N°9 - Mars 2023 (Editorial de Christine Guéguen, première avocate générale de la chambre commerciale, financière et économique)

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Une sélection commentée des arrêts rendus par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation (Agent commercial / banque / Cautionnement / Concurrence / Impôts et taxes / Procédures collectives / Propriété industrielle / Publicité trompeuse / Responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle / Séparation des pouvoirs / Sociétés civiles et commerciales / Transports).

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Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

N°9 - Mars 2023 (Editorial de Christine Guéguen, première avocate générale de la chambre commerciale, financière et économique)

EDITORIAL

 

CHRISTINE GUÉGUEN

 

Premier avocat général de la

chambre commerciale, financière et économique

 

Chers lecteurs,

A l'invitation de Vincent Vigneau, président de la chambre, que je remercie vivement pour cette initiative, je me réjouis de pouvoir évoquer auprès de vous le rôle du parquet général à l'occasion de la parution du neuvième numéro de la lettre de la chambre commerciale, financière et économique.

Ayant exercé les fonctions de conseiller référendaire au sein de cette chambre de mars 1999 à fin décembre 2006, j'ai connu le fonctionnement de la Cour de cassation avant et après que n'y soient tirées, en 2002, les conséquences de l'arrêt de la Cour Européenne des Droits de l'Homme du 31 mars 1998 Affaire Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France, qui a conduit à réduire considérablement la place du parquet général dans la maïeutique permettant de trancher un litige.

Revenant à la Cour et à la chambre, fin janvier 2021, en qualité de premier avocat général, après un bref passage à la chambre criminelle comme avocat général en 2014/2015, j'y ai retrouvé des relations siège/parquet, certes, bien apaisées, mais qui interrogent encore sur la place qu'il est véritablement souhaité accorder à ce dernier au sein de la « maison ».

Ce questionnement est d'autant plus fort que la courtoisie et la grande convivialité ambiante ne suffisent pas à effacer totalement une certaine forme de marginalisation qui ne peut être juridiquement fondée sur un arrêt de la CEDH qui ne dit pas ce qu'on a voulu en déduire à une époque.

Faut-il le répéter, malgré une appellation trompeuse, le parquet général de la Cour de cassation n'a aucune des attributions d'un parquet. Il n'exerce pas l'action publique et n'a pas davantage pour mission de défendre l'ordre public. Il n'est pas une partie dans les contentieux qui sont examinés par la Cour. Ses membres - les avocats généraux - sont des magistrats, membres de la Cour au même titre que les magistrats du siège, auquel nombre d'entre eux ont précédemment appartenu.

Leur rôle, dont la finalité est désormais fixée par le 3ème alinéa de l'article L. 432-1 du code de l'organisation judiciaire depuis la loi de modernisation de la justice du 18 novembre 2016, consiste à rendre des avis « dans l'intérêt de la loi et du bien commun » et à « éclairer la Cour sur la portée de la décision à intervenir ».

Ce rôle n'a donc rien de négligeable, bien au contraire, mais il ne peut s'exercer de manière pertinente que s'il est conçu comme un véritable « double regard » sur les affaires, afin de faire valoir devant la chambre des arguments, non seulement juridiques, mais de toute nature, qui peuvent avoir été analysés différemment, négligés, ou omis, ainsi que des éléments de contexte ou d'information recueillis à l'extérieur. L'idée sous-jacente est bien sûr celle de la supériorité de l'intelligence collective par rapport à l'intelligence individuelle, sachant que ni le doyen ni le président de la chambre n'ont matériellement le temps de se plonger, de manière très approfondie, dans tous les méandres de chacun des dossiers qu’ils examinent, et que seuls peuvent le faire le rapporteur et l'avocat général.

Toutefois, il faut bien convenir que l'expression « double regard », dont il est fait usage au Conseil d'Etat lorsqu'il s'agit d'expliciter le rôle du rapporteur public, est mal appropriée au regard porté par l'avocat général sur les pourvois dont l'examen lui est confié, car l'avocat général est partiellement aveugle, ce qui ne facilite guère l'exercice qui est censé être le sien.

En effet, si l'avocat général a bien accès à toutes les pièces du dossier, à une documentation identique à celle dont bénéficie le rapporteur et au rapport objectif de celui-ci, il ignore tout de l'opinion du rapporteur, et du ou des projets d'arrêts que ce dernier propose à la chambre, ce qui réduit très fortement sa capacité à contre argumenter utilement et à anticiper les questionnements de la chambre au moment de son délibéré. Il le peut d'autant moins d'ailleurs, que sa présence taisante au délibéré n'étant pas admise, quasiment aucun progrès ne lui est possible dans l'appréhension de la manière de raisonner de sa chambre, qui ne peut se faire qu'a posteriori au travers des motivations exposées dans les arrêts avec les risques d'erreur d'interprétation que cela comporte.

Pourtant, si on parvient à faire fi de ces quelques insatisfactions, les fonctions d'avocat général sont passionnantes.

Certes, l'avocat général ne décide pas, mais il donne très librement un avis qui peut avoir autant de poids qu'une voix dans un délibéré, et la frustration qu'il peut éprouver lorsqu'il n'est pas suivi n'est pas plus grande que celle du rapporteur auquel on demande de revoir sa copie et qui doit parfois porter le poids d'une décision à laquelle il n'adhère pas.

L'avocat général bénéficie d'une liberté totale dans l'expression écrite ou orale de son avis sur les mérites du pourvoi soumis à la chambre. Cette liberté d'exprimer publiquement sa conviction ou ses doutes sur l'interprétation à donner à un texte, sur la nécessité de modifier ou pas une jurisprudence, sur les conséquences de tel ou tel choix qui pourrait être opéré par la chambre est source de satisfactions, surtout lorsqu'on pressent que la chambre porte majoritairement un avis différent.

Satisfaction, tout d'abord, de faire valoir une autre façon d'appréhender une question juridique, de semer un doute constructif pour éviter un certain conformisme dans l'analyse sans mettre à mal la sécurité juridique.

Satisfaction, aussi, d'avoir la liberté de prôner une interprétation de la loi qui ne soit pas forcément la plus rigoureuse, mais qui apparaisse la plus juste au sens qu'il convient de donner à ce mot à la lumière du 3ème alinéa de l'article L. 432-1 du code précité, c'est-à-dire au regard de « l'intérêt de la loi et du bien commun ».

C'est la raison pour laquelle je suis très sensible aux propos de notre président de chambre qui a exposé dans une interview récente parue dans la revue Actu-Juridique que « le droit n'est pas seulement de la théorie, mais qu'il y a, derrière chaque dossier, des situations humaines, des hommes et des femmes dont le destin peut être bouleversé par une décision de justice. Le juge doit donc impérativement prendre en compte la réalité économique, sociale, se préoccuper des conséquences concrètes de ses décisions. »

Nous sommes sur ce point, comme sur bien d'autres, en accord total.

C'est cette vision de la justice et la conviction que celle-ci, même à la Cour de cassation, ne peut pas uniquement se résumer à faire prévaloir la rigueur d'un raisonnement juridique, qui sous-tendent chacun de mes avis devant la chambre commerciale.

C'est cette conviction qui, encore aujourd'hui, me fait me passionner pour chacun des dossiers que j'examine en espérant faire pencher la balance, non pas exclusivement dans le sens de l'épure du droit, mais au service de la Justice dont les décisions doivent être le reflet.

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