Faute - Société - Filiale - Décisions prises par l'actionnaire - Cession de parts d'une société en état de cessation des paiements - Obligation de s'assurer que le cessionnaire dispose d'un projet de reprise viable (non)
Com., 1 mars 2023, pourvoi n° 21-14.787
Une société mère a-t-elle l’obligation, lorsqu’elle cède les parts d’une filiale en état de cessation des paiements, de s’assurer de la viabilité du projet de reprise du cessionnaire ?
Cette question s’inscrit dans le cadre d’un litige opposant les salariés d’une filiale mise en liquidation judiciaire qui, ayant été licenciés par le liquidateur, ont assigné la société mère en paiement, sur le fondement de l’article 1382 ancien du code civil, de dommages et intérêts en réparation du préjudice né de la perte de leur emploi.
Il est admis en jurisprudence que des salariés puissent agir en responsabilité délictuelle à l’encontre d’une société tierce, en particulier d’une société mère, lorsque celle-ci a concouru, par sa faute, à la déconfiture de leur employeur et, par suite, à la perte de leur emploi, à la condition toutefois qu’ils n’aient pas obtenu dans le cadre de l’instance prud’homale les opposant à leur employeur une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass soc 8 juillet 2014 n° 13-15.573 et 13-15.470, Bull V n° 180, 24 mai 2018 n° 16-22.903, Bull V n° 88 et, sur le dernier point, 27 janvier 2021 n° 18-23.535).
La société filiale ayant, en l’espèce, été mise en liquidation judiciaire quelques mois après la cession et alors qu’elle était, à cette date, en état de cessation des paiements, la société mère a-t-elle commis une faute en ne s’assurant pas de la viabilité économique et financière, au moins à court terme, du projet de reprise du cessionnaire ?
La chambre commerciale répond par la négative à cette question.
Aucun texte ni aucun principe n’impose, en effet, au cédant de parts d’une société, fût-elle en état de cessation des paiements, de s’assurer, avant la cession, de ce que le cessionnaire dispose d’un projet de reprise garantissant la viabilité de l’entreprise cédée et lui permettant d’échapper, au moins à court terme, à une procédure collective.
Il est, au contraire, jugé que la cessation des paiements n'implique à elle seule ni que l'entreprise en cause soit dans l'impossibilité de poursuivre son activité économique ni que la société qui l'exploite soit elle-même dans l'impossibilité de réaliser son objet (Cass., com 2 mai 2007, n° 05-21.295). S'il existe une obligation pré-contractuelle d'information du cédant sur la situation financière et économique de la société cédée, celle-ci est en faveur du seul cessionnaire et la jurisprudence montre que toute erreur ou tout dol sont exclus lorsque le cessionnaire savait que la société cédée était en état de cessation des paiements et ne pouvait maintenir son activité que par l'apport de fonds.
La fraude étant, par principe, toujours réservée, ce n’est que si la société mère avait cédé les parts de sa filiale en sachant que le cessionnaire était dans l’impossibilité d’en poursuivre l’activité et dans le seul objectif d’échapper à ses obligations en cas de licenciements collectifs que la responsabilité de la société mère aurait pu être engagée en raison de cette fraude qu’en l’espèce la cour d’appel a écarté.