n°11 - Septembre/Octobre 2021 (Durée du travail)

Lettre de la chambre sociale

Une sélection commentée des arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation (Contrat de travail à durée déterminée, durée du travail, rémunération en frais professionnels, santé au travail, rupture du contrat de travail, représentation des salariés, statut collectif du travail, action en justice, statut particulier).

  • Travail
  • contrat de travail à durée déterminée
  • travail réglementation, durée du travail
  • travail réglementation, rémunération
  • etat de santé - accident du travail et maladie professionnelle
  • contrat de travail, rupture
  • représentation des salariés
  • statut collectif du travail
  • action en justice
  • statuts professionnels particuliers

Lettre de la chambre sociale

n°11 - Septembre/Octobre 2021 (Durée du travail)

Temps partiel : requalification en temps plein en cas de dépassement hebdomadaire de la durée, même définie sur une base mensuelle

Soc., 15 septembre 2021, pourvoi n° 19-19.563, FS-B

Sommaire :

Il résulte de la combinaison de l'article L. 3121-10 du code du travail, qui fixe la durée légale du travail effectif à trente-cinq heures par semaine civile, et de l'article L. 3123-17 du même code, selon lequel les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée du travail accomplie par un salarié à temps partiel au niveau de la durée légale du travail ou de la durée fixée conventionnellement, qu'un contrat de travail à temps partiel doit être requalifié en contrat de travail à temps complet, lorsque le salarié travaille trente-cinq heures ou plus au cours d'une semaine, quand bien même le contrat aurait fixé la durée de travail convenue sur une période mensuelle.

 

Commentaire :

Par cet arrêt, la chambre sociale répond à la question de savoir si, s’agissant de l’exécution d’un contrat de travail à temps partiel dont la durée de travail est définie sur une base mensuelle, le dépassement de la durée légale de travail sur une seule semaine peut entraîner la requalification de ce contrat en un contrat de travail à temps plein.

La chambre sociale rappelle tout d’abord, qu’il résulte de l’article L. 3121-10 du code du travail, que la durée légale du travail est la durée fixée dans le cadre hebdomadaire de trente-cinq heures par semaine civile. Dès lors, l’accomplissement d’heures complémentaires ayant pour effet de porter la durée du travail accomplie par le salarié, sur une semaine, à un niveau égal ou supérieur à cette durée légale, doit conduire le juge à requalifier, à compter de ce dépassement, le contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet même si la durée de travail a été fixée contractuellement sur une base mensuelle.

Ce faisant, elle poursuit la construction jurisprudentielle qui tend à veiller à la stricte application des dispositions légales en matière de temps partiel modulé (Soc., 12 septembre 2018, pourvois n° 16-18.030 et 16-18.037, Bull. 2018, V, n° 152 ; Soc., 23 janvier 2019, pourvoi n° 17-19.393, Bull. 2019, V, publié; Soc., 18 décembre 2019, pourvoi n° 18-12.447, Bull. 2019, V, publié).

Congés payés : défaut de conformité au droit de l’Union européenne et détermination des droits du salarié malade

Soc., 15 septembre 2021, pourvoi n° 20-16.010, FS-B

Sommaire n° 1 :

Le paragraphe XIV alinéa 4 du règlement intérieur annexé à la convention collective nationale du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957 ne s'applique pas aux salariés dont la rémunération a été maintenue pendant la maladie et qui entrent dans les prévisions de l'article 38 d) alinéa 4 de ladite convention collective.  

Fait l'exacte application des dispositions conventionnelles interprétées à la lumière de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 la cour d'appel qui, après avoir constaté que le salarié avait fait l'objet d'un arrêt de travail pour maladie reconnue en affection de longue durée du 27 décembre 2013 au 24 janvier 2016 et qu'il avait bénéficié du maintien de salaire, a décidé que cette période n'entraînait aucune réduction du droit à congé payé.

 

Sommaire n° 2 :

Si des dispositions ou pratiques nationales peuvent limiter le cumul des droits au congé annuel payé d'un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives au moyen d'une période de report à l'expiration de laquelle le droit au congé annuel payé s'éteint, dès lors que cette période de report dépasse substantiellement la durée de la période de référence, la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, ne fait pas obligation aux Etats membres de prévoir une telle limitation.

Fait une exacte application de la loi, la cour d'appel qui a retenu que le paragraphe XIV du règlement intérieur type annexé à la convention collective nationale du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957 ne pouvait avoir pour effet de priver le salarié de tout droit à report des congés payés.

 

Sommaire n° 3 :

Le paragraphe XIV du règlement intérieur type annexé à la convention collective nationale du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957 a pour objet de limiter à douze mois la période pendant laquelle un salarié, absent pour l'une des causes qu'il prévoit, peut acquérir des droits à congés payés et non d'organiser la perte de droits acquis qui n'auraient pas été exercés au terme d'un délai de report substantiellement supérieur à la période de référence.

 

Commentaire :

Avec l’arrêt du 15 septembre 2021, la chambre sociale de la Cour de cassation précise les conditions dans lesquelles les droits à congés payés d’un salarié malade doivent être examinés par le juge lorsque celui-ci est confronté à un défaut de conformité avec le droit de l’Union.

La Cour de cassation rappelle de façon liminaire, que selon la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, la directive 2003/88/CE n’opère aucune distinction entre les salariés absents en raison d’un congé maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé et qu’en cas d’absence pour congé maladie dûment prescrit, un Etat membre ne peut pas subordonner le droit au congé annuel payé à l’obligation d’avoir effectivement travaillé pendant la période de référence (CJUE, 20 janvier 2009, C-350/06, point 41 ; CJUE 24 janvier 2012, C-282/10, point 20).

Confronté à un dispositif légal, les articles L. 3141-3 et suivants du code du travail, qui subordonne l’acquisition de droits à congé payé à l’exécution d’un travail effectif ou à des périodes assimilées à un tel travail, le juge doit, d’abord, mettre en œuvre les méthodes d’interprétation du droit interne qui permettent d’atteindre la finalité poursuivie par la directive. En cas d’impossibilité d’interpréter le droit national afin d’assurer sa conformité à la directive 2003/88/CE, le juge doit vérifier si l’employeur a la qualité d’autorité publique (Soc., 22 juin 2016, pourvoi n° 15-20.111, Bull. V, n° 138 (1) ; Soc., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-24.022, Bull. 2017, V, n° 144 (2)). Si tel est le cas, le juge laissera la réglementation interne inappliquée pour mettre en œuvre directement l’article 7 de la directive 2003/88/CE et l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux. Si l’employeur, n’a pas la qualité d’autorité publique, la réglementation interne sera laissée inappliquée, mais seulement en application de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux.

Dans le cadre de la recherche d’une interprétation du droit interne de sorte à parvenir à une solution conforme aux finalités de la directive 2003/88 (Soc., 3 juillet 2012, pourvoi n° 08-44.834, Bull. 2012, V, n° 204), le juge ne doit pas se cantonner à la seule appréciation du texte qui laisse apparaître le défaut de conventionnalité. En effet, celui-ci peut se trouver radicalement contraire au droit de l’Union, or, la méthode de l’interprétation conforme ne permet pas de procéder à une interprétation contra legem, lorsque comme c’était le cas en l’espèce, les dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-5 du code du travail ne permettent à un salarié en arrêt de travail en raison d’une maladie non-professionnelle d’acquérir des droits à congés (Soc., 13 mars 2013, pourvoi n° 11-22.285, Bull. 2013, V, n° 73). Pour remplir son office, le juge doit explorer l’ensemble du champ normatif et des règles applicables, loi, règlement, accords collectifs, etc… En l’espèce, l’employeur contestait l’interprétation donnée par la cour d’appel aux dispositions conventionnelles. La Cour de cassation a réexaminé sa jurisprudence (Soc., 2 octobre 1997, pourvoi n° 94-44.795 ; Soc., 3 novembre 2005, pourvoi n° 03-45.838, Bull. 2005, V, 310 ; Soc., 7 avril 2009, pourvoi n° 07-45.251) et maintenu l’interprétation de la convention collective nationale des organismes de sécurité sociale, pour juger qu’en cas d’arrêt de travail pour cause de maladie avec maintien du salaire, la période d’absence est assimilée à du temps de travail effectif et ouvrait ainsi droit à des congés payés. La Cour de cassation a donc approuvé la cour d’appel qui, procédant à une interprétation des textes conventionnels conforme à la l’article 7 de la directive 2002/88/CE, sans leur conférer un effet direct, a fait droit à la demande de congés payés d’un salarié qui s’était trouvé en arrêt de travail pour cause de maladie non-professionnelle.

Une interprétation du droit interne conforme aux finalités de la directive 2003/88 ayant été retenue, le juge n’avait pas à se poser la question de savoir si l’employeur avait la qualité d’une autorité publique, ni à examiner les conditions dans lesquelles il pourrait être fait une application directe de l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux.

Une seconde question se posait quant aux conditions de report et d’éventuelle extinction des droits à congés acquis et non exercés pendant la période de référence. Certes, la Cour de Justice de l’Union européenne a admis que les droits à congés payés acquis pendant plusieurs périodes de référence consécutives ne sauraient répondre aux finalités de repos et de détente que dans une certaine limite temporelle. Au-delà de cette limite, le congé annuel est dépourvu de son effet positif pour le travailleur en sa qualité de temps de repos, ne gardant que sa qualité de période de détente. Dès lors, la cour de Luxembourg admet que les droits acquis par un salarié puissent s’éteindre au terme d’une période dépassant substantiellement la période de référence. C’est que la CJUE a admis qu’il était possible de prévoir une extinction des droits acquis après un report de quinze mois (CJUE, 22 novembre 2011, C- 214/10, KHS AG c/ Schulte), et écarté une telle extinction au terme d’une période de report limitée à neuf mois (CJUE, 3 mai 2012, C-337/10, Neidel). Soulignons que si le droit national peut prévoir une telle possibilité d’extinction des droits à congés, il n’en a pas l’obligation (Soc., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-24.022, Bull. 2017, V, n° 144 (2)).

Une telle extinction des droits à congés n’est possible que si le droit national le prévoit. Or, il ne faut pas confondre les conditions d’acquisition des droits à congés, telle qu’elles sont par exemple fixées par l’article L. 3141-5 du code du travail, avec une cause d’extinction de ces droits (Soc., 22 juin 2016, pourvoi n° 15-20.111, Bull. 2016, V, n° 138). Or, si la cour d’appel avait, à juste titre, retenu les possibilités de report du droit à congés acquis mais non exercés (Soc., 27 septembre 2007, pourvoi n° 05-42.293, Bull. 2007, V, n° 147), elle a considéré à tort que les conditions d’acquisition des droits à congés, telle qu’elles étaient prévues par l’article 14 du règlement intérieur annexé à la convention collective, pouvaient ouvrir une extinction de ces droits. Soulignons en outre, que même si une telle possibilité d’extinction avait été ouverte, il était en outre nécessaire qu’elle réponde à la condition posée par la Cour de Justice, à savoir que la période de report dépasse substantiellement la durée de la période de référence. Or, la période retenue par la cour d’appel est de douze mois, soit la même durée que la période de référence.

Soulignons à cet égard que la Cour de Luxembourg a jugé qu’une période de report de quinze mois avant perte des droits acquis était suffisante (CJUE, 22 novembre 2011, C-214/10, KHS AG c/ Shulte), alors qu’une période de neuf mois ne l’était pas (CJUE, 3 mai 2012, C-337/10, Neidel).

Congés payés : conditions de substitution de l’employeur par la caisse pour le paiement des indemnités au salarié

Soc., 22 septembre 2021, pourvoi n° 19-17.046, FS-B+R sur le 1er moyen

Sommaire :

Il appartient à l’employeur relevant d’une caisse de congés payés de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité de bénéficier effectivement de son droit à congé auprès de la caisse de congés payés et, en cas de contestation, de justifier qu’il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement. Seule l’exécution de cette obligation entraîne la substitution de l’employeur par la caisse pour le paiement de l’indemnité de congés payés.

 

Une note explicative de cet arrêt est disponible sur le site internet de la Cour de cassation.

Nullité de la convention de forfait en jours si l’accord collectif lui servant de support ne garantit pas le respect de la durée du travail et des repos

Soc., 13 octobre 2021, pourvoi n° 19-20.561, FS-B

Sommaire :

Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.

Il résulte des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 que les États membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.

Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

Les dispositions de l'annexe 2 - durée et organisation du temps de travail - à la convention collective nationale du Crédit agricole du 4 novembre 1987, issue de l'accord sur le temps de travail au Crédit agricole du 13 janvier 2000, qui se bornent à prévoir que le nombre de jours travaillés dans l'année est au plus de 205 jours, compte tenu d'un droit à congé payé complet, que le contrôle des jours travaillés et des jours de repos est effectué dans le cadre d'un bilan annuel, défini dans le présent accord et qu'un suivi hebdomadaire vérifie le respect des règles légales et conventionnelles les concernant en matière de temps de travail, notamment les onze heures de repos quotidien, sans instituer de suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, ne sont pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé. La convention de forfait en jours conclue en application de cet accord collectif est donc nulle.

 

Commentaire :

Dans la présente affaire, les juges du fond avaient débouté un salarié de sa demande en nullité de sa convention de forfait en jours conclue en application de l'annexe 2 à la convention collective nationale du Crédit agricole du 4 novembre 1987, issue de l'accord sur le temps de travail au Crédit agricole du 13 janvier 2000.

Par cet arrêt, la chambre sociale s'inscrit dans la lignée de sa jurisprudence constante faisant obligation aux juges de vérifier, le cas échéant d'office, que les accords collectifs ayant servi de support à la conclusion d'une convention individuelle de forfait en jours sont de nature à garantir le respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires (Soc., 24 avril 2013, pourvoi n° 11-28.398, Bull. 2013, V, n°117 ; Soc., 17 janvier 2018, pourvoi n° 16-15.124, Bull. 2018, V, n° 2 ; Soc., 6 novembre 2019, pourvoi n° 18-19.752, publié ; Soc., 24 mars 2021, pourvoi n° 19-12.208, publié).

En l'espèce, les dispositions de l'accord collectif n'assuraient pas ces garanties, puisqu’aucun système de contrôle effectif et régulier permettant à l’employeur à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable n’avait été mis en place. Or, la jurisprudence de la chambre sociale s’assure d’abord de la réalité et de l’effectivité des garanties que l’accord collectif doit prévoir. La nullité de la convention individuelle de forfait en jours conclue en application de cet accord était donc encourue.

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