N°9 - Avril 2021 (Irresponsabilité pénale)

Lettre de la chambre criminelle

L’irresponsabilité pénale pour trouble mental ne peut pas être écartée en raison d’une faute antérieure due à la prise de toxiques.

Crim., 14 avril 2021, pourvoi n° 20-80.135

Selon la loi, la personne qui est atteinte, au moment des faits qui lui sont reprochés, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ne peut pas être déclarée responsable au plan pénal.

Il s’agit d’une règle fondamentale et très ancienne mettant en œuvre l’idée selon laquelle un individu n’est responsable, devant la justice pénale, de son acte que s’il n’est pas totalement privé de son libre arbitre, privé de la conscience de cet acte. Ce principe s’applique même si les faits reprochés sont très graves. Ainsi, juger et punir une personne pour meurtre suppose non seulement qu’elle ait donné la mort à une autre personne, mais également qu’elle ait eu la volonté, l’intention, de la tuer, ce qui est incompatible avec un trouble mental aliénant lors du passage à l’acte.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la loi prévoit que l’état mental s’apprécie au moment du passage à l’acte, et non à un moment autre, antérieur ou postérieur.

Depuis 2008, afin de mieux préserver les intérêts des victimes, le législateur a prévu la possibilité d’une audience publique au cours de laquelle les juges examinent l’existence de charges relatives aux faits à l’encontre du mis en cause, puis la question de sa responsabilité pénale suivie éventuellement de celle de sa responsabilité civile avec octroi possible de dommages et intérêts.

De véritables débats contradictoires en particulier sur les faits et la santé mentale du mis en cause ont alors lieu, en présence des experts, des parties civiles et, le cas échéant, de la personne mise en examen ainsi que des témoins.

Lorsqu’à l’issue des débats, les juges rendent une décision d’irresponsabilité pénale, ils peuvent prendre des mesures de sûreté, comme dans la présente affaire où ont été ordonnés un placement en soins psychiatriques sans consentement sous forme d’une hospitalisation complète et des interdictions de rencontrer les parties civiles et de paraître sur le lieu des faits pendant vingt ans.

S’agissant de l’évaluation mentale d’une personne mise en cause, il est recouru à des médecins psychiatres, qui émettent leur avis dans des rapports d’expertise. Ainsi, dans l’affaire examinée, les sept experts, dans trois rapports d’expertise distincts et successifs, ont unanimement considéré que l’individu auquel était reprochés des faits de séquestration et de meurtre présentait, lors de ces faits, un état psychiatrique caractérisé qualifié de bouffée délirante aiguë (c’est-à-dire, selon la description d’un expert, un « délire persécutif polymorphe, à thématique mystique et démonopathique, marquée par le manichéisme, avec une extrême variabilité de l'humeur et des émotions, une agitation psychomotrice, un vécu d'angoisse paroxystique et de danger de mort, éprouvé et agi avec une adhésion totale ») apparue depuis quelques jours.

La question de l’abolition du discernement et, par voie de conséquence, de l’irresponsabilité pénale relève de l’appréciation des juges, qui se déterminent non seulement au vu des rapports d’expertise mais également au regard des éléments qui résultent du dossier, tels que des témoignages.

Conformément à une jurisprudence bien établie et constante, cette appréciation est souveraine : la Cour de cassation, juge du droit, ne peut y substituer sa propre appréciation.

 

Cette irresponsabilité pénale peut-elle être toutefois écartée, et la personne mise en cause renvoyée devant une cour d’assises ou un tribunal correctionnel pour y être jugée, lorsque l’abolition du discernement résulte d’agissements fautifs antérieurs, comme une consommation ancienne et régulière de cannabis ?

Non, car, en l’état de la loi, que le juge est tenu d’interpréter strictement, l’abolition du discernement s’apprécie au moment de la commission des faits et sans qu’il y ait lieu de tenir compte de la cause qui y a conduit. En effet, il ne saurait être distingué là où la loi ne distingue pas et la loi précitée ne distingue pas selon l’origine du trouble psychique qui a conduit à l’abolition du discernement.

Ainsi, en cohérence avec le principe selon lequel une personne n’est responsable que des actes qu’elle commet avec conscience, c’est l’état mental lors du passage à l’acte qui doit être pris en considération, même si le comportement de l’intéressé a pu y participer.

Au demeurant, les experts psychiatres ont, en l’espèce, indiqué que la question du lien causal entre la prise de cannabis et la bouffée délirante aiguë n’est pas si simple, soulignant une forme d’autonomie du processus délirant.

 

S’agit-il d’une interprétation trop stricte de la loi ?

Le juge peut beaucoup : il applique mais aussi interprète la loi autant que cela se révèle nécessaire, en particulier lorsqu’elle est ambigüe ; il l’adapte dans la mesure du possible ; il l’articule avec les principes constitutionnels et conventionnels qui lui sont supérieurs. Mais le juge ne peut pas tout : son office n’est pas de se substituer au législateur pour créer un régime spécifique de responsabilité pénale qui contredirait la lettre et l’esprit d’un texte qu’il lui appartient d’appliquer, alors que par ailleurs la question concernée est connue de tous et depuis longtemps.

L’interprétation dite « stricte de la loi pénale », loin d’être un choix de la part du juge, constitue une règle essentielle en matière pénale, qui découle du principe constitutionnel de la légalité des délits et se trouve affirmée en tête du code pénal : « La loi pénale est d’interprétation stricte ». En effet, tout un chacun doit savoir avec précision, et avant leur commission éventuelle, les agissements que la loi pénale réprime ; seule une analyse mesurée et non extensive de la loi permet de préserver cette garantie.

 

Cette interprétation est-elle compatible avec le fait que le législateur a prévu des circonstances aggravantes pour certaines infractions, fondées sur la consommation préalable de produits stupéfiants ou d’alcool ?

Oui, car la position contraire reviendrait à occulter un élément majeur et à effectuer un raccourci erroné : ce n’est pas la consommation de produits toxiques qui peut justifier l’irresponsabilité pénale mais le trouble mental aliénant, seul le trouble aliénant, mais tout trouble aliénant.

La simple ivresse, qu’elle soit cannabique ou alcoolique, ne constitue en aucun cas un tel trouble.

Lorsque le législateur prévoit des circonstances aggravantes pour certaines infractions considérant qu’une telle ivresse facilite les passages à l’acte, cela ne change rien au fait que l’infraction doit pouvoir être néanmoins et en tout état de cause imputée pénalement à l’auteur, ce qui est exclu lorsque le discernement de l’intéressé est aboli en raison d’un état psychiatrique avéré.

 

Dans l’affaire considérée, les juges ont retenu à l’encontre du mis en cause l’existence de « charges suffisantes » pour les faits de meurtre aggravé par la circonstance qu’ils ont été commis à raison de l'appartenance de la victime à la religion juive. Ce constat est-il inconciliable avec la déclaration d’irresponsabilité pénale ?

En réalité - et c’est là toute la complexité juridique du sujet -, cette déclaration n’est pas plus inconciliable avec l’imputation d’un meurtre qu’avec l’imputation d’une telle circonstance aggravante. En effet, par définition, on ne peut retenir la dimension intentionnelle tant d’un crime que d’une circonstance aggravante reprochés à une personne privée de son libre arbitre. Si la loi demande aux juges d’apprécier l’existence de charges suffisantes contre la personne d’avoir commis les faits, c’est afin de permettre à la société et aux parties civiles de voir consacrer une forme de « culpabilité matérielle » de la personne mise en examen. Autrement dit, cela revient à déterminer comment auraient été qualifiés les faits s’ils avaient été commis par une personne dont le discernement n’avait pas été aboli.

En l’espèce, s’agissant de la circonstance fondée sur l’antisémitisme, les juges ont considéré qu’elle devait être relevée compte tenu d’éléments matériels, à savoir en particulier les propos tenus par le mis en cause au moment des faits, dont la réalité était attestée par des témoins, les experts soulignant en outre que le caractère antisémite des faits n’était pas contradictoire avec un état délirant.

Pour autant cela ne signifie pas que le mis en cause puisse être jugé, déclaré coupable et condamné pour avoir commis un meurtre aggravé dès lors que son discernement était aboli lors des faits.

 

Convient-il de changer la loi ?

La réponse ne relève pas de l’office du juge. Un rapport sur ce sujet délicat et complexe vient d’être remis au ministre de la justice par deux anciens présidents de la commission des lois de l’Assemblée nationale.

Pour aller plus loin, voir le rapport du conseiller, l’avis écrit de l’avocat général et son avis oral, et le communiqué de presse

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