N°34 - Décembre 2023 (Editorial)

Lettre de la chambre criminelle

Une sélection commentée des arrêts rendus par la chambre criminelle de la Cour de cassation (Appel / Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité / Exercice illégale d'une profession / Expertise / Garde à vue / Infractions militaires / Peine / Prescription / QPC).

  • Pénal
  • appel correctionnel ou de police
  • détention provisoire
  • expert judiciaire
  • garde à vue
  • peines
  • juge des libertés et de la détention
  • cassation
  • prescription

ÉDITORIAL

Frédéric Desportes

Premier avocat général de la chambre criminelle

 

 

Fenêtres

Bien que l’intitulé de cet éditorial puisse susciter quelques interrogations, son objet n’est pas de traiter d’huisseries mais plutôt, métaphoriquement, d’ouvertures. Comme la façade du quai de l’Horloge, la Cour de cassation est pourvue de fenêtres qui l’ouvrent sur la société. Elle n’est pas pour autant une maison de verre. Les fenêtres n’abolissent pas la séparation entre le dedans et le dehors. Elles encadrent la vue qu’elles offrent sur l’un ou l’autre. La chambre criminelle n’en manque pas, de diverses sortes.

Les avocats aux conseils sont ses fenêtres avancées – peut-être devrait-on plutôt dire les portes – par lesquelles le contentieux lui parvient, avec leur éclairage. Mais, précisément, le traitement de ce contentieux appelle d’autres ouvertures. La première est assurée par la diversité et la qualité des parcours des conseillers et avocats généraux. Au-delà, la chambre s’est ménagé de nombreuses fenêtres qui, selon le cas, lui permettent de mieux appréhender son environnement, de mieux faire connaître son fonctionnement et/ou de mieux apprécier la manière dont sont reçues ses décisions. On citera les déplacements de délégations de ses membres dans les cours d’appel ou encore les rencontres avec le Conseil d’État et le monde universitaire. Certaines de ces « fenêtres » ont fait l’objet d’éditoriaux dans de précédents numéros de la présente lettre qui est d’ailleurs elle-même une fenêtre ouverte sur les travaux de la chambre à l’instar des communiqués et notes explicatives accompagnant certains de ses arrêts. Éclairer davantage et être davantage éclairé, tel est l’objet de ces initiatives.

Mais l’ouverture ne doit pas seulement être organisée en périphérie du processus juridictionnel. Elle doit s’y intégrer. L’avocat général, en raison de la nature même de ses fonctions, en est un acteur essentiel. En 2005, le procureur général près la Cour de cassation alors en fonction l’a présenté comme une « fenêtre sur l’extérieur ». Depuis lors, la métaphore a fait florès. Dans son discours prononcé le 8 septembre dernier, lors de son audience de présentation, l’actuel procureur général a exprimé le souhait d’agrandir cette fenêtre, la voulant « ouverte sur le large ». La réalité que recouvre la métaphore est certes moins enchanteresse pour l’œil qu’une vue sur la baie de Naples. Mais elle est évocatrice pour l’esprit. Il s’agit d’illustrer l’un des rôles de l’avocat général qui, aux termes de l’article L. 432-1 du code de l’organisation judiciaire, est « d’éclairer la cour sur la portée de la décision à intervenir ». Il lui revient ainsi, lorsque c’est nécessaire, de recueillir auprès de telle ou telle administration, institution ou organisation des éléments d’information susceptibles d’enrichir la réflexion de la chambre, notamment pour lui permettre de mieux mesurer l’impact des solutions qui s’offrent à elle. Les éléments réunis sont bien entendu versés aux débats et la chambre s’y réfère au moins lorsqu’ils déterminent, en droit, la réponse au moyen du pourvoi (par ex. : Crim., 12 juill. 2022 n° 21-83.710, § 29).

La fonction de « fenêtre sur l’extérieur » ainsi dévolue à l’avocat général est souvent mise en avant. Mais cette valorisation ne doit pas avoir un effet réducteur. L’essentiel de l’activité de l’avocat général tient en réalité dans la première proposition de l’article L. 432-1 du code de l’organisation judiciaire : « il rend des avis dans l'intérêt de la loi et du bien commun ». Dans l’exercice de sa mission principale, l’avocat général apparaît plutôt comme une « fenêtre sur l’intérieur ». Ses conclusions, établies en toute indépendance, s’inscrivent dans la phase publique du processus juridictionnel qui précède le délibéré, secret, puis le prononcé de l’arrêt.  Elles sont en réalité une opinion exprimée publiquement en amont du délibéré. Tenues à la disposition des parties plusieurs semaines avant la date de l’audience, elles les mettent en mesure de présenter des observations complémentaires au vu de l’argumentation qui y est développée. En cela les conclusions peuvent être comparées à une fenêtre qui, en éclairant les parties sur les points de divergence, favorise le débat contradictoire.

Au-delà des parties, cette fenêtre est ouverte pour l’ensemble des citoyens. A travers, le plus souvent, le compte-rendu qu’en fait la presse dans les affaires présentant d’importants enjeux, les conclusions permettent de prendre la mesure des questions soulevées avant que ne soit rendue la décision qui les tranchera. Après le prononcé de celle-ci, les conclusions, qu’elles soient ou non concordantes, peuvent en faciliter la compréhension et permettre de mieux en apprécier la portée. Dans tous les cas, elles concourent à en asseoir l’autorité. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Cour de cassation s’est engagée dans un processus de valorisation des travaux préparatoires rapports des conseillers et conclusions des avocats généraux – à la fois par leur diffusion toujours plus large et la retransmission de certaines audiences. L’importance des conclusions ne saurait donc être appréciée en considérant exclusivement la « plus-value » qu’elles apportent à la réflexion de la chambre. Dans de nombreuses affaires, les éléments sur lesquels se fonde l’avocat général coïncident avec ceux réunis par le rapporteur dans son exposé objectif des données de l’affaire. Outre que ce constat est plutôt rassurant et sécurisant, il n’affecte en rien le fait que, par son intervention, l’avocat général concourt, dans tous les cas, à la transparence qui, dans une société démocratique, doit accompagner l’œuvre de justice.

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