N°4 - Novembre 2020 (Éditorial d’Annabelle Philippe, avocate générale référendaire)

Lettre de la chambre criminelle

Les mots sont parfois trompeurs, il faut s’en méfier.

Il en est ainsi des mots « avocat général » quand ils désignent le représentant du parquet général devant la chambre criminelle de la Cour de cassation. Car ce magistrat, si ce n’est par son appellation, se distingue en tous points du représentant du ministère public près les chambres correctionnelles des cours d’appel et, de façon plus générale, des magistrats du parquet des juridictions du fond. Son seul point commun avec ces derniers, est finalement de ne pas appartenir à la formation de jugement et d’exprimer son avis oralement, debout, à l’audience. Pour le reste, les fonctions de l’avocat général à la chambre criminelle ne se rattachent en rien à celles de son homonyme des cours d’appel et c’est ce qui fait toute sa spécificité.

Il n’exerce pas l’action publique et ne soutient pas l’accusation. C’est que, devant la chambre criminelle, nul n’est poursuivi. C’est une décision qui est attaquée devant elle et il s’agit de s’assurer que celle-ci a été rendue au terme d’une procédure régulière et que la solution qu’elle comporte est conforme à la norme de droit, notamment à la norme conventionnelle. Le rôle de l’avocat général est dès lors, de donner son avis sur les critiques adressées par le demandeur. Il le fait, par écrit, et, chronologie déroutante, il intervient en dernier, après le dépôt des mémoires des parties et du rapport du conseiller, de la même façon qu’à l’audience, il soutient ses conclusions après les plaidoiries des avocats aux Conseils.

N’étant soumis à aucune autorité hiérarchique dans l’exercice de ses fonctions juridictionnelles, l’avocat général ne reçoit d’instruction de quiconque et c’est en toute indépendance qu’il exprime son avis sur le mérite des pourvois. Impartial, il ne défend aucun intérêt particulier. Il ne peut donc être regardé comme une partie. Il est même plutôt une partie intégrante de la chambre puisque, par son avis exprimé publiquement et soumis à la discussion contradictoire, il participe à l’élaboration de la décision prise par elle, même si son rôle s’arrête au seuil du délibéré auquel il ne participe ni n’assiste. 

En définitive, il est, pourrait-on dire, l’avocat de la loi, participant à la mission confiée à la Cour de cassation de veiller, comme garante de l’Etat de droit, à l’application uniforme de la loi sur le territoire national et au respect de l’ordre juridique et des droits fondamentaux qui en constituent le socle. La loi le consacre d’ailleurs dans ce rôle en énonçant que « l’avocat général rend des avis dans l’intérêt de la loi et du bien commun ». Ce même article lui confie aussi une autre mission, celle d’éclairer « la Cour sur la portée de la décision à intervenir ».

Cette mission prend tout son sens lorsque le pourvoi soulève une question de droit nouvelle ou lorsque d’importants enjeux sont attachés à la solution qu’il est susceptible d’appeler. Il appartient alors à l’avocat général d’examiner de manière approfondie l’incidence possible des solutions pouvant être envisagées et d’en appréhender les enjeux, le cas échéant, en effectuant, en concertation avec le conseiller rapporteur, des consultations auprès des autorités ou des institutions extérieures susceptibles d’apporter leur éclairage. Une fois les éléments utiles rassemblés, il revient à l’avocat général de présenter à la chambre les différentes voies qui s’offrent à elle et les conséquences qui s’y attachent, pour, à la fin, selon la conviction qu’il se sera forgée, lui proposer de n’en retenir qu’une seule en avançant les arguments de nature à l’en convaincre.

Dans le cadre de cette procédure écrite, l’audience offre à l’avocat général un espace d’oralité complémentaire dont il doit se saisir.

Destiné à alimenter tant le débat public que le délibéré, l’avis de l’avocat général demeure, après la décision, comme un jalon de nature à éclairer celle-ci. Ainsi, si le sort de l’avis de l’avocat général n’est pas nécessairement d’être suivi, là n’est pas l’essentiel, car ce qui importe en réalité, ce n’est pas tant d’avoir convaincu que d’avoir effectivement éclairé et d’avoir été entendu.

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