N°13 - Janvier/Février 2022 (Contrat de travail, rupture)

Lettre de la chambre sociale

Une sélection des arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation (Exécution du contrat de travail, durée du travail, rupture du contrat de travail, représentation des salariés, statut collectif du travail, libertés fondamentales, procédure).

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Lettre de la chambre sociale

N°13 - Janvier/Février 2022 (Contrat de travail, rupture)

Rupture conventionnelle et clause de non-concurrence

Soc., 26 janvier 2022, pourvoi n° 20-15.755, FS-B

Sommaire :

En matière de rupture conventionnelle, l'employeur, s'il entend renoncer à l'exécution de la clause de non-concurrence, doit le faire au plus tard à la date de rupture fixée par la convention, nonobstant toutes stipulations ou dispositions contraires.

 

Commentaire :

La chambre sociale opère une évolution de jurisprudence sur le point de départ du délai de renonciation à la clause de non concurrence en cas de rupture conventionnelle.

La chambre jugeait jusqu’à présent que le délai dont dispose contractuellement l'employeur à compter de la notification de la rupture du contrat pour dispenser le salarié de l'exécution de l'obligation de non-concurrence, a pour point de départ, en cas de rupture conventionnelle du contrat, la date de la rupture fixée par la convention de rupture (Soc., 29 janvier 2014, pourvoi n° 12-22.116, Bull. 2014, V, n° 35).

Cependant, la chambre sociale juge qu’en cas de licenciement, si le salarié est dispensé de l’exécution de son préavis, l'employeur, s'il entend renoncer à l'exécution de la clause de non-concurrence, ne peut le faire au plus tard qu'à la date du départ effectif du salarié de l'entreprise, nonobstant toute disposition ou stipulation contraire (Soc., 13 mars 2013, pourvoi n° 11-21.150, Bull. 2013, V, n° 72).

Le présent arrêt permet de mettre en conformité ces deux jurisprudences, et de s’assurer que le salarié soit informé, au plus tard au jour de son départ effectif de l’entreprise, de la renonciation de l’employeur à l’obligation de non-concurrence, que la rupture résulte d’un licenciement ou de la signature d’une convention par les parties. La référence à la date d’effet de la rupture fixée par la convention est conservée mais quand bien même la clause de non-concurrence autoriserait-elle la levée de l’obligation dans un certain délai après la rupture du contrat de travail, la renonciation de l’employeur ne peut survenir, en cas de rupture conventionnelle, au plus tard qu’au jour de la date de rupture fixée par le contrat.

Résiliation judiciaire, indemnités de rupture et application des dispositions issues de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017

Soc., 16 février 2022, pourvoi n° 20-16.184, FS-B

Sommaire :

Lorsque le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail d'un salarié aux torts de l'employeur et que la rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les dispositions issues de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relatives au montant de l'indemnité due à ce titre sont applicables dès lors que la résiliation judiciaire prend effet à une date postérieure à celle de la publication de l'ordonnance.

 

Commentaire :

Il est de jurisprudence constante que la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Soc., 11 juillet 2000, pourvoi n° 98-45.471, Bull. 2000, V, n° 271), dont la prise d'effet coïncide  avec celle de la décision judiciaire la prononçant (Soc., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-10.346, Bull. 2017, V, n° 154),  dès lors que le contrat n’a pas été rompu avant cette date (Soc. 24 avril 2013, n° 11-28.629, Bull. V, n° 113) et que le salarié se trouve au service de l’employeur (Soc., 21 septembre 2016, n° 14-30.056, Bull. V, n° 169). En conséquence, pour statuer sur la demande de résiliation, le juge ne doit pas seulement examiner les faits antérieurs à la date d'introduction de l'instance, mais, aussi apprécier les manquements de l’employeur au jour de sa décision (Soc., 29 janvier 2014, n° 12-24.951, Bull. V, n° 37).

Il convient donc, pour déterminer le régime applicable à l’indemnité due au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse, de se référer à la date de prise d’effet de la résiliation et non à la date de la demande de résiliation judiciaire. Ainsi, la chambre sociale de la Cour de cassation retient que l'article L. 1235-3 du code du travail, encadrant le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, s'applique à la résiliation judiciaire du contrat de travail d'un salarié aux torts de l'employeur prononcée postérieurement à la publication de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, quelle que puisse être la date d'introduction de l'instance. Il en résulte que dans l’hypothèse où le juge prononcerait la résiliation judiciaire postérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 22 septembre 2017, mais fixerait les effets de cette résiliation à une date antérieure, l’indemnisation devrait être faite suivant l’ancien régime.

Licenciement pour motif économique sans cause réelle et sérieuse et annulation de la décision d’homologation du plan de sauvegarde de l’emploi : non cumul d’indemnités (deux arrêts)

Soc., 16 février 2022, pourvoi n° 19-21.140, FS-B+L

Sommaire :

L'indemnité prévue par l'article L. 1235-16 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, qui répare le préjudice résultant pour le salarié du caractère illicite de son licenciement, ne se cumule pas avec l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui répare le même préjudice lié à la perte injustifiée de l'emploi.

Doit en conséquence être censurée la cour d'appel qui condamne l'employeur à payer aux salariés une indemnité sur le fondement de l'article L. 1235-16 du code du travail, à la suite de l'annulation de la décision d'homologation du document unilatéral de plan de sauvegarde de l'emploi, alors qu'elle avait jugé que les licenciements étaient sans cause réelle et sérieuse et avait alloué aux intéressés une indemnité à ce titre.

 

Commentaire :

La question posée est inédite : l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse prévue par l’article L. 1235-3 du code du travail peut-elle se cumuler avec celle prévue par l’article L. 1235-16 du même code, applicable aux entreprises in bonis, en cas d’annulation de la décision d’homologation ou de validation du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) pour un motif autre que l’absence ou l’insuffisance du plan ?

A cette interrogation, la chambre sociale répond qu’il n’y a pas de cumul possible des indemnités minimales de six mois de salaire prévues par ces deux textes, en raison de l’impossibilité d’obtenir deux fois la réparation du même préjudice, ces indemnités étant de même nature.

En effet, le premier texte vise à réparer pour le salarié la perte injustifiée de son emploi. Le second a pour objet d’assurer aux salariés une indemnisation minimale de la perte injustifiée de leur emploi en cas d'annulation de la décision de validation ou d’homologation du PSE prononcée pour un motif autre que l’absence ou l’insuffisance du plan : dans cette hypothèse, le salarié ne peut prétendre qu'à l'indemnisation de son préjudice qui ne peut pas être inférieure à six mois de salaire, la réintégration n'étant pas de droit (voir sur ce point, deux questions prioritaires de constitutionnalité : Soc., 24 mars 2016, pourvoi n°16-40.010, Bull. 2016, V, n° 59 ; Soc., 5 février 2020, pourvoi n° 19-40.036, publié). Dans ce cas, l’annulation de la décision d’homologation ou de validation du PSE n’emporte pas la nullité du licenciement mais affecte sa régularité, l’indemnité réparant le caractère illicite du licenciement.

La solution s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence excluant la possibilité de cumul d’indemnités réparant le même préjudice (Soc., 30 juin 2010, pourvoi n° 09-40.347, Bull. 2010, V, n° 154 ; Soc., 15 octobre 2013, pourvoi n° 12-21.746, Bull. 2013, V, n° 233 ; Soc., 27 janvier 2021, pourvoi n° 18-23.535, publié (FP-P+R+I) ; Soc., 15 décembre 2021, pourvoi n° 20-18.782, publié (FS-B+L)).

Les salariés doivent donc opter pour l’une ou l’autre de ces indemnités, avec la possibilité qu’ils majorent leur demande au titre de la seule indemnité choisie.

L’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse étant désormais plafonnée, depuis l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 qui a instauré la barémisation des indemnités, la question se pose de l’avenir d’une telle solution lorsqu’il s’agira d’appliquer la nouvelle version de l’article L. 1235-3 du code du travail.

 

Soc., 16 février 2022, pourvoi n° 20-14.969, FS-B+L

Sommaire :

L'indemnité prévue par l'article L. 1233-58, II, alinéa 5, du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, en vigueur du 1er juillet 2013 au 1er juillet 2014, qui répare le préjudice résultant pour le salarié du caractère illicite de son licenciement, ne se cumule pas avec l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui répare le même préjudice lié à la perte injustifiée de l'emploi.

Après avoir dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement des salariés, une cour d'appel rejette à bon droit leur demande en paiement d'une indemnité à ce titre, aux motifs qu'ils ne peuvent être indemnisés une seconde fois, le préjudice résultant du caractère illicite de leur licenciement étant déjà réparé par l'indemnité qu'elle leur avait allouée en application de l'article L. 1233-58, II, précité, à la suite de l'annulation de la décision d'homologation du document unilatéral de plan de sauvegarde de l'emploi.

 

Commentaire :

La question soulevée est, là encore, inédite : l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse prévue par l’article L. 1235-3 du code du travail et celle pour non-respect des critères d’ordre des licenciements à raison de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 1233-5 du même code, peuvent-elles, lorsque les licenciements économiques sont intervenus en l’absence de toute décision relative à la validation ou à l’homologation d’un plan de sauvegarde de l’emploi ou en cas d’annulation d’une telle décision, se cumuler avec l’indemnité prévue par l’article  L. 1233-58, II, al.5, du code du travail, applicable aux sociétés faisant l’objet d’un  redressement ou  liquidation judiciaire?

La chambre sociale apporte une réponse identique sur la question du non-cumul des indemnités, considérant que l’indemnité prévue par l’article L. 1233-58, II, répare déjà le préjudice spécifique lié à la perte de l’emploi, de sorte que lorsque le licenciement est illicite dans le cadre des articles L. 1233-58, II, s’agissant des entreprises en redressement ou liquidation judiciaire ou L.  1235-16, s’agissant des entreprises in bonis, le salarié ne peut cumuler l’indemnité prévue par ces textes avec une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou avec l’indemnité pour non-respect des critères d’ordre.

En revanche, l’indemnité prévue par l’article L. 1233-58, II, se cumule avec l’indemnité légale de licenciement, de nature différente (Soc., 19 décembre 2018, pourvoi n°17-26.132,(1)(2),  publié), étant précisé que l’annulation de la décision administrative qui avait validé le PSE ne prive pas, en elle-même, les licenciements économiques de cause réelle et sérieuse et les salariés de leur droit aux indemnités correspondantes (Soc., 25 mars 2020, pourvoi n° 18-23.692 (2), FS-P+B, commenté à la LCS n°4, mars/avril 2020).

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