N°7 - Février 2021 (Éditorial de Christian Guéry, conseiller )

Lettre de la chambre criminelle

En mars 2017, après ma première audience, une « plénière de chambre » où participaient tous les membres de la chambre criminelle, je rendis visite à mes anciennes greffières de la chambre de l’instruction de Grenoble pour leur dire : « Mesdames, désormais j’opine après mes préopinants et je ne rase plus les murs mais les moyens ! ». Je leur racontai ma surprise d’avoir pu constater que la solennité des lieux, décrite par Anne-Sophie de Lamarzelle dans le numéro 2 de cette Lettre, pouvait autant imprégner le langage.

Dans le dictionnaire de l’Académie française, huitième édition (1932-1935), on trouve : « Préopinant : (vieilli) personne qui opine avant une autre ». Vieilli il y a presque un siècle ! Lors de la même audience, un jeune conseiller référendaire nous dit « nous avons jugé en 1866 que… ». Je ne lui voyais pas cet âge-là ! « Autant rendre un arrêt tampon ! », dit un autre.

Et je m’attendais à tout moment à ce que l’un de mes collègues usât du bel et bon terme qui fit nos délices d’étudiant : « attendu qu’il échet … ». Je fus déçu sur ce point.

Le langage à la Cour de cassation est assez éloigné de ce que j’avais pu connaître comme juge du fond. Il est affaire de spécialistes…de la Cour de cassation. Je passai quelques nuits à grommeler dans mon sommeil : « attendu que le moyen, qui manque en fait dans sa deuxième branche… ; attendu que le moyen qui est, dans ses deux premières branches, mélangé de fait et de droit et partant irrecevable… ».

Si certains des mots ou locutions rapportées ici ont une signification juridique précise, d’autres participent d’une tradition de langage surannée dont il paraissait difficile de se défaire.

Miracle !

Par l’effet conjugué d’une volonté affirmée des premiers présidents de la Cour et des présidents de la chambre criminelle, nous sommes passés, en très peu de temps, au style direct et à la motivation enrichie des décisions les plus importantes.

L’interminable et unique phrase, aux longues subordonnées multiples séparées par des points virgules, a fait place à des paragraphes comprenant des phrases courtes, numérotées, et ne portant chacun qu’une seule idée. La possible utilisation de locutions adverbiales de liaison précise le rapport que deux idées entretiennent l’une par rapport à l’autre.

Nous nous comprenons toujours entre nous mais nous sommes-on peut l’espérer- un peu mieux compris de ceux qui nous lisent.

Le langage évolue aussi à la Cour de cassation même si, de temps en temps, dans nos audiences les plus solennelles, on « préopine » encore un peu…

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