n°11 - Septembre/Octobre 2021 (Contrat de travail, rupture)

Lettre de la chambre sociale

Une sélection commentée des arrêts rendus par la chambre sociale de la Cour de cassation (Contrat de travail à durée déterminée, durée du travail, rémunération en frais professionnels, santé au travail, rupture du contrat de travail, représentation des salariés, statut collectif du travail, action en justice, statut particulier).

  • Travail
  • contrat de travail à durée déterminée
  • travail réglementation, durée du travail
  • travail réglementation, rémunération
  • etat de santé - accident du travail et maladie professionnelle
  • contrat de travail, rupture
  • représentation des salariés
  • statut collectif du travail
  • action en justice
  • statuts professionnels particuliers

Lettre de la chambre sociale

n°11 - Septembre/Octobre 2021 (Contrat de travail, rupture)

Licenciement : violation d’une disposition conventionnelle ou d’un règlement intérieur et critères de qualification de garantie de fond

Soc., 8 septembre 2021, pourvoi n° 19-15.039, FS-B

Sommaire :

La consultation d'un organisme chargé, en vertu d'une disposition conventionnelle ou d'un règlement intérieur, de donner son avis sur un licenciement envisagé par un employeur constitue une garantie de fond, en sorte que le licenciement prononcé sans que cet organisme ait été consulté ne peut avoir de cause réelle et sérieuse.

L'irrégularité commise dans le déroulement de la procédure disciplinaire prévue par une disposition conventionnelle ou un règlement intérieur, est assimilée à la violation d'une garantie de fond et rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsqu'elle a privé le salarié de droits de sa défense ou lorsqu'elle est susceptible d'avoir exercé en l'espèce une influence sur la décision finale de licenciement par l'employeur.

 

Commentaire :

Après avoir jugé que la consultation d'un organisme chargé, en vertu d'une disposition conventionnelle ou d'un règlement intérieur, de donner son avis sur un licenciement envisagé par l'employeur constitue une garantie de fond, en sorte que le licenciement prononcé sans que cet organisme ait été consulté ne peut avoir de cause réelle et sérieuse (Soc., 28 mars 2000, pourvoi n° 97-43.411, Bull. 2000, V, n° 136), la chambre a progressivement construit une jurisprudence tendant à sanctionner comme une garantie de fond certaines irrégularités de forme survenues pendant la procédure conventionnelle, notamment quand l'irrégularité avait eu pour effet de priver le salarié de la faculté d'assurer utilement sa défense (Soc., 3 juin 2009, pourvoi n° 07-42.432, Bull. 2009, V, n° 142; Soc., 14 novembre 2013, pourvoi n° 12-21.703).

Dans le souci de clarifier les notions de garantie de fond et d'irrégularité de forme, et de permettre aux juges du fond de procéder à un examen in concreto des irrégularités procédurales qui leur sont soumises, la chambre fixe deux critères d'appréciation qui doivent être utilisés afin de déterminer si l’irrégularité doit être assimilée à la violation d'une garantie de fond ayant pour conséquence de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse : l'irrégularité a-t-elle privé le salarié du droit d’assurer sa défense ou est-elle susceptible d'avoir exercé une influence sur la décision finale de licenciement de l'employeur ?  Dans la négative, il s'agira simplement d'une irrégularité de forme.

Licenciement et autonomie de la chose jugée : question préjudicielle posée à la CJUE

Soc., 8 septembre 2021, pourvoi n° 19-20.538 FS-B

Sommaire :

Sont renvoyées à la Cour de justice de l'Union européenne les questions suivantes :

* 1/ Les articles 33 et 36 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale doivent-ils être interprétés en ce sens que, lorsque la loi de l'État membre d'origine de la décision confère à cette dernière une autorité telle que celle-ci fait obstacle à ce qu'une nouvelle action soit engagée par les mêmes parties afin qu'il soit statué sur les demandes qui auraient pu être formulées dès l'instance initiale, les effets déployés par cette décision dans l'État membre requis s'opposent à ce qu'un juge de ce dernier État, dont la loi applicable ratione temporis prévoyait en droit du travail une obligation similaire de concentration des prétentions statue sur de telles demandes ?

2/ En cas de réponse négative à cette première question, les articles 33 et 36 du règlement n° 44/2001 du Conseil doivent-ils être interprétés en ce sens qu'une action telle que celle en * unfair dismissal + au Royaume-Uni a la même cause et le même objet qu'une action telle que celle en licenciement sans cause réelle et sérieuse en droit français, de sorte que les demandes faites par le salarié de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis et d'indemnité de licenciement devant le juge français, après que le salarié a obtenu au Royaume-Uni une décision déclarant l' * unfair dismissal + et allouant des indemnités à ce titre (compensatory award), sont irrecevables ? Y a-t-il lieu à cet égard de distinguer entre les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui pourraient avoir la même cause et le même objet que le * compensatory award +, et les indemnités de licenciement et de préavis qui, en droit français, sont dues lorsque le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse mais ne sont pas dues en cas de licenciement fondé sur une faute grave ?

3/ De même, les articles 33 et 36 du règlement n° 44/2001 du Conseil doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ont la même cause et le même objet une action telle que celle en * unfair dismissal + au Royaume-Uni et une action en paiement de bonus ou de primes prévues au contrat de travail dès lors que ces actions se fondent sur le même rapport contractuel entre les parties ? +

 

Commentaire :

Par le présent arrêt, la chambre sociale de la Cour de cassation renvoie trois questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

En l’espèce, un salarié, engagé par contrat de droit anglais par une société, établie en France, pour exercer à Londres, a signé avec la même société en 2009 un contrat de droit français pour un détachement à Singapour, puis, par avenant de 2010, a été affecté à nouveau à Londres.

Licencié en 2013 pour des faits commis alors qu=il exerçait à Singapour, il a saisi successivement en 2013 l=Employment Tribunal de Londres pour licenciement abusif, qui a accueilli sa plainte, puis le conseil de prud=hommes de Paris en paiement notamment d’indemnités afférentes à son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La chambre sociale a, dans ces conditions, estimé qu=il était nécessaire de poser à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle relative à la notion autonome d’autorité de chose jugée, composée de trois interrogations :

- Le principe britannique de concentration des demandes s=incorpore-t-il à l’autorité de chose jugée ?

- En cas de réponse négative, comment convient-il d’interpréter l’identité de cause et d=objet en droit de l’Union européenne s’agissant de l’action en * unfair dismissal + au Royaume-Uni et de l’action en licenciement sans cause réelle et sérieuse en droit français ?

- De même, comment convient-il d’interpréter l’identité de cause et d=objet en droit de l’Union européenne s’agissant de l’action en * unfair dismissal + au Royaume-Uni et de l’action en paiement de bonus ou de primes dès lors que ces actions se fondent sur le même rapport contractuel entre les parties ?

Résiliation judiciaire ensuite d’un constat d’inaptitude du salarié : détermination des conséquences indemnitaires

Soc., 15 septembre 2021, pourvoi n° 19-24.498, FS-B

Sommaire :

Lorsque, postérieurement au constat de l'inaptitude, un contrat de travail est rompu par une résiliation judiciaire produisant les effets d'un licenciement nul, le salarié a droit, lorsque cette inaptitude est consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle, à l'indemnité spéciale de licenciement prévue par l'article L. 1226-14 du code du travail.

 

Commentaire :

La chambre sociale de la Cour de cassation décide ici que si, postérieurement au constat de l'inaptitude, un contrat de travail est rompu par une résiliation judiciaire produisant les effets d'un licenciement nul, le salarié a droit, lorsque cette inaptitude est consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle, à l'indemnité spéciale de licenciement prévue par l'article L. 1226-14 du code du travail.

Elle étend ainsi la solution adoptée en cas de résiliation judiciaire produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Soc., 20 février 2019, pourvoi n° 17-17.744, publié) à l'hypothèse d'une résiliation judiciaire produisant les effets d'un licenciement nul.

Licenciement économique d’un salarié inapte et obligation de reclassement

Soc., 15 septembre 2021, pourvoi n° 19-25.613, FS-B

Sommaire :

Viole les articles L. 1233-3 et L. 1226-10 du code du travail dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 applicable en la cause la cour d’appel qui dit dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour motif économique d’un salarié déclaré inapte à son poste, alors qu’elle constatait que le motif économique ressortissait à la cessation totale de l’activité de la société dont il n’était pas prétendu qu’elle appartenait à un groupe, ce dont se déduisait l’impossibilité de reclassement.

 

Commentaire :

Par cet arrêt, la chambre sociale répond à la question de savoir si un salarié déclaré inapte peut être licencié pour motif économique en raison de la cessation définitive de l’activité de la société employeur et de l‘impossibilité de le reclasser qui en découle.

La chambre sociale avait déjà répondu par l’affirmative à cette question, en cas de liquidation judiciaire de l’entreprise, en considérant que l’impossibilité de reclassement du salarié ressortissait à la cessation totale d'activité de l'entreprise mise en liquidation judiciaire sans poursuite d'activité (Soc., 4 octobre 2017, pourvoi n° 16-16.441, Bull. 2017, V, n° 168).

Par le présent arrêt, elle transpose cette solution à l’hypothèse de la liquidation amiable de l’entreprise, en soulignant, comme c’était déjà le cas dans le précédent précité, qu’il n’était pas soutenu par le salarié que cette entreprise appartenait à un groupe.

Licenciement économique et séparation des pouvoirs

Soc., 29 septembre 2021, pourvoi n° 19-23.248, FS-B

Sommaire n° 1 :

Il n'appartient pas au juge judiciaire, saisi avant la notification des licenciements pour motif économique, de se prononcer sur l'absence de cause économique des licenciements envisagés, ni d'enjoindre en conséquence à l'employeur de mettre fin au projet de fermeture du site de l'entreprise et au projet de licenciement économique collectif soumis à la consultation des instances représentatives du personnel.

 

Sommaire n° 2 :

Il résulte de l'article L. 1233-57-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017, que le respect du principe de la séparation des pouvoirs s'oppose à ce que le juge judiciaire se prononce sur le respect par l'employeur de son obligation de recherche d'un repreneur, laquelle relève de la seule compétence de la juridiction administrative, y compris lorsqu'est allégué un abus de droit par l'employeur.

 

Commentaire :

Par le présent arrêt, la chambre sociale de la Cour de cassation se prononce sur la question du respect du principe de la séparation des pouvoirs s’agissant de l’appréciation du motif économique d’un licenciement et de la caractérisation de l’abus de droit du refus de cession de l’entreprise dans le cadre des obligations légales de recherche d’un repreneur.

Cette affaire concernait le refus d’une société de donner suite à une offre de reprise de l’un de ses sites qu’elle avait décidé de fermer, entraînant la suppression de 872 emplois.

La chambre sociale réaffirme, tout d’abord, dans le cadre légal issu de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, la solution déjà dégagée dans son arrêt Viveo (Soc., 3 mai 2012, pourvoi n° 11-20.741, Bull. 2012, V, n° 129) : la nullité d’une procédure de licenciement pour motif économique ne peut être prononcée qu’en raison de l’absence ou de l’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi que l’employeur est tenu d’établir et la cause économique du licenciement est indifférente pour déterminer si la procédure de licenciement doit être annulée.

La chambre sociale décide, ensuite, que le respect du principe de la séparation des pouvoirs s'oppose à ce que le juge judiciaire se prononce sur le respect par l'employeur de son obligation de recherche d'un repreneur, laquelle relève de la seule compétence de la juridiction administrative, y compris lorsqu'est allégué un abus de droit par l'employeur (Soc., 16 janvier 2019, pourvoi n° 17-20.969, publié).

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