articles L. 1121-1 du code du travail et 10§1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.

Le licenciement prononcé par l’employeur pour un motif lié à l’exercice non abusif par le salarié de sa liberté d’expression est nul.

 

Commentaire :

Le litige s’inscrit dans le cadre de l’article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, antérieure à celle de la loi Sapin II n° 2016-1691 du 9 décembre 2016. La loi de 2013 offre une protection au lanceur d’alerte et celle de 2016, un statut. L’immunité disciplinaire est accordée au salarié lanceur d’alerte dans le cadre professionnel, sauf mauvaise foi et à la condition qu’il ait relaté ou témoigné de faits susceptibles d’être constitutifs d’un délit ou d’un crime. Les licenciements ou mesures disciplinaires prononcés en violation de l’article susvisé sont nuls

Cependant, dans la présente affaire, il n’était pas nécessaire d’examiner la question sous l’angle du statut de lanceur d’alerte, s’agissant d’un salarié licencié pour avoir abusé de sa liberté d’expression, précisément en exprimant son désaccord sur un projet de l’employeur.

La chambre sociale censure la cour d’appel qui, ayant retenu que le salarié ne pouvait être licencié pour les propos tenus, qui n’étaient ni injurieux ni excessifs ni diffamatoires, en a tiré comme conséquence que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse.

Cette décision s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence de la chambre sociale qui admet la nullité du licenciement en cas d’atteinte à une liberté fondamentale du salarié (Soc., 29 octobre 2013, pourvoi n° 12-22.447, Bull. 2013, V, n° 252 ; Soc., 30 juin 2016, pourvoi n° 15-10.557, Bull. 2016, V, n° 140, publié au rapport annuel).

Après avoir rappelé que sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées, la chambre sociale énonce pour la première fois, de façon très claire à l’occasion de ce litige, que la sanction du licenciement prononcé par l’employeur pour un motif lié à l’exercice non abusif par le salarié de sa liberté d’expression est la nullité et non l’absence de cause réelle et sérieuse comme l’avait retenue la cour d’appel.

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