N°9 - Mars 2023 (Séparation des pouvoirs)

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Une sélection commentée des arrêts rendus par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation (Agent commercial / banque / Cautionnement / Concurrence / Impôts et taxes / Procédures collectives / Propriété industrielle / Publicité trompeuse / Responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle / Séparation des pouvoirs / Sociétés civiles et commerciales / Transports).

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Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

N°9 - Mars 2023 (Séparation des pouvoirs)

Compétence judiciaire

Domaine d'application - Pratiques anticoncurrentielles - Décision prise par l'Autorité de la concurrence - Compétence d'attribution - Construction d'ouvrages publics - Ordre professionnel - Diffusion de méthodes de calcul des prix et mise en place d'un système de contrôle des prix

 

Com., 1 février 2023, pourvoi n° 20-21.844

Le contrôle par la cour d’appel de Paris des décisions de sanctions prononcées par le Conseil de la concurrence, devenu en 2009 l’Autorité de la concurrence, a, depuis l’origine, entraîné la question de sa compétence pour se prononcer dans le cas où des personnes publiques ou des personnes privées chargées d’une mission de service public se livrent à des pratiques anticoncurrentielles.

Par une première décision, le Tribunal des conflits a d’abord énoncé que l'acte juridique de dévolution de l'exécution d’un service public n'était pas, par lui-même, susceptible d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché, et qu'il n'appartenait en conséquence qu'aux juridictions de l'ordre administratif de vérifier la validité de cet acte au regard des dispositions du droit de la concurrence (TC, 6 juin 1989, Préfet de la région d’Ile-de -France C Cour d’appel de Paris, n°89-02.578).

Il a complété ensuite son analyse en considérant que, dès lors qu'une décision est prise par une personne privée dans le cadre de la mission de service public qui lui a été assignée et relève de l'exercice d'une prérogative de puissance publique, c'est-à-dire qu'elle revêt le caractère d'un acte administratif, elle ne constitue pas une activité de production, de distribution ou de services, à laquelle s'appliqueraient les règles de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Il en a déduit qu'il n'appartenait qu'à la juridiction administrative d'en apprécier la validité (Trib. confl. 4 novembre 1996, Sté Datasport c/ Ligue nationale de football n° 96-03.038).

L’ultime étape de cette évolution a été réalisée par un arrêt du 18 octobre 1999 (TC, 18 octobre 1999, Aéroports de Paris, n°99-03174) par lequel le Tribunal des conflits a énoncé que « si dans la mesure où elles effectuent des activités de production, de distribution ou de services les personnes publiques peuvent être sanctionnées par le Conseil de la concurrence agissant sous le contrôle de l'autorité judiciaire, les décisions par lesquelles ces personnes assurent la mission de service public qui leur incombe au moyen de prérogatives de puissance publique, relèvent de la compétence de la juridiction administrative pour en apprécier la légalité et, le cas échéant, pour statuer sur la mise en jeu de la responsabilité encourue par ces personnes publiques ». Dans son dernier arrêt sur la question, le Tribunal des conflits a appliqué ce principe pour juger que la pratique imputée au Centre des monuments nationaux, consistant à réduire, au profit de son propre service éditorial, les commandes et, partant, les ventes des ouvrages édités et diffusés par la société d’édition Jean-Paul Gisserot, objets d’un marché public liant les parties, et qui était susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle, était étrangère à l’organisation du service public géré par l’établissement public et ne constituait pas la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique. (TC, 4 mai 2009, Sté Editions Jean-Paul Gisserot, n° 09-03.714).

De longue date, la jurisprudence applique ce principe et la chambre commerciale de la Cour de cassation a, par plusieurs arrêts, rappelé cette ligne de départage, en particulier concernant les ordres professionnels. Elle a ainsi jugé que la diffusion par l’ordre des pharmaciens d’un communiqué exprimant une interprétation inexacte du code de la santé publique sur laquelle il se fondait pour manifester son opposition à l'activité de portage de médicaments à domicile, ne manifestait pas l'exercice d'une prérogative de puissance publique, sortait de la mission de service public qui lui est conférée en tant qu'ordre professionnel, et constituait une intervention sur le marché du portage de médicaments à domicile dont le Conseil de la concurrence pouvait connaître (Com., 16 mai 2000, pourvoi n° 98-12.612, Bulletin civil 2000, IV, n° 100).

Elle a aussi retenu que les pratiques de l’ordre des chirurgiens-dentistes et de certains conseils départementaux, consistant, pour s’opposer au développement d’une entreprise de comparaison des devis et d’émission d’avis sur l’opportunité de soins proposés aux patients, à adresser d'abord à une société tierce une lettre dans laquelle ils se livraient à une interprétation de la législation applicable à l'activité mutualiste et à faire connaître ensuite, par circulaire, aux praticiens inscrits à l'ordre le contenu de cette lettre, de même que les menaces dirigées contre ces praticiens dans la circulaire qui leur a été adressée, ne constituaient pas l’usage de prérogatives de puissance publique ou la mise en œuvre d'un dispositif contraignant, de nature disciplinaire et articulé au nom de l'intérêt général et de l'action publique. (Com., 7 juin 2011, pourvoi n°10-12.038).

Ce qui faisait débat dans l’affaire commentée est que l’Autorité de la concurrence et la cour d’appel de Paris ont paru sortir de ce cadre en retenant que l'Autorité était compétente pour connaître de pratiques mises en œuvre par les ordres professionnels, même si les pratiques en cause relevaient de l'exercice de prérogative de puissance publique, dès lors que celles-ci ont été mises en œuvre de manière manifestement inappropriée et sont donc détachables de la mission de service public, et ainsi de l'appréciation de la légalité d'un acte administratif

Cette référence à la « mise en œuvre de manière manifestement inappropriée des prérogatives de puissance publique » est reprise d’un arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 10 décembre 2014, ayant précisé que l’existence d’une prérogative de puissance publique ne saurait offrir une protection absolue contre toute allégation de comportement restrictif de concurrence, puisque l’exercice manifestement inapproprié d’un tel pouvoir constituerait, en tout état de cause, en un détournement de ce pouvoir (TUE, 10 décembre 2014, Ordre national des pharmaciens (ONP), T-90/11, § 207). Cette notion avait précédemment été reprise par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 7 octobre 2019 (société AGN Avocats, RG n° 18/23386), contre lequel aucun pourvoi n’avait été formé.

La chambre commerciale n’a pas validé cette analyse. En effet, si le principe selon lequel l’exercice manifestement inapproprié de prérogatives de puissance publique constituerait un détournement de ce pouvoir et ne saurait faire obstacle à l’application des dispositions du droit de la concurrence est, en application des articles 106, § 2 du TFUE et L. 410-1 du code de commerce, un mécanisme pertinent pour l’application du droit de la concurrence aux personnes publiques, il ne peut l’être en matière de détermination de compétence matérielle, puisque l’appréciation du caractère approprié ou non de prérogatives de puissance publique, même au stade de ce qui est manifeste, ressort de la compétence de l’ordre administratif des juridictions et échappe à l’appréciation du juge judiciaire.

En l’espèce, toutefois, il était sans portée que la Cour de cassation n’approuve pas l’analyse de la cour d’appel, puisque celle-ci avait fait ressortir par les autres motifs de sa décision que la procédure de l’Autorité de la concurrence avait eu pour objet de déterminer si et dans quelle mesure l’ordre des architectes avait concouru à la diffusion de tarifs et de méthodes de calcul des prix et mis en place un système de contrôle des prix généralisé, par des mesures de contrainte et menaces de procédures disciplinaires ayant pour finalité d'encadrer tant l'offre que la demande en matière de maîtrise d'ouvrage pour la construction d'ouvrages publics dans le sens de consignes tarifaires, susceptibles de constituer des pratiques anticoncurrentielles et que ces actes ne relevaient pas de sa mission de service public ni des prérogatives de puissance publique qui y sont attachées.

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