N°10 - Mai/juin/juillet 2021 (Discipline dans l'entreprise)

Lettre de la chambre sociale

Lettre de la chambre sociale

N°10 - Mai/juin/juillet 2021 (Discipline dans l'entreprise)

Règlement intérieur : conditions d’opposabilité d’un code de déontologie aux salariés

Soc., 5 mai 2021, pourvoi n° 19-25.699, FS-P

Sommaire :

Aux termes de l’article L. 1321-5 du code du travail, les notes de service ou tout autre document comportant des obligations générales et permanentes dans les matières mentionnées aux articles L. 1321-1 et L. 1321-2 sont, lorsqu'il existe un règlement intérieur, considérées comme des adjonctions à celui-ci. Ils sont, en toute hypothèse, soumis aux dispositions du présent titre.

Il s’ensuit qu’un tel document, s’il a été soumis à l’avis des institutions représentatives du personnel, a été transmis à l’inspecteur du travail et a fait l’objet des formalités de dépôt et de publicité prévues par les textes pour le règlement intérieur, constitue une adjonction à celui-ci, et est opposable au salarié à la date de son entrée en vigueur.

 

Commentaire :

Le salarié a été licencié pour violation des règles et principes figurant dans le code de déontologie d’une entreprise du secteur des banques et des assurances, lequel code précisait qu'il constituerait une annexe au règlement intérieur. Le règlement intérieur était alors en cours de révision, et n'avait fait l'objet des formalités de dépôt et publicité qu'après l'entretien préalable au licenciement litigieux.

Le salarié soutenait que, bien que le code de déontologie ait été lui-même adopté dans le respect des règles prévues par L.1321-4 du code du travail, il ne lui était pas opposable indépendamment du règlement intérieur.

Par substitution d'un motif de pur droit, la chambre sociale rejette le moyen soulevé par le salarié : dès lors que le code de déontologie a été soumis à l’avis des institutions représentatives du personnel, transmis à l’inspecteur du travail et a fait l’objet des formalités de dépôt et de publicité prévues par les textes pour le règlement intérieur, il constitue une adjonction à celui-ci, et est opposable au salarié, peu important, au cas précis, qu'il n'ait pas été matériellement annexé au règlement intérieur en cours de révision.

Règlement intérieur : modifications résultant des injonctions de l’inspection du travail et formalités procédurales

Soc., 23 juin 2021, pourvoi n° 19-15.737, FS-B sur 1ère, 2ème et 4ème branches

Sommaire n° 1 :

Lorsque les modifications apportées au règlement intérieur initial de l’entreprise, qui avait été soumis à la consultation des institutions représentatives du personnel, résultent uniquement des injonctions de l'inspection du travail auxquelles l'employeur ne peut que se conformer, il n’y a pas lieu à nouvelle consultation.

 

Sommaire n° 2 :

L'entrée en vigueur d'un règlement intérieur modifié, dont la date n'est pas précisée, intervient un mois après l'accomplissement de la dernière des formalités de dépôt et de publicité.

 

Sommaire n°3 :

Le document interne par lequel l'employeur se borne à rappeler les dispositions législatives et réglementaires applicables dans l'entreprise en matière de sécurité ne crée pas de nouvelles obligations générales et permanentes s'imposant aux salariés et ne constitue donc pas une adjonction au règlement intérieur

 

Commentaire :

La chambre sociale de la Cour de cassation transpose la solution récente qu’elle a rendue relativement à la modification du règlement intérieur dans une instance introduite en matière de référé (Soc., 26 juin 2019, pourvoi n° 18-11.230, Bull. 2019, V, publié).

La chambre sociale a  jugé que les notes de service ou tout autre document comportant des obligations générales et permanentes dans les matières mentionnées aux articles L. 1321-1 et L. 1321-2 sont, lorsqu’il existe un règlement intérieur, considérées comme des adjonctions à celui-ci, et doivent dès lors notamment être soumis à l’avis des institutions représentatives du personnel (Soc., 5 mai 2021, pourvoi n° 19-25.699, Bull. 2021, V, publié).

Encore faut-il qu’il s’agisse de véritables adjonctions.  Au cas précis, la chambre sociale censure un arrêt qui avait retenu que le manuel de sécurité agence et la fiche de sécurité C28 devaient être considérés comme une adjonction au règlement intérieur requérant dès lors les formalités de consultation et de publicité prévues à l’article L. 1321-4 du code du travail, alors qu’il était affirmé qu’il s’agissait simplement de la reprise de dispositions législatives et réglementaires applicables, et qu’il appartenait donc à la cour d’appel de rechercher si ces documents créaient de nouvelles obligations générales et permanentes s’imposant aux salariés.

Proposition de modification du contrat de travail à la suite d’une faute disciplinaire: point de départ du délai de prescription pour recourir à une autre sanction en cas de refus du salarié

Soc., 27 mai 2021, pourvoi n° 19-17.587, FS-P

Sommaire :

Lorsque l'employeur notifie, après l'engagement de la procédure disciplinaire, une proposition de modification de contrat de travail soumise au salarié, et fixe un délai à l'expiration duquel le silence de celui-ci vaudrait refus de la sanction, le délai de prescription de deux mois prévu par l'article L. 1332-4 du code du travail court, en l'absence de réponse, à compter du terme du délai fixé par l'employeur, peu important le refus du salarié réitéré de façon expresse ultérieurement.

 

Commentaire :

La chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que la notification au salarié par l'employeur, après l'engagement de la procédure disciplinaire, d'une proposition de modification de contrat de travail à titre de sanction, interrompt le délai de prescription de deux mois prévu par l'article L. 1332-4 du code du travail, délai courant à compter de la convocation à l'entretien préalable, et que le refus de cette proposition par le salarié interrompt à nouveau ce délai, en sorte que la convocation du salarié par l'employeur à un entretien préalable en vue d'une autre sanction disciplinaire doit intervenir dans les deux mois de ce refus (Soc., 15 janvier 2013, pourvoi n°11-28.109, Bull. 2013, V, n°7).

Le présent arrêt, relatif à l'incidence sur la prescription du délai de réponse fixé par l'employeur à un salarié pour accepter ou refuser une sanction emportant modification du contrat de travail, permet à la chambre de préciser sa jurisprudence sur la portée de la solution donnée par l'arrêt du 15 janvier 2013 précité.

La chambre décide ici de conférer une portée au délai pour répondre qui est fixé par l'employeur. En cas d'absence de réponse du salarié à la date d'expiration du délai de réflexion fixé par l'employeur, la date à prendre en compte pour faire courir le nouveau délai de prescription de deux mois est la date d'expiration du délai de réflexion. Le silence du salarié à cette date valant refus, le point de départ du nouveau délai ne peut être reporté à une date ultérieure où le salarié aurait cette fois expressément refusé la sanction emportant modification de son contrat de travail.

Pouvoir disciplinaire de l’employeur : épuisement et définition de l’employeur titulaire de ce pouvoir

Soc., 23 juin 2021, pourvoi n° 19-24.020, FS-B

Sommaire :

Il résulte de l'article L. 1331-1 du code du travail que l'employeur qui, ayant connaissance de divers faits commis par le salarié, considérés par lui comme fautifs, choisit de n'en sanctionner que certains, ne peut plus ultérieurement prononcer une nouvelle mesure disciplinaire pour sanctionner les autres faits antérieurs à la première sanction.

L'employeur, au sens de ce texte, s'entend non seulement du titulaire du pouvoir disciplinaire mais également du supérieur hiérarchique du salarié, même non titulaire de ce pouvoir.

 

Commentaire :

Il est de jurisprudence constante que l’employeur qui, ayant connaissance de divers faits fautifs commis par le salarié, choisit de n’en sanctionner que certains, ne peut plus ultérieurement prononcer une nouvelle mesure disciplinaire pour sanctionner les autres faits antérieurs à la première sanction (Soc., 12 octobre 1999, pourvoi n° 96-43.580, Bull. 1999, V, n° 375 ; Soc., 16 mars 2010, pourvoi n° 08-43.057, Bull. 2010, V, n° 65 ; Soc., 25 septembre 2013, pourvoi n° 12-12.976, Bull. 2013, V, n° 203 ; Soc., 16 janvier 2019, pourvoi n° 17-22.557, non publié).

Par le présent arrêt, la chambre sociale précise que, au sens de l'article L. 1331-1 du code du travail relatif à l'épuisement du pouvoir disciplinaire de l'employeur, la notion d'employeur ne renvoie pas seulement au titulaire du pouvoir disciplinaire mais également au supérieur hiérarchique du salarié, même non titulaire de ce pouvoir. Ce faisant, elle retient une définition de l'employeur similaire à celle de l'article L. 1332-4 du code du travail relatif à la connaissance des faits fautifs par l'employeur faisant courir le délai de prescription de deux mois (Soc., 30 avril 1997, pourvoi n° 94-41.320, Bull. 1997, V, n° 148 ; Soc., 23 juin 2021, pourvoi n° 20-13.762, Bull. 2021, V, publié).

Pouvoir disciplinaire de l’employeur : prescription et définition de l’employeur titulaire de ce pouvoir

Soc., 23 juin 2021, pourvoi n° 20-13.762, FS-B

Sommaire :

Selon l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance.

L'employeur, au sens de ce texte, s'entend non seulement du titulaire du pouvoir disciplinaire mais également du supérieur hiérarchique du salarié, même non titulaire de ce pouvoir.

 

Commentaire :

La chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que le délai de prescription de deux mois, pendant lequel des poursuites disciplinaires peuvent être engagées, court à compter de la date où l'employeur, pouvant être le ‟supérieur hiérarchique direct”, a eu connaissance des faits fautifs (Soc., 30 avril 1997, pourvoi n° 94-41.320, Bull. 1997, V, n° 148).

La chambre a ensuite affiné sa jurisprudence au travers d’arrêts successifs se référant à la notion de ‟supérieur hiérarchique” (Soc., 23 février 2005, pourvoi n° 02-47.272 ; Soc., 16 mai 2018, pourvoi n° 16-26.399 ; Soc., 18 novembre 2020, pourvoi n° 19-14.511).

Au cas précis, la cour d'appel avait considéré que le responsable qui avait eu connaissance des faits ne disposait d'aucun pouvoir disciplinaire à l'égard du salarié et que le délai de prescription n'avait dès lors pas commencé à courir à la date de cette connaissance.

La chambre sociale de la Cour de cassation censure le raisonnement en réaffirmant que la connaissance des faits par un supérieur hiérarchique suffit à faire courir le délai de prescription et en demandant donc aux juges du fond de rechercher si le responsable était un supérieur hiérarchique du salarié.

Vidéosurveillance et vie personnelle du salarié

Soc., 23 juin 2021, pourvoi n° 19-13.856, FS-B

Sommaire :

Une cour d'appel qui constate qu'un salarié, exerçant seul son activité en cuisine, est soumis à la surveillance constante de la caméra qui y est installée, en déduit à bon droit que les enregistrements issus de ce dispositif de surveillance, attentatoire à la vie personnelle de l'intéressé et disproportionné au but allégué par l'employeur de sécurité des personnes et des biens, ne sont pas opposables au salarié.

 

Commentaire :

La chambre sociale de la Cour de cassation a déjà admis la mise en place, après information des salariés, d’un système de vidéo-surveillance fonctionnant en permanence dès lors, d’une part, que ce système était imposé par la réglementation et, d’autre part, que les enregistrements ne portaient pas atteinte à la vie privée du salarié (Soc., 2 février 2011, pourvoi n°10-14.263).

Dans un arrêt du 25 novembre 2020, la chambre sociale a précisé qu'une atteinte à la vie personnelle devait être proportionnée au but poursuivi (Soc., 25 novembre 2020, pourvoi n°17-19.523, Bull. 2020, V, publié et au Rapport annuel de la Cour de cassation).

En outre, dans une délibération n° 2009-201 du 16 avril 2009, la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) avait rappelé la nécessité que le dispositif de vidéo-surveillance n’aboutisse pas à placer les salariés sous la surveillance constante de leur employeur, la CNIL contrôlant alors in concreto si une telle surveillance était disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.

En l’espèce, la surveillance constante d’un salarié en cuisine par caméra apparaît disproportionnée par rapport au but allégué par l’employeur, relatif à la sécurité des personnes et des biens. Dès lors, l’enregistrement qui en résulte n’est pas opposable au salarié.

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