n°12 - Novembre/Décembre 2021 (Durée du travail)

Lettre de la chambre sociale

Une sélection des arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation.

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  • procédure prud'homale, procédure civile

Lettre de la chambre sociale

n°12 - Novembre/Décembre 2021 (Durée du travail)

Requalification du contrat de travail à temps partiel en temps complet

Soc., 17 novembre 2021, pourvoi n° 20-10.734, FS-B

 

Sommaire :

Sauf exceptions prévues par la loi, il ne peut être dérogé par l'employeur à l'obligation de mentionner, dans le contrat de travail à temps partiel, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue, et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois.

Viole l'article L. 3123-14 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, une cour d'appel qui rejette la demande d'un salarié, engagé dans le cadre d'un horaire individualisé, en requalification de son contrat de travail à temps partiel en temps plein après avoir constaté que le contrat de travail ne mentionnait pas la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois.

 

Commentaire :

La chambre sociale se prononce pour la première fois sur l’application de l’article L. 3123-14 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, qui impose la mention, dans le contrat de travail, notamment de la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, à un contrat de travail à temps partiel stipulant des horaires individualisés.

Elle censure ainsi la cour d’appel qui n’a pas appliqué les règles d’ordre public liées au temps partiel.

Dans l’hypothèse d’un contrat irrégulier pour défaut de la mention susvisée, comme au cas d’espèce, la cour d’appel aurait dû retenir une présomption simple de temps plein, qu’il appartenait à l’employeur de renverser, l’application de ces règles primant sur la prise en compte d’une situation d’horaires individualisés. Une telle organisation du travail ne dispense pas l’employeur de communiquer dans le contrat de travail les informations relatives à la répartition des horaires de nature à permettre au salarié de disposer des éléments nécessaires à l’organisation de son temps de travail à temps partiel avec ses autres activités. 

La solution, qui interroge ici la pertinence du dispositif des horaires individualisés dans un contrat à temps partiel, est à lire en lien avec un arrêt rendu sur le portage salarial (Soc., 17 février 2010, pourvoi n° 08-40.671, Bull. 2010, V, n° 41).

Durée du travail et accords de modulation

Soc., 17 novembre 2021, pourvoi n° 19-25.149, FS-B sur le premier moyen

 

Sommaire :

L’accord de modulation qui relève de l’organisation collective du travail est, sauf disposition contractuelle contraire, applicable au salarié engagé postérieurement à sa mise en œuvre au sein de l’entreprise.

 

Commentaire :

La présente affaire pose la question de savoir si un salarié engagé postérieurement à la mise en œuvre d’accord de modulation dans l’entreprise, mais antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, qui dispose que la mise en œuvre d’un accord de modulation du travail ne constitue pas une modification du contrat de travail d’un salarié à temps complet, doit consentir à l’application de cette modulation du temps de travail.

La chambre sociale répond par la négative et confirme, s’agissant de la mise en place d’un système de modulation du temps de travail, pour des faits antérieurs à la loi du 22 mars 2012, la distinction entre les salariés engagés antérieurement à la mise en place de ce système, qui doivent donner leur accord exprès à la modification du contrat de travail qui en résulte (Soc., 25 septembre 2013, pourvoi n° 12-17.776, 12-17.777, Bull. 2013, V, n° 217) et ceux engagés postérieurement et qui, soumis aux règles collectives et sauf disposition dérogatoire de leur contrat de travail, n’avaient pas à donner leur consentement à l’application dudit système.

L’arrêt est commenté dans le podcast « La Sociale, le Mag’ » n° 2, décembre 2021, Actualités.

Convention collective nationale des experts-comptables, forfaits-jours et rémunération

Soc., 17 novembre 2021, pourvoi n° 19-16.756, FS-B sur les 1ère et 3ème branches

 

Sommaire 1 :

Les arrêts rendus par la Cour de cassation le 14 mai 2014 (Soc., 14 mai 2014, pourvoi n° 12-35.033, Bull. 2014, V, n° 121 et Soc., 14 mai 2014, pourvoi n° 13-10.637) ne constituant pas un revirement par rapport à l’arrêt rendu par la même juridiction le 12 janvier 2011 (Soc., 12 janvier 2011, pourvoi n° 09-69.679), ne porte pas atteinte à une situation juridiquement acquise et ne viole ni l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la cour d’appel qui déclare nulle la clause du contrat de travail relative au forfait en jours, conclue sur le fondement de la convention collective nationale des cabinets d'experts-comptables et de commissaires aux comptes du 9 décembre 1974, dont elle a retenu que les stipulations n’étaient pas de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés concernés.

 

Sommaire 2 :

La rémunération des heures accomplies au-delà de la durée légale du travail à laquelle peut prétendre le salarié dont la clause de forfait en jours a été déclarée nulle se calcule sur le salaire de base réel de celui-ci et non nécessairement sur le salaire minimum conventionnel.

 

Commentaire :

La chambre sociale juge qu’il n’y a pas d’atteinte au principe de sécurité juridique dans l’application, à une convention individuelle de forfait en jours antérieure, d’une jurisprudence (Soc., 14 mai 2014, pourvoi n° 12-35.033, Bull. 2014, V, n° 121), ayant invalidé les dispositions de la convention collective nationale des cabinets d'experts-comptables et commissaires aux comptes du 9 décembre 1974 relatives aux conventions de forfait en jours.

Cette jurisprudence s’inscrit en effet dans la continuité de celle introduite en 2011 sur le contrôle des dispositions conventionnelles se rapportant aux conventions de forfait en jours (Soc., 29 juin 2011, pourvoi n° 09-71.107, Bull. 2011, V, n° 181) pour la mise en œuvre des principes constitutionnels et européens de repos et de santé au travail

Par cette même décision, elle vient ainsi préciser l’assiette de calcul des heures supplémentaires pouvant découler de la nullité de la convention individuelle de forfait en jours, en dissociant cette assiette du salaire minimum conventionnel. Le salaire pour le calcul de ces rappels de salaires au titre des heures supplémentaires à prendre en compte est le salaire contractuel, qui n’est pas remis en cause par l’invalidation de la convention individuelle de forfait en jours, et non le minimum conventionnel, qui n’est que la limite inférieure imposée aux parties lors de la fixation de la rémunération du salarié.

Durée du travail, durée maximale de travail et forfait-jours

Soc., 15 décembre 2021, pourvoi n° 19-18.226, FS-B sur le premier moyen du pourvoi principal et le moyen relevé d’office

 

Sommaire 1 :

Si un syndicat peut agir en justice pour contraindre un employeur à mettre fin à un dispositif irrégulier de recours au forfait en jours, sous réserve de l'exercice éventuel par les salariés concernés des droits qu'il tiennent de la relation contractuelle, et à satisfaire aux obligations conventionnelles de nature à assurer le respect des durées maximales raisonnables de travail ainsi que les repos quotidiens et hebdomadaires, ses demandes tendant à obtenir, d’une part, la nullité ou l’inopposabilité des conventions individuelles de forfait en jours des salariés concernés et, d’autre part, que le décompte du temps de leur travail soit effectué selon les règles du droit commun, qui n’ont pas pour objet la défense de l’intérêt collectif de la profession, ne sont pas recevables.

 

Sommaire 2 :

Il découle des dispositions de l’article 4 de l’accord d’entreprise prévoyant, d’une part, que la mission et la charge de travail confiées aux cadres ne devaient pas conduire à imposer un horaire moyen sur l'année supérieur à huit heures de temps de travail effectif par jour soit l'équivalent de 1736 heures à l'année pour la majorité des cadres, d’autre part, que les cadres ne devraient pas dépasser un horaire quotidien de dix heures de temps de travail effectif et ne pourraient être astreints à respecter un tel horaire, que l’employeur doit définir et adapter  la charge de travail confiée au salarié dans le respect des plafonds horaires conventionnels.

Il résulte de l’accord d’entreprise, qui prévoient également de rechercher une organisation du temps de travail permettant l'octroi systématique des deux jours entiers de repos hebdomadaire par semaine accolés ou non suivant les besoins des établissements et que chaque cadre devrait bénéficier d'un repos hebdomadaire d'une durée minimale de 35 heures consécutives, sauf dérogation en cas de circonstances exceptionnelles et dans les conditions prescrites par la législation, que l’employeur doit notamment veiller au risque de surcharge de travail du salarié et y remédier, de sorte que le contrôle de la durée maximale de travail soit assuré.

Fait l’exacte application de la loi la cour d’appel, qui a retenu que les stipulations de l’accord d’entreprise étaient de nature à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés ayant conclu une convention de forfait en jours.

 

Sommaire 3 :

Le non-respect par l'employeur des clauses de l'accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis au régime du forfait en jours n’entraîne pas son inopposabilité aux salariés, mais la privation d’effet de la convention individuelle conclue en application de cet accord.

 

Commentaire :

Dans la présente affaire, un syndicat avait saisi un tribunal de grande instance afin de voir prononcer la nullité de l’accord pour le développement de l’emploi par la réduction négociée et l’aménagement du temps de travail concernant le personnel d’encadrement signé le 11 janvier 2001 au sein des sociétés Conforama France, Cogedem et Conforama management services. Il sollicitait également que soit prononcée la nullité des conventions de forfait en jours signées en application de cet accord, en soutenant que ce texte ne respectait pas le droit à la santé et à la sécurité des salariés.

La chambre sociale apporte ici plusieurs précisions importantes.

En premier lieu, elle définit les contours de la qualité à agir en justice d’un syndicat. Un syndicat peut agir en justice pour contraindre un employeur à mettre fin à un dispositif irrégulier de recours au forfait en jours, sous réserve de l'exercice éventuel par les salariés concernés des droits qu'ils tiennent de la relation contractuelle, et à satisfaire aux obligations conventionnelles de nature à assurer le respect des durées maximales raisonnables de travail ainsi que les repos quotidiens et hebdomadaires. En revanche ses demandes tendant à obtenir, d’une part, la nullité ou l’inopposabilité des conventions individuelles de forfait en jours des salariés concernés et, d’autre part, que le décompte du temps de leur travail soit effectué selon les règles du droit commun, qui n’ont pas pour objet la défense de l’intérêt collectif de la profession, ne sont pas recevables. Le syndicat ne peut donc pas, au titre de l’intérêt collectif de la profession demander que soient rétablis les droits individuels des salariés en conséquence de l’action engagée sur le fondement de l’intérêt collectif. Il appartient à chaque salarié d’engager, dans le respect du délai de prescription applicable, son action individuelle et de justifier de la réalité des droits invoqués.

Ensuite, cet arrêt, après avoir rappelé les termes de l’accord d’entreprise a précisé la portée qui devait lui être donnée. La Cour de cassation a ainsi mis en exergue les éléments permettant de constater que ce texte prévoyait que l’employeur devait veiller au risque de surcharge de travail du salarié et y remédier de sorte que la contrôle de la durée maximale de travail soit assuré, approuve la cour d’appel d’avoir retenu que les stipulations de l’accord d’entreprise étaient de nature à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés ayant conclu une convention de forfait en jours. Cet arrêt s'inscrit dans la continuité de la jurisprudence de la chambre sociale relative à l’obligation faite aux juges de vérifier que les accords collectifs ayant servi de support à la conclusion d'une convention de forfait en jours permettent d'assurer ces garanties (Soc., 29 juin 2011, pourvoi n° 09-71.107, Bull. 2011, V, n° 181 ; Soc., 17 décembre 2014, pourvoi n° 13-22.890, Bull. 2014, V, n° 301). Il n’en demeure pas moins que si, après avoir retenu l’interprétation permettant à l’accord collectif de répondre aux exigences posées par la jurisprudence, la chambre sociale a retenu que cet accord était valide, l’employeur reste tenu de respecter l’ensemble des obligations pesant ainsi sur lui.

Enfin, la chambre sociale juge de manière constante (Soc., 29 juin 2011, pourvoi n° 09-71.107, Bull. 2011, V, n° 181, Soc., 2 juillet 2014, pourvoi n° 13-11.940, Bull. 2014, V, n° 272) que le défaut de respect par l’employeur des clauses de l’accord collectif destinées à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés soumis à un régime de forfait en jours prive d’effet la convention de forfait et que le salarié, s’il étaye sa demande, peut prétendre au paiement d’heures supplémentaires. Cependant, par un moyen relevé d’office, elle juge pour la première fois qu’en cas d’inexécution de l’accord collectif par l’employeur, la sanction n’est pas l’inopposabilité de l’accord collectif lui-même (qui au contraire est bien opposé aux parties pour parvenir à la sanction de la défaillance de l’employeur), mais la privation d’effet de la convention individuelle de forfait en jours conclue en application de cet accord collectif.

Durée du travail et caractérisation de l’existence d’une convention de forfait

Soc., 15 décembre 2021, pourvoi n° 15-24.990, FS-B sur le 1er moyen, 2ème branche des pourvois principaux

 

Sommaire :

La seule fixation d’une rémunération forfaitaire, sans que ne soit déterminé le nombre d’heures supplémentaires inclus dans cette rémunération ne permet pas de caractériser une convention de forfait.

 

Commentaire :

La chambre sociale résout ici la question de savoir s’il faut réserver un sort particulier aux conventions de forfait de rémunération signées entre une société et les avocats qu’elle a engagés en qualité de salariés, alors que ces conventions ne précisent pas le nombre d’heures supplémentaires inclus dans la rémunération.

Selon une jurisprudence ancienne et constante de la chambre, la seule fixation d’une rémunération forfaitaire, sans que ne soit fixé le nombre d’heures supplémentaires inclus dans cette rémunération, ne permet pas de caractériser une convention de forfait (Soc 19 janvier 1999, pourvoi n° 96-45.628, Soc 3 mai 2011, pourvoi n° 09-71.037, 09-70.813; Soc 4 décembre 2019, pourvoi n° 18-15.963 ; Soc., 30 septembre 2020, pourvoi n° 18-26.795). La qualité d’avocat du salarié concerné n’a aucune incidence sur les conditions de validité du forfait. En présence d’une convention de forfait de salaire irrégulière, le décompte des heures supplémentaires s’effectue selon le droit commun (Soc., 5 juin 2013, pourvoi n° 12-14.729).

Par cet arrêt, qui s’inscrit dans la continuité d’un arrêt diffusé du 14 décembre 2016 (Soc., 16 décembre 2016, pourvoi n° 15-22.144), la chambre sociale réaffirme sa jurisprudence et approuve la cour d’appel qui ayant constaté que la convention de forfait de rémunération ne précisait pas le nombre d’heures supplémentaires inclus dans la rémunération, en a déduit que les parties ne pouvaient avoir valablement conclu une telle convention et que le salarié pouvait réclamer le paiement d’heures supplémentaires accomplies selon le droit commun.

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