N°9 - Mars/avril 2021 (Contrat de travail, rupture)

Lettre de la chambre sociale

Lettre de la chambre sociale

N°9 - Mars/avril 2021 (Contrat de travail, rupture)

Maladie du salarié, licenciement en cas de perturbation du fonctionnement de l’entreprise et précision sur la notion de délai de son remplacement

Soc., 24 mars 2021, pourvoi n° 19-13.188, FS-P+I

Sommaire :

L'article L. 1132-1 du code du travail, qui fait interdiction de licencier un salarié notamment en raison de son état de santé ou de son handicap, ne s'oppose pas au licenciement motivé, non par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées du salarié. Ce salarié ne peut toutefois être licencié que si les perturbations entraînent la nécessité pour l'employeur de procéder à son remplacement définitif par l'engagement d'un autre salarié.

Ce remplacement doit intervenir à une date proche du licenciement ou dans un délai raisonnable après celui-ci, délai que les juges du fond apprécient souverainement en tenant compte des spécificités de l'entreprise et de l'emploi concerné, ainsi que des démarches faites par l'employeur en vue d'un recrutement.

 

Commentaire :

La chambre sociale admet la possibilité pour l'employeur de licencier un salarié dont l'absence pour cause de maladie, répétée ou prolongée, perturbe le fonctionnement de l'entreprise, sous la condition que ces perturbations nécessitent son remplacement définitif.

Elle juge, depuis un arrêt du 10 novembre 2004 (Soc., 10 novembre 2004, pourvoi n° 02-45.156, Bull. 2004, V, n° 283), que le remplacement définitif d’un salarié absent doit intervenir dans un « délai raisonnable » (Soc., 15 novembre 2006, pourvoi n° 04-48.192, Bull. 2006, V, n° 343 ; Soc., 28 octobre 2009, pourvoi n° 08-44.241, Bull. 2009, V, n° 234), délai que les juges du fond apprécient souverainement en tenant compte des spécificités de l'entreprise et de l'emploi concerné, ainsi que des démarches faites par l'employeur en vue d'un recrutement.

Certains arrêts visaient cependant la nécessité d’un remplacement à « une époque proche » (Soc., 16 septembre 2009, pourvoi n° 08-41.879, Bull. 2009, V, n° 186), « une date proche » (Soc., 15 janvier 2014, pourvoi n° 12-21.179, Bull. 2014, V, n° 17) ou « une période proche » (Soc., 21 janvier 2015, pourvoi n° 13-26.470, non publié) du licenciement.

Par le présent arrêt, la chambre sociale de la Cour de cassation dissipe les doutes qui pouvaient résulter de l'usage de ces deux notions : lorsque le remplacement définitif intervient avant le licenciement, il doit survenir à « une date proche » de celui-ci, et lorsque le remplacement intervient après le licenciement, il doit avoir lieu dans un « délai raisonnable » après celui-ci.

RATP : révocation d’un agent et conséquences de l’annulation de la décision administrative de retrait de l’autorisation de port d’arme

Soc., 17 mars 2021, pourvoi n° 19-23.042, FS-P

Sommaire :

Une cour d'appel ayant constaté que la révocation d'un salarié, agent de sécurité à la RATP, avait été prononcée aux motifs, d'une part de l'abrogation par le préfet de police de l’autorisation de port d'arme, d'autre part de la motivation de la décision d'abrogation selon laquelle le comportement du salarié est de nature à laisser craindre une utilisation dangereuse pour autrui des armes qui lui sont confiées pour assurer ses missions, en a déduit à bon droit que la décision de révocation du salarié n'avait pas été prise par l'employeur en raison de ses convictions religieuses et de ses opinions politiques, mais en raison d'un risque d'atteinte aux personnes, qui est étranger à toute discrimination en raison des convictions religieuses et des opinions politiques, de sorte que si la révocation du salarié était sans cause réelle et sérieuse du fait de l'annulation par la juridiction administrative de l'arrêté retirant l’habilitation du salarié au port d'une arme, la demande de nullité de cette révocation et de réintégration devait être rejetée.

 

Commentaire :

Dans la présente affaire, un agent de sécurité à la RATP avait été révoqué aux motifs, d’une part de l’abrogation par le préfet de police de son autorisation de port d’arme, d’autre part de la motivation de cette décision d’abrogation selon laquelle le comportement du salarié était de nature à laisser craindre une utilisation dangereuse pour autrui des armes qui lui étaient confiées pour assurer ses missions.

La juridiction administrative ayant, par la suite, annulé cet arrêté préfectoral, le salarié avait saisi la juridiction prud’homale d’une demande en annulation de sa révocation et d’une demande de réintégration dans l'entreprise en invoquant une discrimination.

Le présent arrêt de la chambre sociale rappelle d’abord que le principe selon lequel les actes administratifs annulés pour excès de pouvoir sont réputés n’être jamais intervenus n’entraîne pas, en lui-même, la nullité d’une mesure prise par l’employeur en considération de ladite décision administrative annulée.

Elle décide donc que la révocation du salarié est sans cause réelle et sérieuse en se fondant sur une jurisprudence constante selon laquelle, en raison de l'effet rétroactif s'attachant à l'annulation d’une décision préfectorale, le salarié est réputé n'avoir jamais perdu l'agrément administratif nécessaire à l'exercice de ses fonctions, de sorte que le licenciement, prononcé pour ce seul motif, est dépourvu de cause réelle et sérieuse (Soc., 25 mars 2009, pourvoi n° 07-45.686, Bull. 2009, V, n° 86 ; Soc., 2 mars 2011, pourvoi n° 09-67.990, diffusé ; Soc.,4 mai 2011, pourvoi n° 08-44.431, non publié).

En revanche, elle déboute le salarié de sa demande d'annulation de cette révocation et de sa demande subséquente de réintégration dès lors qu’il résultait des constats des juges du fond que la décision de révocation n’avait pas été prise par l’employeur en raison des convictions religieuses et des opinions politiques du salarié, mais en raison du motif retenu dans  la décision préfectorale de retrait de port d’arme : un risque d’atteinte aux personnes, motif au regard duquel l’employeur justifiait sa décision de révocation.

RATP : séparation des pouvoirs, interprétation du juge administratif et application par le juge judiciaire

Soc., 31 mars 2021, pourvoi n° 15-19.979, P sur le premier moyen

Sommaire :

La juridiction administrative ayant jugé que les dispositions de l'article 149-8° du statut du personnel de la RATP selon lesquelles l'employeur, dans l'exercice de ses pouvoirs de sanction disciplinaire, peut, sans recueillir l'accord de l'agent, le rétrograder dans une échelle inférieure et changer ses fonctions, ne portaient pas une limitation excessive au principe général d'immutabilité du contrat de travail et étaient légales, un agent n'est pas fondé à demander au juge judiciaire que l'application de ce texte soit écartée.

 

Commentaire :

La présente affaire pose la question de savoir si une modification du contrat de travail prononcée à titre disciplinaire peut être imposée à un salarié d’une entreprise à statut particulier, en l’espèce, la RATP.

La chambre sociale juge depuis son arrêt ‟Hôtel Le Berry” que l'employeur ne peut pas imposer au salarié, comme sanction d'un comportement fautif, une rétrogradation impliquant la modification de son contrat de travail (Soc. 16 juin 1998 Bull. V n° 95-45.033, Bull. 1995, V, n° 320 ; Soc. 17 juin 2009 n° 07-44.570, Bull. 2009, V, n° 152). Mais si le salarié la refuse, l'employeur est en droit de prononcer une autre sanction pouvant aller jusqu'au licenciement (Soc. 7 juillet 2004, n° 02-44.476, Bull. 2004, V, n° 193 ; Soc. 11 février 2009, n° 06-45.897, Bull. 2009, V, n°41, publié au rapport annuel de la Cour de cassation).

Or, selon l'article 48 du statut de la RATP, un agent ne peut être licencié qu'en cas de manquement ou de fausses déclarations commises lors de son recrutement. Et aux termes de l'article 149 du même statut, la RATP peut prononcer certaines mesures disciplinaires, dont la rétrogradation, sans qu'il soit prévu que la RATP doive recueillir le consentement de l'agent.

La chambre sociale avait posé une question préjudicielle au Conseil d'Etat tenant à l'appréciation de la légalité de l'article 149-8° en ce qu'il permet une modification disciplinaire du contrat de travail sans l'accord de l'agent (Soc. 20 avril 2017, n° 15-19.979, Bull. 2017, V, n° 63). Le juge administratif avait jugé que les dispositions de cet article du statut ne portaient pas une limitation excessive au principe général d'immutabilité du contrat de travail et étaient légales (TA Paris, 11 juin 2018).

Par le présent arrêt, la chambre sociale tire les conséquences de cette déclaration de légalité, laquelle s'impose au juge judiciaire, en admettant la possibilité d’une rétrogradation disciplinaire d’un agent RATP sans son accord au regard des dispositions statutaires.

Licenciement pour motif économique et séparation des pouvoirs

Soc., 17 mars 2021 pourvoi n° 18-16.947, FS-P sur le premier moyen

Sommaire :

En l'absence de toute procédure de validation ou d'homologation d'un plan de sauvegarde de l'emploi, il appartient à la juridiction judiciaire d'apprécier l'incidence de la reconnaissance d'une unité économique et sociale (UES) quant à la validité des licenciements, dès lors qu'il est soutenu devant elle que les licenciements auraient été décidés au niveau de cette UES, sans que cette contestation, qui ne concerne pas le bien-fondé de la décision administrative ayant autorisé le licenciement d'un salarié protégé, porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.

 

Commentaire

La chambre sociale de la Cour de cassation retenait, sous l'empire des dispositions antérieures à la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, la compétence du juge judiciaire pour connaître de la contestation du licenciement, autorisé par l'inspecteur du travail, d'un salarié protégé invoquant l'absence d'établissement d'un plan de sauvegarde de l’emploi (Soc., 3 décembre 1996, pourvoi n° 95-17.352, Bull. 1996, V, n° 411 ; Soc., 28 juin 2018, pourvoi n° 14-26.616, diffusé).

La question se posait de la remise en cause de cette compétence judiciaire au regard de la compétence exclusive attribuée à l’autorité administrative en matière de plan de sauvegarde de l’emploi, par la loi du 14 juin 2013. Le Conseil d’État, dans sa décision Roquemaurel (CE, 19 juillet 2017, n° 391849, Roquemaurel, publié au Recueil Lebon), a en effet jugé que, « lorsque le licenciement pour motif économique d'un salarié protégé est inclus dans un licenciement collectif qui requiert l'élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi, il appartient à l'inspecteur du travail saisi de la demande d'autorisation de ce licenciement, ou au ministre chargé du travail statuant sur recours hiérarchique, de s'assurer de l'existence, à la date à laquelle il statue sur cette demande, d'une décision de validation ou d'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi, à défaut de laquelle l'autorisation de licenciement ne peut légalement être accordée ». Il résulte de cette décision que seul le juge administratif peut tirer les conséquences de l’illégalité d’une autorisation administrative liée à l’illégalité de la situation de l’employeur dans le cadre d’une procédure de plan de sauvegarde de l’emploi.

Cependant, la situation dans le cas présent était particulière, puisque la nécessité d’un plan de sauvegarde de l’emploi n’était apparue que par la suite d’une reconnaissance, par le juge judiciaire, de l’existence d’une unité économique et sociale entre plusieurs entreprises ayant procédé à des licenciements économiques. Dès lors, l’inspecteur du travail n’avait pu intégrer dans son contrôle de la validité du licenciement du salarié protégé la question du niveau auquel les décisions de licenciements économiques avaient été prises, à la suite de la reconnaissance judiciaire de l’unité économique et sociale. La chambre sociale, en continuité avec la jurisprudence du Conseil d’État Roquemaurel précité, en déduit que, dès lors que l’inspecteur du travail n’a pu intégrer dans son contrôle la question de l’existence d’un plan de sauvegarde de l’emploi au regard de la reconnaissance d’une unité économique et sociale et du niveau de décision, question qui n’a été connue que postérieurement, c’est le juge judiciaire qui retrouve compétence s’agissant de la validité du licenciement du salarié protégé dans ce cadre précis.

Licenciement économique : obligation de reclassement et recherche de postes disponibles

Soc., 17 mars 2021, pourvoi n° 19-11.114, FS-P+I

Sommaire :

Il résulte de l‘article L.1233-4 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 que l'employeur est tenu avant tout licenciement économique de rechercher toutes les possibilités de reclassement existant dans le groupe dont il relève, parmi les entreprises dont l'activité, l'organisation ou le lieu d'exploitation permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel. Les recherches de postes disponibles dans les sociétés du groupe auquel appartient l’employeur qui envisage un licenciement économique collectif, n’ont pas à être assorties du profil personnalisé des salariés concernés par le reclassement.

 

Commentaire :

La présente affaire posait la question de la nécessité d’adjoindre le profil personnalisé des salariés concernés par une recherche de reclassement au sein d’un groupe de sociétés dans le cadre d’une procédure de licenciement économique collectif.

Par cet arrêt, la chambre sociale considère que la demande de recherche de postes de reclassement n’a pas à être assortie du profil personnalisé des salariés concernés par le reclassement. Elle étend ainsi aux recherches individualisées de reclassement la solution déjà retenue pour l’élaboration du plan de reclassement intégré au plan de sauvegarde de l’emploi (Soc. 28 octobre 2015, n° 14-17.720, Bull. 2015, V, n° 207)

En effet, la chambre sociale estime qu’au stade de la recherche des postes disponibles, les demandes adressées par l’employeur aux autres sociétés du groupe composant le groupe de reclassement n’ont pas à être personnalisées. Il suffit qu’elles soient assez précises pour permettre d’identifier les postes supprimés.

Licenciement économique : obligation de reclassement et périmètre du groupe de sociétés

Soc., 31 mars 2021, pourvois n° 19-17.300 et autres, FS-P sur le moyen pris en ses 1re et 2e branches

Sommaire :

Si la preuve de l'exécution de l'obligation de reclassement incombe à l'employeur, il appartient au juge, en cas de contestation sur l'existence ou le périmètre du groupe de reclassement, de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties.

En conséquence, ne méconnaît pas les règles de la charge de la preuve relatives au périmètre du groupe de reclassement, la cour d'appel qui, appréciant les éléments qui lui étaient soumis tant par l'employeur que par le salarié, a constaté qu'il n'était pas suffisamment établi que le périmètre de reclassement devait être limité à seulement trente-cinq sociétés du groupe, comme retenu par l'employeur, et en a déduit que celui-ci ne justifiait pas du respect de son obligation de reclassement.

 

Commentaire :

Par le présent arrêt, la chambre sociale réaffirme qu’il incombe à l’employeur de démontrer qu’il a exécuté son obligation de reclassement dans un périmètre pertinent, et qu’il appartient au juge, en cas de contestation sur l'existence ou le périmètre du groupe de reclassement par le salarié, de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties.

Ce faisant, la chambre sociale de la Cour de cassation précise la portée des arrêts du 16 novembre 2016 relatifs à l’office du juge et au régime probatoire applicable en cas de contestation sur l’étendue du périmètre de l’obligation de reclassement dans les licenciements pour motif économique (Soc., 16 novembre 2016, pourvoi n° 14-30.063, Bull. 2016, V, n° 216 ; Soc., 16 novembre 2016, pourvoi n° 15-19.927, Bull. 2016, V, n° 217). En effet, contrairement à l’interprétation qui a pu se dessiner, les arrêts précités du 16 novembre 2016 n’ont pas instauré un mécanisme de preuve partagée.

Licenciement économique : appréciation de l’étendue du secteur d’activité de l’employeur

Soc., 31 mars 2021, pourvoi n° 19-26.054, FS-P

Sommaire :

La cause économique d'un licenciement s'apprécie au niveau de l'entreprise ou, si celle-ci fait partie d'un groupe, au niveau du secteur d'activité du groupe dans lequel elle intervient. 

Il incombe à l'employeur de démontrer, dans le périmètre pertinent, la réalité et le sérieux du motif invoqué.

En conséquence, ne méconnaît pas les règles de la charge de la preuve relatives à l'étendue du secteur d'activité du groupe dans lequel intervient l'entreprise, la cour d'appel qui, appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, a constaté, en prenant en considération l'activité des sociétés du groupe et l'activité propre de l'employeur, que celui-ci relevait d'un secteur d'activité plus étendu que celui qu'il avait retenu.

Dès lors que l'employeur ne démontrait pas la réalité de difficultés économiques au sein du secteur d'activité à prendre en considération, la cour d'appel en a exactement déduit que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse.

 

Commentaire :

La chambre sociale de la Cour de cassation avait jugé, le 16 novembre 2016, que pour l’appréciation de la cause économique du licenciement, il convenait de prendre en considération, comme périmètre du groupe, l'ensemble des entreprises unies par le contrôle ou l'influence d'une entreprise dominante dans les conditions définies à l'article L. 2331-1 du code du travail, sans qu'il y ait lieu de réduire le groupe aux entreprises situées sur le territoire national (Soc., 16 novembre 2016, pourvoi n° 14-30.063, Bull. 2016, V, n° 216).

Par le présent arrêt, la chambre sociale décide que c’est au seul employeur qu’il appartient de démontrer la réalité et le sérieux du motif économique dans le périmètre pertinent. La charge de la preuve n’est ainsi pas partagée entre les parties s’agissant de la détermination de l’étendue du secteur d’activité au sein duquel s’apprécie le motif économique du licenciement.

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