N°18 - Mars 2022 (Éditorial de Nicole Maestracci, magistrat, ancien membre du Conseil constitutionnel)

Lettre de la chambre criminelle

Une sélection des arrêts rendus par la chambre criminelle de la Cour de cassation (Application des peines / Circulation routière / Dématérialisation de la procédure / Détention provisoire / Garde à vue / QPC / Soldes).

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Nicole Maestracci, magistrat, ancien membre du Conseil constitutionnel

Depuis l’entrée en vigueur de la réforme constitutionnelle de 2008, il y a 12 ans, la matière pénale est la principale pourvoyeuse de Questions Prioritaires de Constitutionnalité (QPC).

C’est pourquoi, il m’est apparu intéressant de revenir sur ce constat et de partager quelques éléments de réflexion. Rappelons d’abord quelques éléments chiffrés : entre le 1er mars 2010 et le 31 décembre 2021, 23% des décisions prises par le Conseil constitutionnel l’ont été à la suite d’un renvoi de la chambre criminelle (269 arrêts de renvoi qui ont fait l’objet de 194 décisions). Celle-ci est d’ailleurs à l’origine de 46% des renvois de la Cour de cassation.

Pour être complet, il faut tenir compte des 30 saisines du Conseil d’Etat dans le champ pénal qui correspondent à 7% des saisines de cette juridiction et 4% des décisions QPC du Conseil constitutionnel. Certains avocats pénalistes ont en effet pris l’habitude de déposer un recours pour excès de pouvoir contre un texte réglementaire, une circulaire ou le silence d’un ministre. Cette pratique leur permet en effet de soulever une QPC très rapidement après le vote d’une loi sans attendre l’émergence d’un litige. Ainsi, en ajoutant les saisines des deux juridictions suprêmes, 26% des décisions de renvoi concernent le champ pénal. C’est donc aujourd’hui la matière qui occupe le plus largement le Conseil constitutionnel.

C’est aussi le domaine où les censures ont été les plus nombreuses : 38% à comparer à 32% en moyenne dans les autres matières. Si on ajoute les 11% de conformités avec réserve, seule la moitié des QPC posées en matière pénale ont fait l’objet d’une décision de conformité totale. Enfin, si on examine la répartition entre droit pénal substantiel et procédure pénale, on trouve une majorité de décisions concernant cette dernière (65%).

Certes, l’ensemble de ces chiffres doit être examiné avec précaution, en raison des difficultés de classement de certaines décisions qui concernent plusieurs matières ou de la zone grise qui peut subsister entre procédure pénale et droit pénal substantiel. Ils sont néanmoins suffisamment éclairants pour qu’on en tire quelques enseignements.

Il est assez logique que la matière pénale soit la plus sollicitée par la QPC dès lors qu’elle contient des dispositions coercitives qui sont susceptibles de porter gravement atteinte aux droits et libertés fondamentaux, et plus particulièrement à la liberté individuelle. C’est également un domaine dans lequel la Cour européenne des droits de l’homme a été particulièrement active de sorte que les QPC posées ont permis d’installer dans le droit positif français les exigences relatives au procès équitable qui avaient été reconnues parfois de longue date par la Cour de Strasbourg. Enfin, la stratégie d’avocats pénalistes soutenus par des associations défendant les droits fondamentaux a été particulièrement déterminée et efficace.

La surreprésentation de la procédure pénale n’est pas non plus surprenante. Les lois de procédure pénale se sont multipliées et il en résulte une complexité en termes d’accès au juge, de délais, de voies de recours ou d’exécution des peines dont la cohérence ne saute pas toujours aux yeux.  Cette complexité et ces modifications constantes constituent une source inépuisable de QPC. Il faut ajouter certaines hésitations du législateur sur la nature de l’autorité judiciaire qui doit autoriser certaines mesures coercitives. Hésitations qui renvoient à la difficulté de définir les rôles respectifs du juge et du procureur dans un contexte où les décisions des cours européennes paraissent remettre en cause la conception française du parquet.

En droit pénal substantiel, c’est la multiplication des infractions nouvelles qui constitue le socle du développement des QPC : en ne retenant que les infractions punies de peines de prison et les infractions dont la sanction est durcie par un nouveau texte, on recense 120 infractions nouvelles dans les 5 dernières années (Le Monde, 16 mars 2022).

C’est ce qui a conduit le Conseil constitutionnel à prononcer des censures au nom du principe de nécessité en énumérant tous les textes dont disposaient déjà les juges pour sanctionner les comportements incriminés (voir notamment les deux décisions sur le délit de consultation habituelle de site terroriste, QPC 2016-611 du 10 février 2017 et QPC 2017-682 du 15 décembre 2017).

A l’issue de ce bref constat, on ne peut que rester songeur. Certes, si on retient l’aspect quantitatif, la mise en œuvre de la QPC en matière pénale est une réussite. Certes, de nombreuses décisions ont permis d’améliorer significativement les droits et libertés fondamentaux dans un domaine où le dialogue avec les juges européens a plutôt bien fonctionné. En revanche sur le plan qualitatif on peut s’interroger sur le point de savoir si le rôle du Conseil constitutionnel est de corriger des oublis ou des malfaçons législatives.

On peut se demander si dans ce domaine comme dans d’autres, il ne serait pas utile de faire un peu de prévention, c’est-à-dire ne pas attendre une censure pour modifier un texte dont on sait qu’il est condamné, ou mieux encore, réduire le nombre des amendements adoptés à la hâte. Je sais que de telles réformes ne relèvent pas des juges mais elles contribueraient peut-être à éviter que des dispositions ne soient censurées sans avancée significative pour les droits fondamentaux, à l’issue d’une procédure souvent difficilement compréhensible pour les non spécialistes.

Il ne faut pas oublier en effet que la réforme de 2008 avait pour objectif essentiel de donner de nouveaux droits aux justiciables.

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