N°9 - Mars 2023 (Impôts et taxes)

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Une sélection commentée des arrêts rendus par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation (Agent commercial / banque / Cautionnement / Concurrence / Impôts et taxes / Procédures collectives / Propriété industrielle / Publicité trompeuse / Responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle / Séparation des pouvoirs / Sociétés civiles et commerciales / Transports).

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Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

N°9 - Mars 2023 (Impôts et taxes)

Enregistrement - Droits de mutation - Mutation à titre onéreux de meubles - Cession de droits sociaux - Exclusion - Cession d'usufruit

Com., 30 nov. 2022, pourvoi n° 20-18.884

La cession de l'usufruit de droits sociaux est-elle soumise au droit d'enregistrement applicable aux cessions de droits sociaux prévu à l'article 726 du code général des impôts ?

L'article 726 du code général des impôts dispose que les cessions de droits sociaux sont soumises à un droit d'enregistrement proportionnel, sans viser [spécifiquement] les cessions de l'usufruit de droits sociaux.

L'article 635 du même code, qui soumet expressément à la formalité de l’enregistrement les actes portant transmission de propriété ou d’usufruit de biens immeubles ou de fonds de commerce, ne prévoit pas, en revanche, de soumettre les actes portant cession de l'usufruit de droits sociaux à cette formalité, mais seulement les actes portant cession de droits sociaux.

La cour d'appel avait néanmoins considéré, suivant la thèse de l'administration fiscale, que les cessions de droits sociaux englobaient les cessions de l'usufruit de tels droits, de sorte que devait être soumis au droit d'enregistrement proportionnel l'acte de cession de l'usufruit de parts sociales litigieux.

Le pourvoi posait donc la question inédite de savoir si la cession de l'usufruit de droits sociaux réalisait une « cession de droits sociaux » au sens de l'article 726 du code général des impôts.

Se fondant sur les dispositions de l'article 578 du code civil, la chambre commerciale, saisie par la troisième chambre civile d’une demande d’avis, a énoncé que l'usufruitier de parts sociales ne pouvait se voir reconnaître la qualité d'associé, qui n'appartient qu'au nu-propriétaire (Com., 1er décembre 2021, n° 20-15.164 ; 3e Civ., 16 février 2022, n° 20-15.164, publié). Elle en a déduit, dans l’arrêt commenté, que la cession de l'usufruit de droits sociaux ne pouvait être qualifiée de cession de droits sociaux.

En effet, seul le nu-propriétaire est propriétaire des parts sociales et lui seul peut les céder, l'usufruitier n'étant titulaire que d'un droit réel lui conférant certaines prérogatives sur ces parts. La cession de l'usufruit de droits sociaux, de même que la constitution de l'usufruit de droits sociaux au profit d'un tiers, n'opère donc pas de mutation de la propriété des droits sociaux, et, partant, ne peut être regardée comme réalisant une cession de droits sociaux.

Les droits d’enregistrement prévus à l’article 726 du code général des impôts ne sont donc pas dus en cas de cession de l’usufruit de droits sociaux.

Contributions directes - Tabac - Contrôle sur les lieux d'exercice de l'activité - Possibilité

Com., 4 janv. 2023, pourvoi n° 19-21.884

L'arrêt commenté est l'occasion, pour la chambre commerciale de la Cour de cassation, de répondre à deux questions distinctes relatives aux opérations de contrôle des agents de l'administration des douanes réalisées dans les locaux de redevables de contributions indirectes :

Dans quel cadre les agents de l'administration des douanes peuvent-ils procéder au contrôle des locaux d'un entrepositaire agréé de tabac ?

La société demanderesse au pourvoi soutenait que le contrôle réalisé dans ses locaux était irrégulier en ce que l'article L. 34 du livre des procédures fiscales, visé dans le procès-verbal d'intervention, ne s'applique qu'aux entrepositaires agréés de boissons.

La chambre commerciale a considéré ce moyen inopérant dès lors que, sur le fondement de l'article L. 26 du livre des procédures fiscales, les agents de l'administration des douanes peuvent intervenir dans tous les lieux d'exercice d'activités soumises à contributions indirectes, dont les locaux des entrepositaires agréés de boissons ou de tabac, sans formalité préalable et sans que leur contrôle puisse être retardé, pour y procéder à des inventaires, aux opérations nécessaires à la constatation et à la garantie de l'impôt et, généralement, aux contrôles qualitatifs et quantitatifs prévus par ces législations, l'article L. 27 du même code précisant les intervalles de temps pendant lesquels de tels contrôles peuvent être opérés, quand il n'existe pas de dispositions particulières.

Un redevable de contributions indirectes est-il fondé à produire la captation de l'image d'un agent de l'administration des douanes réalisée à partir d'un système de vidéosurveillance afin de contester le déroulement des opérations de contrôle ?

Devant les juges du fond, la société redevable de contributions indirectes avait produit des images captées à l'aide d'un dispositif de vidéosurveillance installé dans ses locaux, à titre de preuve de l'irrégularité des opérations d'inventaire effectuées lors du contrôle. Ces pièces avaient été déclarées irrecevables comme contraires aux dispositions des articles 9 du code de procédure civile et 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi qu'au principe de loyauté dans l'administration de la preuve, au motif qu'il n'était pas démontré que les agents des douanes avaient été informés préalablement de la présence du dispositif de vidéosurveillance, de sorte que les enregistrements avaient été réalisés sans preuve de leur consentement tacite, certain et non équivoque.

La chambre commerciale a considéré que l'exercice du droit à la preuve devait permettre aux redevables qui subissent un contrôle douanier d'apporter la preuve contraire de faits constatés dans les procès-verbaux dressés par des agents de l'administration des douanes assermentés, ces procès-verbaux faisant foi jusqu'à preuve contraire, conformément aux dispositions de l'article L. 238 du livre des procédures fiscales, en produisant des images captées à l'aide d'un dispositif de vidéosurveillance régulièrement installé, même si les agents n'étaient pas informés de cette captation.

Elle a cependant précisé les conditions de conciliation de ce droit à la preuve avec les droits de la personnalité, dont le droit à l'image, en excluant la production à titre de preuve d'une image enregistrée à l'insu des agents de l'administration des douanes s'il en résulte une atteinte à de tels droits disproportionnée au but recherché.

Article L. 16 B du livre des procédures fiscales

Redressement et vérification (règles communes) - Visites domiciliaires (article L. 16 B du livre des procédures fiscales - Autorisation judiciaire - Conditions - Vérification du bien-fondé de la demande - Limites - Présomptions de fraude - Sociétés étrangères exploitant une activité en France - Obligations fiscales et comptables

 

Com., 15 février 2023, pourvoi n° 20-20.600

Com., 15 février 2023, pourvoi n° 20-20.599

La demande d’autorisation de pratiquer des visites et des saisies en vue de rechercher des présomptions de fraude à l’impôt sur les sociétés et/ou aux taxes sur le chiffre d’affaires commises par une société étrangère dont il est présumé qu’elle exploite un établissement stable en France entre-t-elle dans le champ d’application de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales ?

La Cour a été saisie de deux pourvois à l’occasion desquels elle a été amenée à répondre à cette question.

Ces pourvois attaquaient l’ordonnance d’un premier président qui avait annulé l’ordonnance d’un juge des libertés et de la détention ayant autorisé des visites et des saisies afin de rechercher la preuve de ce qu’une société, ayant son siège social en Belgique, exerçait en France une activité économique « sans souscrire de déclarations fiscales et ainsi omettre de passer les écritures comptables correspondantes. »

Pour annuler l’ordonnance du juge des libertés et de la détention, le délégué du premier président a constaté, dans un premier temps, qu’il apparaissait qu’une société de droit belge disposait de moyens matériels et humains suffisants pour réaliser son activité et qu’ainsi il n’était pas démontré que ces moyens étaient insuffisants puis, dans un second temps, qu’elle tenait une comptabilité complète en Belgique retraçant, notamment, les opérations dont il était prétendu qu’elles étaient réalisées en France de sorte que la société accomplissait toutes les obligations auxquelles elle était astreinte en matière de tenue de comptabilité.

Il en déduisait que l’absence de dépôt de déclaration fiscale en France ne pouvait être analysée comme une présomption d’absence de comptabilité puisque, ressortissante d’un Etat membre de l’Union, elle établissait une comptabilité régulière au sens de la législation belge.

***

Ces pourvois ont permis à la Cour de cassation de préciser le champ d’application de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales.

En effet, ces dispositions ne peuvent plus, compte tenu, notamment, des évolutions législatives intervenues depuis la loi n° 84-1208 du 29 décembre 1984 ayant créé l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales, être regardées comme s’appuyant sur des présomptions portant sur l’ensemble des éléments constitutifs des délits de fraude fiscale aggravée1 et d’omission d’écritures comptables prévus aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts, mais doivent être interprétées comme s’appliquant à toute personne qui, omettant de souscrire des déclarations fiscales ou dissimulant des sommes sujettes à l’impôt, se livre à des achats ou à des ventes sans facture ; utilise ou en délivre des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou omet sciemment de passer ou de faire passer des écritures, ou passe ou fait passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est prescrite par le code général des impôts.

Il en résulte que dès lors que le juge des libertés et de la détention constate l’existence de présomptions de ce qu’une entreprise étrangère exploite en France une activité ou y détient un établissement stable, celle-ci est tenue de déposer, en France, les déclarations fiscales exigées par le code général des impôts en matière d’impôt sur les sociétés et/ou de taxes sur le chiffre d’affaires et de s’acquitter des obligations comptables prévues par le même code et l’administration fiscale est fondée à solliciter la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales lorsqu’elle démontre devant le juge des libertés et de la détention l’existence de présomptions simples que cette société a omis de déposer les déclarations fiscales afférentes à l’impôt sur les sociétés et/ou aux taxes sur le chiffre d’affaires ce dont il peut être présumé qu’elle n’a pas non plus respecté les obligations comptables prévues par le code général des impôts.

***

[En l’espèce, le pourvoi de l’administration fiscale critiquait essentiellement le fait que le délégué du premier président avait retenu que le juge des libertés et de la détention ne démontrait pas l’existence d’un établissement stable en France de la société belge.

La société soutenait que l’ordonnance du délégué du premier président était suffisamment justifiée par les motifs, non critiqués, de ce qu’elle tenait une comptabilité régulière et complète en Belgique.

La Cour n’a pas suivi cette analyse considérant que de la constatation de la présomption de l’existence d’un établissement stable en France découlait l’obligation pour une société de droit étranger de déposer des déclarations fiscales en France et donc de tenir les documents comptables exigés par le code général des impôts.

Elle a jugé que le délégué du premier président avait violé l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales en exigeant la démonstration de l’existence d’un établissement stable en France alors que ces dispositions n’exige que des présomptions d’une telle existence ce qui est conforme à sa jurisprudence constante.]


1 - ce qui pouvait être le cas dans la rédaction de l’article 1741 du code général des impôts telle qu’issue de la Loi n°82-1126 du 29 décembre 1982.

Visites domiciliaires - Champ d'application - Omissions comptables - Etablissement stable ayant méconnu ses obligations déclaratives

Com., 15 fév. 2023, pourvoi n° 21-13.288

Une société de droit étranger exerçant une activité taxable en France, bien que non-soumise à la tenue d'une comptabilité en France, peut-elle faire l'objet de présomptions de soustraction à l'établissement et au paiement des impôts visés par l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales en omettant de passer des écritures dans les documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts ?

L'article L. 16 B du livre des procédures fiscales prévoit que des opérations de visites et de saisies peuvent être autorisées s'il existe des présomptions de soustraction à l'établissement et au paiement de l'impôt sur le revenu, sur les bénéfices ou des taxes sur le chiffre d'affaires, selon des modalités limitativement énumérées :

  • en se livrant à des achats ou à des ventes sans facture,
  • en utilisant ou en déduisant des factures ou documents ne se rapportant pas à des opérations réelles,
  • en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant sciemment passer des écritures inexactes ou fictives dans les documents comptables dont la tenue est imposée par le code général des impôts.

Dans le litige ayant donné lieu à l'arrêt commenté, il était soutenu que l'autorisation donnée à l'administration fiscale, par le juge des libertés et de la détention, d'effectuer des opérations de visite et de saisies ne pouvait être donnée que si la fraude présumée avait été réalisée selon les modalités que l'article L. 16 B énumère précisément, et qu'était donc irrégulière l'autorisation d'effectuer de telles opérations dans les locaux d'une société luxembourgeoise, présumée s'être soustraite au paiement de l'impôt sur les bénéfices et des taxes sur le chiffre d'affaires, en ce que cette autorisation était fondée sur des présomptions d'omissions comptables, cependant que cette société tenait une comptabilité au Luxembourg et n'était soumise à aucune obligation comptable en France.

Par deux précédents arrêts (Com., 10 février 1998, n° 95-30.221, Bull. N°68 et Com., 20 nov. 2019, n° 18-15.423) la chambre commerciale, financière et économique a jugé que les visites domiciliaires peuvent être autorisées en cas de présomptions de soustraction à l'établissement ou au paiements des impôts visés à l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales par l'effet de l'un des agissements mentionnés ce texte, mais aussi lorsqu'il existe des présomptions d'agissements relevant de l'article 1741 ou de l'article 1743 du code général des impôts.

Pour confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, le premier président de la cour d'appel s'est notamment fondé sur cette jurisprudence pour énoncer que le champ d'application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales n'était pas restreint aux seules hypothèses de présomptions de soustraction à l'établissement ou au paiement de l'impôt au moyen d'un ou plusieurs procédés visés expressément par ce texte.

Sans réaffirmer cette jurisprudence, la chambre commerciale, dans l'arrêt commenté, énonce qu'une société de droit étranger est tenue, lorsqu'elle exerce une activité en France par l'intermédiaire d'un établissement stable, aux obligations résultant des articles 54, 209 et 286, I, 3°, du code général des impôts, qui exigent la passation d'écritures comptables permettant de justifier des opérations imposables en France.

S'inscrivant dans la continuité de sa jurisprudence selon laquelle une présomption de manquements à des obligations comptables, au sens de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, peut se déduire de manquements à des obligations déclaratives (Com., 24 oct. 2000, n° 98-30.379 ; Com., 3 avr. 2012, n° 11-15.329), la chambre commerciale approuve ensuite le premier président d'avoir procédé à une telle déduction et retenu l'existence de présomptions d'agissements entrant dans le champ d'application de l'article L. 16 B, tout en rappelant que l'élément intentionnel de l'omission de passation d'écritures comptables n'a pas à être caractérisé au stade de l'autorisation des opérations de visite et de saisies.

Enfin, elle approuve le premier président d'avoir retenu que la mise en œuvre de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales à l'encontre d'une société domiciliée dans un autre Etat membre de l'Union sur le fondement d'omissions comptables n'entraîne pas la violation des principes de liberté d'établissement et de non-discrimination des sociétés au sein de l'Union, dès lors que ce texte ne constitue pas une mesure fiscale interdisant, gênant ou rendant moins attrayant l'exercice de la liberté d'établissement, et qu'aucune disposition nationale n'exige des sociétés domiciliées dans un autre Etat membre de l'Union qui exercent une activité taxable en France par l'intermédiaire d'un établissement stable qu'elles tiennent une comptabilité complète en France, établie selon la réglementation nationale et conservée sur le territoire national, le code général des impôts prévoyant seulement qu'elles passent certaines écritures comptables permettant de justifier des opérations imposables qu'elles réalisent en France.

Il résulte donc de l'arrêt commenté qu'une société de droit étranger, qui n'est pas soumise aux règles relatives à la tenue d'une comptabilité imposées par les articles L. 123-12 à 123-24 du code de commerce, peut néanmoins, si elle exerce une activité taxable en France par l'intermédiaire d'un établissement stable, être tenue à certaines obligations comptables imposées par le code général des impôts permettant de justifier de cette activité et qu'ainsi, elle est susceptible de faire l'objet de présomptions d'omissions comptables justifiant la mise en œuvre de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales.

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