N°9 - Mars/avril 2021 (Travail, règlementation, santé et sécurité)

Lettre de la chambre sociale

Lettre de la chambre sociale

N°9 - Mars/avril 2021 (Travail, règlementation, santé et sécurité)

Contestation des décisions du médecin du travail portant sur des éléments de nature médicale, depuis l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017

Soc., avis n° 15-002, 17 mars 2021, pourvoi n° 21-70.002, P+I

La contestation dont peut être saisi le conseil de prud'hommes, en application de l'article L. 4624-7 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, doit porter sur l'avis du médecin du travail. Le conseil de prud'hommes peut, dans ce cadre, examiner les éléments de toute nature sur lesquels le médecin du travail s'est fondé pour rendre son avis.

Il substitue à cet avis sa propre décision, après avoir le cas échéant ordonné une mesure d'instruction.

Il ne peut déclarer inopposable à une partie l'avis rendu par le médecin du travail.

 

Commentaire :

Antérieurement à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'article L. 4624-1 du code du travail énonçait qu’en cas de difficulté ou désaccord sur les propositions du médecin du travail, un recours pouvait être formé devant l'inspecteur du travail dont relevait l'entreprise, après avis du médecin-inspecteur du travail. La loi précitée du 8 août 2016 a transféré la compétence de ce recours au conseil de prud'hommes, avec effet au 1er janvier 2017.

L’article L. 4624-7 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, entrée en vigueur le 1er janvier 2018 (et modifiée à la marge par l'ordonnance n°2019-738 du 19 juillet 2019) dispose que le salarié ou l'employeur peut saisir le conseil de prud’hommes selon la procédure accélérée au fond d'une contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale en application des articles L. 4624-2, L. 4624-3 et L. 4624-4 du code du travail.

Saisie d’une demande d’avis par un conseil de prud’hommes dans une affaire où l'employeur contestait la déclaration d'inaptitude en invoquant l'absence d'échange préalable entre le médecin du travail et lui (échange requis par l'article R4624-42 du code du travail), et demandait que cette déclaration lui soit déclarée inopposable motif pris de cette irrégularité, la chambre sociale de la Cour de cassation apporte, pour la première fois, des précisions sur l'objet de ce recours.

Ainsi, à la question de savoir si le conseil des prud'hommes statuant sur la procédure prévue à l'article L.4624-7 précité est compétent pour connaître de l'irrespect, par le médecin du travail, des procédures et diligences prescrites par la loi et le règlement, notamment celles issues des articles L.4624-4 et R.4624-42 du code du travail, la chambre sociale répond que la contestation «  doit porter sur l'avis du médecin du travail » : elle signifie par là que cette contestation porte sur le sens même de l'avis exprimé par le médecin du travail. S'agissant de la contestation d'un avis d'inaptitude, comme dans l'espèce soumise au conseil de prud'hommes de Cayenne, la contestation ne peut donc porter que sur la question de fond sur laquelle le médecin du travail s'est prononcé : le salarié est-il effectivement inapte à son poste de travail ?

La chambre sociale précise que dès lors qu’il est saisi d’une contestation portant sur l’avis du médecin du travail, le conseil de prud’hommes peut « examiner tous les éléments ayant conduit à cet avis » : à cet égard, la juridiction peut estimer que ces éléments sont insuffisants, notamment parce que le médecin du travail se serait abstenu de procéder à l'une ou plusieurs des investigations prévues par l'article R.4624-42 du code du travail : une telle irrégularité, si elle ne permet pas au conseil de prud'hommes de déclarer l'avis « inopposable », peut toutefois justifier que le conseil de prud'hommes, s'il l'estime nécessaire, ordonne une mesure d'instruction confiée au médecin-inspecteur du travail, comme l'article L.4624-7 du code du travail lui en laisse la possibilité.

Par conséquent, la chambre sociale, dans la réponse à la demande d'avis présentée par le conseil de prud'hommes de Cayenne, n'exclut pas tout examen de la procédure suivie par le médecin du travail ; mais elle considère que cette question s'insère dans l'appréciation, par le juge saisi d'une contestation sur l'avis lui-même, des éléments ayant conduit le médecin du travail à conclure à l'inaptitude du salarié : et c'est sur cette question de fond, l'aptitude du salarié à occuper son poste de travail, que le juge saisi de la contestation en application de l'article L.4624-7 du code du travail devra se prononcer, sa décision se substituant sur ce point à celle du médecin du travail.

Avis d’inaptitude du médecin du travail et modification du contrat de travail

Soc., 24 mars 2021, pourvoi n° 19-16.558, FS-P+I

Sommaire :

Il résulte des articles L. 4624-3 et L. 4624-4 du code du travail, d'une part, que le médecin du travail peut proposer, par écrit et après échange avec le salarié et l'employeur, des mesures individuelles d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d'aménagement du temps de travail justifiées par des considérations relatives notamment à l'état de santé physique et mental du travailleur, d'autre part, que ce n'est que s'il constate, après avoir procédé ou fait procéder à une étude de poste et avoir échangé avec le salarié et l'employeur, qu'aucune mesure d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n'est possible et que l'état de santé du travailleur justifie un changement de poste, que le médecin du travail déclare le travailleur inapte à son poste de travail.

Il s'ensuit que la circonstance que les mesures d'aménagement préconisées entraînent une modification du contrat de travail du salarié n'implique pas, en elle-même, la formulation d'un avis d'inaptitude.

 

Commentaire :

Dans la présente affaire, le médecin du travail avait déclaré inapte une salariée qui occupait un poste de caissier dans un casino sur un horaire variable, pouvant comprendre un travail de nuit, tout en précisant qu'elle pouvait occuper tout poste sous réserve d'être exclusivement affectée à un horaire en journée.

Or, selon une jurisprudence constante, le passage d'un horaire de nuit à un horaire de jour sur un même poste constitue une modification du contrat de travail. La salariée avait donc saisi la juridiction prud'homale d'une contestation de l'avis d'inaptitude, et soutenait que les restrictions émises par le médecin du travail, si elles avaient pour effet d'entraîner une modification du contrat de travail, ne pouvaient que conduire à un avis d'inaptitude.

La chambre sociale énonce, à l’aune de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 venue préciser la notion d'inaptitude professionnelle, que cette circonstance n'a pas à être prise en considération, à elle seule, pour déterminer si, au sens de l'article L. 4624-4 du code du travail, le salarié doit être déclaré inapte à son poste de travail.

En conséquence, la Cour a entériné le raisonnement de la cour d'appel qui a considéré que la salariée pouvant occuper son poste de caissier sur un horaire exclusivement de jour, devait être déclarée apte avec réserves.

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