N°7 - Novembre/décembre 2020 (Protection des droits fondamentaux)

Lettre de la chambre sociale

Lettre de la chambre sociale

N°7 - Novembre/décembre 2020 (Protection des droits fondamentaux)

Liberté fondamentale d’agir en justice : sa violation n’est pas présumée par la concomitance du licenciement avec la saisine du juge par le salarié

Soc., 4 novembre 2020, pourvois n°19-12.367 et n° 19-12.369, FS-P+B+I

Sommaire :

Le seul fait qu'une action en justice exercée par le salarié soit contemporaine d'une mesure de licenciement ne fait pas présumer que celle-ci procède d'une atteinte à la liberté fondamentale d'agir en justice.

 

Commentaire :

Par cet arrêt, la chambre sociale complète sa jurisprudence relative à la preuve du lien existant entre, d’une part, une instance prud'homale en cours et, d’autre part, une mesure de licenciement dont le salarié est l'objet.

Elle décide ainsi que la proximité entre la date de la saisine de la juridiction prud’homale et celle du licenciement ne fait pas présumer, à elle seule, l'existence d'un lien entre ces deux faits. En d'autres termes, le seul fait qu'une action en justice exercée par le salarié soit contemporaine d'une mesure de licenciement ne suffit pas, à lui seul, à établir l'existence d'une présomption de lien entre ces deux faits.

Ce faisant, cette solution s'inscrit dans la continuité de la jurisprudence de la chambre sociale énonçant que lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une action en justice introduite pour faire valoir ses droits (Soc., 9 octobre 2019, pourvoi n° 17-24.773, en cours de publication). En pareille hypothèse, le licenciement est nul en raison de l'atteinte à la liberté fondamentale du droit d’ester en justice (Soc., 16 mars 2016, pourvoi n° 14-23.589, Bull. 2016, V, n° 50 ; Soc., 21 septembre 2016, pourvoi n° 15-10.263).

Liberté fondamentale de témoigner et licenciement du lanceur d’alerte

Soc., 4 novembre 2020, pourvoi n°18-15.669, FS-P+B

Sommaire :

Selon l'article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.

Encourt dès lors la cassation l’arrêt qui prononce, sur ce fondement, la nullité d’un licenciement, sans constater que le salarié avait relaté ou témoigné de faits susceptibles d'être constitutifs d'un délit ou d'un crime.

 

Commentaire :

La loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, a inséré dans le code du travail l’article L. 1132-3-3 qui dispose notamment qu’aucune personne ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire « pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont [elle] aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions », une telle mesure étant sanctionnée par la nullité de la mesure ou du licenciement, en application de l’article L. 1132-4 du même code.

Le salarié doit ainsi agir de bonne foi (Soc., 30 juin 2016, pourvoi n° 15-10.557, Bull. 2016, V, n° 140, publié au Rapport annuel de la Cour de cassation).

Le 8 juillet 2020, la chambre sociale de la Cour de cassation transposait au lanceur d’alerte les solutions prétoriennes retenues en matière de harcèlement moral (Soc., 7 février 2012, pourvoi n° 10-18.035, Bull. 2012, V, n° 55 ; Soc., 10 juin 2015, pourvoi n° 13-25.554, Bull. 2015, V, n° 115) et de mauvais traitements ou de privations infligés à personne accueillie (article L. 313-24 du code de l'action sociale et des familles : Soc., 6 juin 2012, pourvoi n° 10.28.199, Bull. 2012, V, n° 173 ; Soc., 21 juin 2018, pourvoi n° 16-27.649 et Soc., 28 mai 2019, pourvoi n° 17-27.793) en précisant que la protection liée à la dénonciation de faits qui se révèlent faux n’est écartée que si le salarié a agi de mauvaise foi, c’est-à-dire en connaissance de la fausseté des faits dénoncés, sa mauvaise foi ne pouvant être déduite du seul fait que les faits dénoncés ne sont pas établis (Soc., 8 juillet 2020, pourvoi n° 18-13.593, en cours de publication, publié à la Lettre de la chambre sociale de la Cour de cassation de mai-juin-juillet 2020).

Par le présent arrêt, la chambre sociale de la Cour de cassation affine sa jurisprudence consacrée au statut de lanceur d’alerte appliqué au salarié.

En effet, dans le droit fil de sa jurisprudence, la chambre sociale rappelle que, sous l’empire des dispositions antérieures à la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, un salarié n’est protégé que s’il a relaté ou témoigné de faits susceptibles d’être constitutifs d’un délit ou d’un crime. Ce faisant, il s’impose aux juges du fond de caractériser l’infraction pénale susceptible d’être constituée par lesdits faits dénoncés.

Protection des données personnelles : adresses IP et fichiers de journalisation

Soc., 25 novembre 2020, pourvoi n° 17-19.523, FP-P+B+R+I

Sommaire :

En application des articles 2 et 22 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données, les adresses IP, qui permettent d'identifier indirectement une personne physique, sont des données à caractère personnel, au sens de l'article 2 susvisé, de sorte que leur collecte par l'exploitation du fichier de journalisation constitue un traitement de données à caractère personnel et doit faire l'objet d'une déclaration préalable auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés en application de l'article 23 de la loi précitée.

En application des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde de droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'illicéité d'un moyen de preuve, au regard des dispositions de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données, n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Encourt la cassation l’arrêt qui énonce que les logs, fichiers de journalisation et adresses IP ne sont pas soumis à une déclaration à la CNIL, ni ne doivent faire l'objet d'une information du salarié en sa qualité de correspondant informatique et libertés lorsqu'ils n'ont pas pour vocation première le contrôle des utilisateurs, alors que la collecte des adresses IP par l'exploitation du fichier de journalisation constitue un traitement de données à caractère personnel au sens de l'article 2 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée et est soumise aux formalités préalables à la mise en œuvre de tels traitements prévues au chapitre IV de ladite loi, ce dont il résulte que la preuve était illicite et les dispositions des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde de droits de l'homme et des libertés fondamentales invocables.

Voir aussi la note explicative relative à cet arrêt.

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