N°9 - Mars 2023 (Sociétés civiles et commerciales)

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Une sélection commentée des arrêts rendus par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation (Agent commercial / banque / Cautionnement / Concurrence / Impôts et taxes / Procédures collectives / Propriété industrielle / Publicité trompeuse / Responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle / Séparation des pouvoirs / Sociétés civiles et commerciales / Transports).

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Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

N°9 - Mars 2023 (Sociétés civiles et commerciales)

Capital variable - Associés - Exclusion - Clause d'exclusion statutaire - Validité - Condition - Justes motifs d'exclusion

Com., 9 novembre 2022, pourvoi n°21-10.540

Une clause des statuts d'une société à capital variable prévoyant la possibilité d'exclure un associé pour justes motifs sans mentionner ces motifs est-elle valable ?

Selon l'article L. 231-6, alinéa 2, du code de commerce, il peut être stipulé dans les statuts d'une société commerciale à capital variable que l'assemblée générale a le droit de décider, à la majorité fixée pour la modification des statuts, que l'un ou plusieurs des associés cessent de faire partie de la société, l'article L.231-1 du même code définissant la société à capital variable comme une société dont le capital social est susceptible d'augmentation par des versements successifs des associés ou l'admission d'associés nouveaux et de diminution par la reprise totale ou partielle des apports.

En l'espèce, une clause des statuts d'une SARL à capital variable stipulait que tout associé pouvait être exclu de la société pour justes motifs par une décision des associés réunis en assemblée générale et statuant à la majorité fixée pour la modification des statuts.

L'exclusion d'un associé en application de cette clause impliquait donc, conformément aux dispositions de l'article L. 231-6, alinéa 2, du code de commerce précité, d'une part, une décision prise en assemblée générale à une majorité qualifiée et, d'autre part, l'existence de justes motifs fondant cette décision.

La question soulevée par le pourvoi était celle de savoir s'il fallait aller au-delà de ces exigences et imposer que les statuts énoncent précisément les causes possibles d'exclusion.

La chambre commerciale répond par la négative à cette question, jugeant pour la première fois qu'il résulte de l'article L. 231-6, alinéa 2, du code de commerce qu'est licite une clause des statuts d'une société commerciale à capital variable stipulant que tout associé peut être exclu de la société pour justes motifs par une décision des associés réunis en assemblée générale statuant à la majorité fixée pour la modification des statuts, quand bien même cette clause ne précise pas les motifs d'exclusion.

Société anonyme - Administrateur - Obligation d'être propriétaire d'actions de la société

Com., 12 oct. 2022, pourvoi n° 19-18.945

L'arrêt commenté répond à deux questions inédites et importantes pour la place financière de Paris : la société de gestion d'un fonds commun de placement peut-elle être désignée administratrice d'une société anonyme ? Si oui, l'article L. 225-25 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, lui impose-t-il d'être elle-même propriétaire d'actions de cette société ?

Dans la présente espèce, les sociétés de gestion de fonds communs de placement dans l'innovation (FCPI) avaient été désignées administratrices d'une société anonyme dont ces FCPI détenaient des actions.

Des actionnaires minoritaires de cette société anonyme s'estimaient lésés par certaines décisions prises par les majoritaires et les avaient assignés en annulation de délibérations et en paiement de dommages et intérêts. Ils soutenaient notamment que certaines décisions du conseil d'administration prises depuis 2007 étaient nulles en raison de l'irrégularité de la composition de ce dernier dès lors que les sociétés de gestion des FCPI auraient dû être elles-mêmes propriétaires d'une action de la société, conformément aux statuts pris en application de l'ancien article L. 225-25 du code de commerce.

La difficulté des questions soulevées provient de la nature juridique très particulière du fonds commun de placement qui est une copropriété d'instruments financiers et de dépôts et qui n'a pas la personnalité morale, selon l'article L. 214-8 du code monétaire et financier, de sorte qu'il ne peut pas être désigné lui-même administrateur en application de l'article L. 225-20 du code de commerce.

Pour compenser cette absence de personnalité morale, le législateur a instauré un mécanisme spécial de représentation : l'article L. 214-25 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de la loi n°2003-706 du 1er août 2003, (et aujourd'hui l'article L. 214-8-8) dispose que le fonds commun de placement est représenté à l'égard des tiers par la société chargée de sa gestion.

Par l'arrêt commenté, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation reconnaît la possibilité pour la société de gestion d'un FCPI d'être désignée administratrice, dans la mesure où elle a la personnalité morale, et ce conformément à la volonté du législateur qui a implicitement consacré cette faculté à l'article L. 225-95-1 du code de commerce relatif au cumul des mandats d'administrateur.

Elle répond en outre à la seconde question qui lui était posée par le deuxième moyen du pourvoi : comment la condition de propriété d'actions, imposée par l'ancien article L. 225-25 du code de commerce, doit-elle s'apprécier ? Chaque administrateur doit-il être propriétaire d'un nombre d'actions de la société déterminé par les statuts, peu important qu'il siège en son nom propre ou au nom d'autrui, ou bien la condition posée par ce texte s'apprécie-t-elle, en cas de représentation, dans la personne du représenté et non dans celle du représentant ?

C'est bien parce qu'elle représente les intérêts du FCPI qu'elle gère et, indirectement, de ses porteurs de parts, qu'une société de gestion siège au conseil d'administration d'une société anonyme dont le fonds détient des actions. Par conséquent, la chambre commerciale a jugé que l'exigence de propriété d'actions posée par l'article L. 225-25 du code de commerce doit être considérée comme satisfaite lorsque le FCPI détient des actions de la société anonyme.

La présente décision, rendue sur le fondement d'une obligation légale de propriété d'actions aujourd'hui disparue, conserve néanmoins son intérêt dès lors qu'aux termes du nouvel article L. 225-25, dans sa rédaction issue de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013, les statuts peuvent imposer que chaque administrateur soit propriétaire d'un nombre d'actions de la société, qu'ils déterminent.

Société civile

Retrait - Effets - Remboursement des droits sociaux - Date d'évaluation - Clause statutaire retenant la date à laquelle il est remboursé de ses droits - Date de versement du prix de rachat des parts - Date d'évaluation des droits sociaux

 

Com., 9 nov. 2022, pourvoi n° 20-20.830

A quelle date un expert désigné sur le fondement de l’article 1843-4 du code civil doit-il se placer pour évaluer les parts d’une société civile ?

L’article 1843-4 du code civil institue un dispositif permettant de faire déterminer, en cas de contestation, la valeur des parts d’un associé retrayant, exclu, failli, décédé ou non agréé, par un expert désigné par le président du tribunal selon la procédure accélérée au fond. Toutefois, ce texte ne précise pas la date à laquelle l’expert doit se placer pour procéder à cette évaluation.

Selon une jurisprudence constante, dont le fondement peut être recherché dans l’article 1860 du code civil, l’expert doit se placer à la date la plus proche du remboursement, puisque, selon ce texte, ce n’est qu’une fois que l’associé a été remboursé de ses parts qu’il perd la qualité d’associé. Cette règle ne reçoit exception qu’en cas de décès de l’associé, où la date à prendre en compte est celle du décès (articles 1870-1 du code civil et L. 221-15 du code de commerce), et concernant certaines professions réglementées (notaires).

En pratique, les experts désignés en application de l’article 1843-4 du code civil évaluent donc les parts à la date où ils établissent leur rapport, qui est la date la plus proche de celle à laquelle les parts seront ensuite remboursées.

Toutefois, dès avant la réforme issue de l’ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014, qui a notamment introduit la possibilité pour les statuts ou la convention des parties de lier l’expert par des règles d’évaluation particulières, la jurisprudence avait admis la possibilité pour les statuts de prévoir une date différente de la date la plus proche du remboursement. L’objectif de telles dérogations statutaires est notamment de figer la situation au moment où intervient l’événement (retrait, exclusion etc.) qui justifie l’évaluation, pour ne pas exposer les parties aux aléas susceptibles de résulter d’une évaluation effectuée longtemps après.

Dans l’affaire commentée, un associé, entré dans une société civile en 1996 en acquérant un certain nombre de parts au prix unitaire de 1 637,30 euros, notifie son retrait près de deux ans plus tard à la société, laquelle, par une délibération du 16 juin 1998, ratifie ce retrait et fixe, conformément aux statuts, la valeur des parts pour l’année en cours à 2 285 euros. Le montant représentatif de l’ensemble des parts détenues par cet associé lui est versé en quatre échéances, la dernière intervenant le 28 janvier 2002.

Contestant cette valeur, l’associé engage différentes procédures et, en dernier lieu, saisit le président d’un tribunal judiciaire sur le fondement de l’article 1843-4 du code civil. Un expert est désigné le 17 mars 2009 et dépose son rapport le 20 février 2012, fixant la valeur unitaire des parts à 48 546 euros ; pour ce faire, l’expert se fonde notamment sur les derniers résultats comptables obtenus en 2009 et 2010.

Cette évaluation est, à son tour, contestée par la société devant un tribunal, lequel annule ce rapport d’expertise pour erreur grossière : selon le tribunal, conformément à une clause figurant dans les statuts de la société, l’expert aurait dû se placer à la date à laquelle l’associé a perdu cette qualité du fait du rachat de ses parts par la société. Sur l’appel de l’associé retrayant, cette décision est confirmée par la cour d’appel de Paris : toutefois, s’écartant légèrement de l’analyse retenue par le tribunal, la cour d’appel considère que l’expert aurait dû se placer à la date où avait été officiellement acté le retrait de l’associé, c’est à dire le 16 juin 1998.

Un pourvoi en cassation est formé par l’associé, mais il est rejeté par l’arrêt commenté.

En effet, en présence d’une clause des statuts dont il ressort que, en cas de retrait d’un associé, celui-ci perd sa qualité à la date à laquelle il est remboursé de ses droits par la société au prix fixé par elle conformément aux statuts, l’expert ne peut, sauf à commettre une erreur grossière, se placer à la date à laquelle il procède à cette évaluation. Néanmoins, la chambre commerciale, financière et économique souligne que si, en l’espèce, l’erreur grossière est avérée, l’expert aurait dû se placer, non pas à la date à laquelle la société a accepté le retrait (16 juin 1998), ainsi que la cour d’appel l’a retenu, mais à la date à laquelle l’associé a perçu l’entier remboursement de ses parts au prix fixé par la société (soit le 28 janvier 2002), qui est la date à laquelle il a perdu la qualité d’associé.

La solution qu’avait retenue l’expert en 2012 présentait l’inconvénient majeur de faire dépendre la date d’évaluation des parts d’événements dont les parties n’avaient pas la maîtrise, alors que celles-ci avaient précisément entendu, en insérant la clause concernée dans les statuts, limiter les aléas. Pour autant, la cour d’appel était allée trop loin en retenant la naissance de l’obligation de rachat plutôt que son exécution par la société, dans les conditions prévues par les statuts.

En apportant cette précision, la chambre commerciale, financière et économique entend ainsi éclairer l’expert qui sera, le cas échéant, désigné, sur la date à laquelle il devra se placer pour déterminer la valeur des parts.

Société par actions simplifiée - Nullité d’une décision (article L. 229-9, alinéa 4, du code de commerce)

Com., 15 mars 2023, pourvoi n° 21-18.324

Une décision prise en méconnaissance de la répartition des pouvoirs telle que résultant des statuts d’une société par actions simplifiée peut-elle être annulée ?

D’une manière générale, la loi ne prévoit la possibilité d’annuler une décision prise par une société commerciale que si, en particulier, celle-ci méconnaît une disposition impérative régissant le droit des sociétés. En revanche, elle ne prévoit pas expressément la possibilité de sanctionner par la nullité une décision prise en violation des statuts.

Afin de ne pas laisser sans sanction les cas les plus graves, la jurisprudence a admis de longue date la possibilité d’annuler une décision prise en violation des statuts lorsque la disposition statutaire méconnue a été adoptée en application d’une faculté, offerte par la loi impérative elle-même, d’aménager conventionnellement la règle posée par elle, par exemple en choisissant entre deux options offertes par une telle loi.

Cette solution, adaptée aux formes sociales traditionnelles, qui sont très réglementées, pose une difficulté concernant les SAS pour lesquelles, précisément, la loi fixe peu de règles et dans lesquelles une grande liberté est laissée aux rédacteurs des statuts pour, en particulier, organiser les pouvoirs entre les différents organes sociaux.

Ce sont par exemple les statuts qui, sauf exceptions, déterminent, en vertu de l’article L. 227-9, alinéa 1er, du code de commerce, d’une part, les décisions devant être prises collectivement par les associés, d’autre part les conditions et les formes dans lesquelles de telles décisions doivent être prises.

Or, l’alinéa 4 de cet article disposant que ne peuvent être annulées que les décisions prises en violation « des dispositions du présent article », la jurisprudence s'en est tenue dans un premier temps, par un arrêt du 26 avril 2017, à une application stricte du texte et a donc refusé de sanctionner par la nullité les décisions méconnaissant les statuts, en dehors du cas précédemment évoqué où les statuts aménagent une disposition impérative de la loi. Toutefois, cette solution s'est avérée trop restrictive, en conduisant à ce que des décisions violant des dispositions statutaires majeures ne puissent être sanctionnées.

C’est pourquoi la chambre commerciale, par l’arrêt commenté, a abandonné cette solution en jugeant que l’alinéa 4 de l’article L. 227-9 du code de commerce doit désormais être lu comme visant les décisions prises en violation de clauses statutaires stipulées en application du premier alinéa et permettant, lorsque cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision, à tout intéressé d'en poursuivre l'annulation.

La chambre commerciale réhabilite ainsi, au sein de la société par actions simplifiée, la force obligatoire des statuts tout en préservant la sécurité juridique, la nullité qu’elle consacre étant réservée aux violations substantielles des dispositions statutaires entrant dans le champ couvert par l’article L. 227-9 du code de commerce, à savoir celles qui sont de nature à influer sur le résultat du processus de décision

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