n°12 - Novembre/Décembre 2021 (Contrat de travail, rupture)

Lettre de la chambre sociale

Une sélection des arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation.

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  • procédure prud'homale, procédure civile

Lettre de la chambre sociale

n°12 - Novembre/Décembre 2021 (Contrat de travail, rupture)

Licenciement, absence de dispense d’exécution du préavis, indemnité compensatrice de préavis et salarié malade ou inapte

Soc., 17 novembre 2021, pourvoi n° 20-14.848, FS-P+B

 

Sommaire :

Il résulte de l’article L. 1234-5 du code du travail que lorsque le licenciement, prononcé pour absence prolongée désorganisant l’entreprise et rendant nécessaire le remplacement définitif de l’intéressé, est dépourvu de cause réelle et sérieuse, le juge doit accorder au salarié, qui le demande, l'indemnité de préavis et les congés payés afférents nonobstant son arrêt de travail pour maladie au cours de cette période.

 

Commentaire :

Par cet arrêt, la chambre sociale ouvre un nouveau cas d’exception au principe selon lequel le salarié licencié qui, non dispensé de l’exécution de son préavis par l’employeur, n’est pas en mesure d’exécuter celui-ci, en raison de son arrêt de travail pour maladie (Soc., 6 mai 2009, pourvoi n° 08-40.997) ou de son inaptitude (Soc., 19 février 1992, pourvoi n° 90-43.434, Bull. 1992, V, n° 97 (2)), ne peut prétendre à l’indemnité compensatrice prévue par l’article L.1234-5 du code du travail.

La chambre jugeait déjà que, par exception à ce principe, le salarié empêché peut néanmoins prétendre à l’indemnité de préavis dans les hypothèses suivantes :

- lorsque l’arrêt de travail pour maladie résulte du harcèlement moral imputable à l’employeur (Soc., 20 septembre 2006, pourvoi n° 05-41.385, Bull. 2006, V, n° 274) ;

- lorsque le salarié est licencié pour avoir refusé la mise en œuvre abusive d’une clause de mobilité (Soc., 18 mai 1999, pourvoi n° 96-44.315, Bull. 1999, V, n°219) ;

- en cas de modification unilatérale du contrat de travail par l’employeur (Soc., 13 mai 2008, pourvoi n° 06-40.086)

- lorsque le contrat de travail est rompu par la prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Soc., 20 janvier 2010, pourvoi n° 08-43.476, Bull. 2010, V, n° 17), ou par une résiliation judiciaire (Soc., 28 avril 2011, pourvois n° 09-40.840, 09-40.708, Bull. 2011, V, n° 102) ;

- lorsque le licenciement pour faute grave est déclaré sans cause réelle et sérieuse (Soc., 9 octobre 2001, pourvoi n° 99-43.518, Bull. 2001, V, n° 308) ;

- en cas de licenciement nul (Soc., 5 juin 2001, pourvoi n° 99-41.186, Bull. 2001, V, n° 211),

- en cas de manquement de l’employeur à l’obligation de reclassement, préalable au licenciement pour inaptitude (Soc., 26 novembre 2002, pourvoi n° 00-41.633, Bull. 2002, V, n° 354).

Il résulte donc de cet arrêt que lorsque le licenciement prononcé pour absence prolongée désorganisant l'entreprise et rendant nécessaire le remplacement définitif de l'intéressé, est dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié a droit au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, nonobstant son arrêt de travail pour maladie au cours de cette période.

Salariés protégés, annulation de l’autorisation de licencier et action en résiliation judiciaire

Soc., 10 novembre 2021, pourvoi n° 20-12.604, FS-B

 

Sommaire :

Le contrat de travail du salarié protégé, licencié sur le fondement d'une autorisation administrative ensuite annulée, et qui ne demande pas sa réintégration, est rompu par l'effet du licenciement. Lorsque l'annulation est devenue définitive, le salarié a droit, d'une part, en application de l'article L. 2422-4 du code du travail, au paiement d'une indemnité égale à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois suivant la notification de la décision d'annulation, d'autre part, au paiement des indemnités de rupture, s'il n'en a pas bénéficié au moment du licenciement et s'il remplit les conditions pour y prétendre, et de l'indemnité prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail, s'il est établi que son licenciement était, au moment où il a été prononcé, dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Ces dispositions font obstacle à ce que la juridiction prud'homale se prononce sur la demande de résiliation judiciaire formée par le salarié protégé, même si sa saisine est antérieure à la rupture.

 

Commentaire :

La chambre sociale de la Cour de cassation rappelle, dans la lignée de sa jurisprudence constante (Soc., 11 octobre 2017, pourvoi n° 16-14.529, Bull. 2017, V, n° 177), que le contrat de travail du salarié protégé licencié après autorisation ultérieurement annulée est, s’il ne demande pas sa réintégration, rompu par l’effet du licenciement.

En conséquence, le salarié protégé qui avait sollicité une résiliation avant le licenciement doit avoir sollicité sa réintégration pour que sa demande de résiliation soit examinée lorsque l’autorisation de licenciement est annulée. A défaut, le salarié a droit aux indemnités prévues par l’article L.2422-4 du code du travail, liées à l’annulation de l’autorisation de licenciement, mais la rupture est acquise.

Salarié protégé, annulation de l’autorisation de licencier et impossibilité de réintégration

Soc., 1er décembre 2021, pourvoi n° 19-25.715, FP-B

 

Sommaire :

En application de l'article L. 2422-1 du code du travail, le salarié protégé dont le licenciement est nul en raison de l'annulation de l'autorisation administrative doit être, s'il le demande, réintégré dans son emploi ou un emploi équivalent. Il en résulte que l'employeur ne peut licencier un salarié à la suite d'un licenciement pour lequel l'autorisation a été annulée que s'il a satisfait à cette obligation ou s'il justifie d'une impossibilité de réintégration.

Ayant constaté que, tenu par son obligation de sécurité dont participe l'obligation de prévention du harcèlement moral, l'employeur ne pouvait pas réintégrer une salariée dès lors que celle-ci était la supérieure hiérarchique des autres salariés de l'entreprise, lesquels soutenaient avoir été victimes du harcèlement moral de cette dernière et avaient à ce propos exercé leur droit de retrait, de sorte qu'était caractérisée l'impossibilité de réintégration, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

 

Commentaire :

La chambre sociale se prononce sur la question de l’obligation de réintégration d’un salarié dont le licenciement est annulé lorsque ce salarié a commis des actes de harcèlement moral.

Il résulte d’une précédente décision que l’employeur est tenu, au titre de son obligation de sécurité, de prendre toutes les mesures utiles à la prévention d’agissements de harcèlement moral (Soc., 1 juin 2016, pourvoi n° 14-19.702, Bull. 2016, V, n° 123).

Dès lors, la chambre sociale décide que malgré l’annulation de l’autorisation de licenciement pour des raisons tenant à un vice de forme, l’employeur peut invoquer une impossibilité de réintégration lorsque le retour du salarié, dont le licenciement est annulé, serait de nature à exposer les autres salariés à des agissements de harcèlement moral. Jusqu’à présent, l’impossibilité de réintégration ne pouvait être caractérisée que lorsque le poste du salarié avait été supprimé et qu’il n’y avait pas d’autre poste disponible.

L’arrêt est commenté dans le podcast « La Sociale, le Mag’ » n° 2, décembre 2021, Actualités.

Licenciement annulé, rémunération et indemnité d’éviction

Soc., 1er décembre 2021, pourvoi n° 19-24.766, FP-B+R

 

Sommaire :

Par arrêt du 25 juin 2020 (CJUE, 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria, aff. C- 762/18 et Iccrea Banca, aff. C-37-19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle un travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l'annulation de son licenciement par une décision judiciaire, n'a pas droit à des congés annuels payés pour la période comprise entre la date du licenciement et la date de sa réintégration dans son emploi, au motif que, pendant cette période, ce travailleur n'a pas accompli un travail effectif au service de l'employeur.

Il en résulte que sauf lorsque le salarié a occupé un autre emploi durant la période d'éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi, il peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L.3141-3 et L.3141-9 du code du travail.

Doit en conséquence être cassé l'arrêt qui, pour rejeter la demande du salarié tendant à obtenir que l’employeur soit condamné à lui payer une rémunération pour chaque mois écoulé entre son éviction de l’entreprise et sa réintégration assortie des congés payés afférents, retient que la période d'éviction n'ouvre pas droit à acquisition de jours de congés.

Une note explicative  de cet arrêt est disponible sur le site internet de la Cour de cassation.

Rupture du contrat de travail, conflit de lois et détermination de la base de calcul des indemnités de rupture

Soc., 8 décembre 2021, pourvoi n° 20-11.738, FS-B

 

Sommaire n° 1 :

La détermination du caractère plus favorable d'une loi doit résulter d'une appréciation globale des dispositions de cette loi ayant le même objet ou se rapportant à la même cause.

Il résulte des dispositions de l'article 3, § 3, de la convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles que les dispositions impératives d'une loi sont celles auxquelles cette loi ne permet pas de déroger par contrat.

Il ne peut être dérogé par contrat aux dispositions de la loi française en matière de rupture du contrat de travail.

La cour d'appel, qui a retenu que concernant la rupture du contrat de travail le code du travail marocain ne prévoit pour le salarié que l'hypothèse de la démission et qu'il énumère limitativement les cas de fautes graves commises par l'employeur de nature à dire le licenciement abusif, si le salarié quitte son travail, en a exactement déduit que les dispositions impératives de la loi française en matière de rupture du contrat de travail, telles qu'interprétées de manière constante par la Cour de cassation, selon lesquelles la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié qui démontre l'existence d'un manquement suffisamment grave de son employeur pour empêcher la poursuite du contrat de travail, produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et ouvre droit à son profit au paiement des indemnités afférentes, étaient plus favorables.

 

Sommaire n° 2 :

En application des articles L. 1234-5, L. 1234-9 et R. 1234-4 du code du travail, le montant des indemnités de rupture doit être déterminé sur la base de la rémunération perçue par le salarié dont peuvent seulement être déduites les sommes représentant le remboursement de frais exposés pour l'exécution du travail.

Il en résulte que les sommes prélevées par l’employeur sur les salaires au titre de l'impôt sur le revenu dû par le salarié ne peuvent être exclues de la rémunération pour le calcul des indemnités de rupture.

 

Sommaire n° 3 :

En vertu des articles 3 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, les règles d'application des conventions collectives étant fixées par des normes légales et impératives tendant à protéger les salariés, l'application du droit français emporte celle des conventions qu'il rend obligatoires.

En application des articles L. 2261-15 et L. 2261-19 du code du travail et du principe de séparation des pouvoirs le juge judiciaire n'a pas à vérifier, en présence d'un accord professionnel étendu, que l'employeur, compris dans le champ d'application professionnel et territorial de cet accord, en est signataire ou relève d'une organisation patronale représentative dans le champ de l'accord et signataire de celui-ci.

 

Commentaire :

La chambre sociale rappelle qu’en matière de conflit de lois, il résulte des stipulations de l’article 3§3 de la convention de Rome du 19 juin 1980 que les dispositions impératives d’une loi sont celles auxquelles la loi ne permet pas de déroger par contrat.

Or, le droit français ne prévoit pas de cas de dérogation contractuelle aux dispositions légales en matière de rupture du contrat de travail.

La chambre sociale, faisant application de sa jurisprudence antérieure considérant que l’appréciation du caractère plus favorable d’une loi résulte d’une appréciation globale des dispositions de cette loi ayant le même objet ou se rapportant à la même cause (Soc., 12 novembre 2002, pourvois n° 99-45.821, 99-45.888, Bull. 2002, V, n° 339), relève le caractère plus favorable des dispositions impératives de la loi française par rapport au code du travail marocain en matière de prise d’acte. Elle retient par la suite qu’il n’y a pas lieu de distinguer la nature de la rupture du régime indemnitaire qui s’y rattache.

Elle instaure également un contrôle lourd sur l’appréciation du caractère plus favorable de la loi française en comparaison avec la teneur, constatée par les juridictions de fond, de la loi étrangère.

Ensuite, la chambre sociale juge que les sommes prélevées par l’employeur sur les salaires au titre de l’impôt sur le revenu dû par le salarié doivent être intégrées dans l’assiette de calcul des indemnités de rupture.

Enfin, la chambre sociale confirme sa jurisprudence relative à l’identification de dispositions impératives en concours dans le cadre d’un conflit de lois, reprenant en termes identiques l’attendu de principe qu’elle avait d’ores et déjà exprimé dans un arrêt en date du 27 novembre 2019, en jugeant que le juge judiciaire n'a pas à vérifier, en présence d'un accord professionnel étendu, que l'employeur, compris dans le champ d'application professionnel et territorial de cet accord, en est signataire ou relève d'une organisation patronale représentative dans le champ de l'accord et signataire de celui-ci (Soc., 27 novembre 2019, pourvoi n° 17-31.442, Bull. 2019, V, publié).

Licenciement sans cause réelle et sérieuse et indemnité de l’article L. 1226-2-2 du code du travail

Soc., 15 décembre 2021, pourvoi n° 20-18.782, FS-B

 

Sommaire n° 1 :

En application de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse mise à la charge de l'employeur ne peut excéder, au regard de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise et au montant de son salaire brut, le montant maximal fixé par ce texte exprimé en mois de salaire brut.

 

Sommaire n° 2 :

L'indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de notification écrite des motifs qui s'opposent au reclassement prévue à l'article L.1226-2-1 du code du travail et l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ne se cumulent pas.

 

Commentaire :

La chambre sociale précise d’abord les modalités de calcul du montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dans une précédente décision, elle avait décidé qu’à défaut pour le juge de se prononcer sur l’imputation des cotisations et contributions sociales, l’indemnité allouée au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse est brute, l’employeur devant donc procéder au précompte sur cette somme (Soc., 3 juillet 2019, pourvoi n° 18-12.149, publié).

Transposant cette règle dans le cadre de la mise en œuvre du barème instauré par  l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, et constatant que ces dispositions expriment un plafond d’indemnité en mois de  salaire « brut », la chambre casse un arrêt d’une cour d’appel ayant alloué au salarié, à titre d’indemnité, une somme exprimée en net, correspondant à ce montant maximum.

Si l’arrêt précité du 3 juillet 2019 autorise les juges à choisir d’allouer une indemnité « nette », à condition de le préciser, ils doivent toutefois veiller à ne pas dépasser le plafond prévu par le barème.

Il doit être souligné que dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 décembre 2021, la cour d’appel avait jugé le barème conforme aux stipulations de l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT, et que cette question n’était plus soulevée devant la Cour de cassation.

La chambre sociale précise ensuite les règles de cumul applicables à l’indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l’absence de la notification prévue à l’article L. 1226-2-1 du code du travail, issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016.

Cet article, applicable en cas d’inaptitude ne résultant pas d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, fait obligation à l’employeur de notifier par écrit au salarié les motifs s’opposant à son reclassement.

Cette obligation n’existait précédemment que dans le cas de l’inaptitude consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle. La chambre sociale avait alors décidé que l’indemnité pour défaut de notification écrite ne se cumulait pas avec l’indemnité prévue par l’article L. 1226-15 du code du travail (Soc., 18 novembre 2003, pourvoi n° 01-43.710, Bull. 2003, V, n° 286).

Le présent arrêt transpose cette solution dans l’hypothèse d’un licenciement pour inaptitude non professionnelle jugé sans cause réelle et sérieuse.

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