N°9 - Mars 2023 (Agent commercial)

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Une sélection commentée des arrêts rendus par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation (Agent commercial / banque / Cautionnement / Concurrence / Impôts et taxes / Procédures collectives / Propriété industrielle / Publicité trompeuse / Responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle / Séparation des pouvoirs / Sociétés civiles et commerciales / Transports).

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Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

N°9 - Mars 2023 (Agent commercial)

Contrat - Fin - Indemnité au mandataire - Faute grave - Faute commise antérieurement à la rupture mais découverte postérieurement - Indemnité due au mandataire - Paiement - Conditions - Détermination

 

Com., 16 novembre 2022, pourvoi n° 21-17.423

Com. 16 novembre 2022, pourvoi n° 21-10.126

Est-ce qu’une faute ignorée du mandant au jour de la rupture et découverte postérieurement à l’envoi de la lettre de rupture peut servir de justification à la privation de l’indemnité de rupture due à l’agent commercial ?

En application de l’article L. 134-12 du code de commerce, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, en cas de cessation de ses relations avec le mandant.

Toutefois, la faute grave commise par le mandataire, qui se définit comme celle portant atteinte à la finalité commune du mandat d’intérêt commun et rendant impossible le maintien du lien contractuel, est exclusive du versement de l’indemnité de rupture au mandataire par le mandant (Com., 15 octobre 2002, pourvoi n° 00-18.122).

L’agent commercial qui demande le paiement de l’indemnité compensatrice doit démontrer que la cessation de son activité est intervenue à l’initiative de son mandant ou, à défaut, qu’elle est justifiée par des actes imputables à celui-ci (Com., 15 novembre 2011, pourvoi n° 10-26.180, 10-26.734) et le mandant, à l’initiative duquel le contrat a été rompu et qui s’oppose au paiement de l’indemnité compensatrice, doit rapporter la preuve d’une faute grave de l’agent commercial, telle que précédemment définie (Com., 15 octobre 2002, pourvoi n° 00-18.122 ; Com., 20 janvier 2021, pourvoi n° 19-11.644).

La chambre commerciale, financière et économique jugeait que, même révélée postérieurement à la rupture, la faute grave commise antérieurement à cette rupture par l’agent commercial le privait de son droit à indemnité compensatrice (Com., 15 mai 2007, pourvoi n° 06-12.282, Bull. 2007, IV, n° 128 ; Com., 1 juin 2010, pourvoi n° 09-14.115).

Mais, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), par un arrêt du 28 octobre 2010 (Volvo Car Germany GmbH, aff. C-203/09, points 38, 42 et 43), a rappelé, que, « aux termes de l'article 18, sous a), de la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, l'indemnité qui y est visée n'est pas due lorsque le commettant a mis fin au contrat » pour « un manquement imputable à l'agent commercial et qui justifierait, en vertu de la législation nationale, une cessation du contrat sans délai », que « en tant qu'exception au droit à indemnité de l'agent, l'article 18, sous a), de la directive est d'interprétation stricte. Partant, cette disposition ne saurait être interprétée dans un sens qui reviendrait à ajouter une cause de déchéance de l'indemnité non expressément prévue par cette disposition ». Elle a aussi considéré que « lorsque le commettant ne prend connaissance du manquement de l'agent commercial qu'après la fin du contrat, il n'est plus possible d'appliquer le mécanisme prévu à l'article 18, sous a), de la directive. Par conséquent, l'agent commercial ne peut pas être privé de son droit à indemnité en vertu de cette disposition lorsque le commettant établit, après lui avoir notifié la résiliation du contrat moyennant préavis, l'existence d'un manquement de cet agent qui était de nature à justifier une résiliation sans délai de ce contrat. »

La CJUE a aussi énoncé, dans un arrêt du 19 avril 2018 (CMR c/ Demeures terre et tradition SARL, C-645/16, paragraphe 35), que « toute interprétation de l'article 17 de cette directive qui pourrait s'avérer être au détriment de l'agent commercial était exclue. »

Dès lors, par l’arrêt rendu sur le pourvoi n° 21-17.423, la chambre commerciale modifie sa jurisprudence antérieure en considération de l'interprétation qui doit être donnée aux articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, issus de la transposition des articles 17 et 18 la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986. Elle retient désormais que l'agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n'a pas été fait état dans la lettre de résiliation et qui a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu'il n'a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité.

Dans la même logique, par l’arrêt rendu sur le pourvoi n° 21-10.126, la chambre commerciale réaffirme la solution résultant de deux précédents arrêts (Com. 29, septembre 2009, pourvoi n° 08-19.107 et Com., 8 juin 2017, pourvoi n° 15-29.313), selon laquelle il résulte de l’article L. 134-13 du code de commerce que, lorsque la cessation du contrat d’agence commerciale résulte, non plus de l’initiative du mandant, mais de l’initiative de l’agent et qu’elle est justifiée par des circonstances imputables au mandant, la réparation prévue à l’article L. 134-12 de ce code demeure due à l’agent, quand bien même celui-ci aurait commis une faute grave dans l’exécution du contrat.

L’évolution opérée par le premier de ces deux arrêts présente ainsi le double mérite d’harmoniser la jurisprudence de la chambre commerciale avec celle de la CJUE tout en renforçant la cohérence du régime juridique de la cessation du contrat d’agence commerciale, que cette cessation intervienne à l’initiative du mandant ou à celle de l’agent.

Statut légal - Domaine d'application - Conditions - Détermination - Applications diverses - Contrat soumis par les parties à la loi française

Com., 11 janvier 2023, pourvoi n° 21-18.683

Une société de droit français commercialisant des vins et spiritueux avait conclu avec une société de droit canadien un contrat lui confiant la représentation exclusive pour la commercialisation et la promotion de ses produits au Canada. Les parties avaient soumis leur contrat à la loi française, en application de l'article 5 de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux contrats d'intermédiaires et à la représentation. La société mandante ayant mis fin à la relation, le mandataire avait sollicité une indemnité de rupture, se prévalant du statut d’agent commercial issu des articles L. 134-1 et suivants du code de commerce.

La cour d’appel avait accueilli la demande en retenant que le contrat avait été soumis au droit français et que devait être qualifié d’agent commercial, au sens de l’article L. 134-1 du code de commerce, le mandataire, personne physique ou morale, qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux, quoiqu'il ne dispose pas du pouvoir de modifier les prix de ces produits ou services.

Elle avait, ce faisant, repris l’interprétation de ce texte issue du revirement opéré par la Cour de cassation (Com. 2 déc. 2020, n° 18-20.231 ; Com., 12 mai 2021, n° 19-17.042), à la suite de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 4 juin 2020 (Trendsetteuse, C-828/18) ayant dit pour droit que l'article 1, paragraphe 2, de la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants, que l’article L. 134-1 transpose en droit français, « doit être interprété en ce sens qu'une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d'agent commercial, au sens de cette disposition ».

Le pourvoi formé contre cet arrêt faisait valoir, en premier lieu, que les dispositions de la directive 86/653/CEE, et donc l’article L. 134-1 du code de commerce, tels qu’interprétés par la CJUE, n’étaient pas applicables à un agent qui était établi et exerçait son activité en dehors du territoire de l’Union européenne.

Ce moyen est écarté : la Cour de cassation juge que la cour d’appel a exactement retenu que, pour qualifier le contrat litigieux, dès lors qu’il avait été soumis par les parties à la loi française, il devait être fait application de l'article L. 134-1 du code de commerce, ainsi interprété, quand bien même l'agent commercial était établi et exerçait son activité en dehors du territoire de l'Union européenne.

Comme cela résulte de l’arrêt de la CJUE du 16 février 2017 (aff. C-507/15, Agro Foreign Trade), si la directive 86/653/CEE du 18 décembre 1986 précitée n’est pas applicable aux agents qui exercent leurs activités en dehors du territoire de l’Union européenne, les législateurs nationaux ne sont pas tenus de limiter leur réglementation nationale aux agents exerçant au sein de celui-ci. Rien ne s’oppose donc à ce que l’article L. 134-1 du code de commerce, qui ne prévoit pas une telle limitation, s’applique à un agent établi en dehors du territoire de l’Union européenne, dès lors que le contrat est soumis au droit français.

En outre, même si elle découle de l’arrêt de la CJUE précité, cette interprétation de l’article L. 134-1 du code de commerce ne peut être différente selon qu’elle concerne un agent établi au sein ou en dehors du territoire de l’Union européenne.

Le pourvoi faisait valoir, en second lieu, qu’à la date de conclusion du contrat, et donc du choix de la loi applicable au contrat, soit antérieurement au revirement de jurisprudence précité, l’article L. 134-1 du code de commerce était interprété comme subordonnant la qualification d’agent commercial au pouvoir de modifier les prix et les conditions des contrats négociés pour le compte du commettant. Il en déduisait que, le représentant au Canada ne disposant pas en l’espèce de la faculté de conclure, au nom et pour le compte de son mandant, les contrats avec les clients, ni de celle de modifier les prix ou conditions de ces contrats, il n’avait pas la qualité d’agent commercial.

Là encore, le moyen est rejeté : la Cour de cassation rappelle, conformément à sa jurisprudence constante, que la sécurité juridique ne consacre pas un droit acquis à une jurisprudence figée, l'évolution de la jurisprudence relevant de l'office du juge dans l'application du droit (par exemple : 1re Civ., 21 mars 2000, n° 98-11.982, Bull. N° 97 ; 1re Civ., 9 oct. 2001, n° 00-14.564, Bull. N° 249 ; Soc., 25 juin 2003, n° 01-46.479, Bull. N° 206 ; Soc., 22 sept. 2010, n° 09-40.968, Bull. N° 191 ; 2e Civ., 3 juin 2010, n° 09-13.579 ; et pour l'application d'une jurisprudence nouvelle à une situation contractuelle : Soc., 8 avr. 2014, n° 13-11.133 ; Soc., 9 nov. 2017, n° 16-18.599). Elle énonce qu’il en résulte que lorsque les parties choisissent la loi française comme loi applicable à leur contrat en application de la Convention de La Haye du 14 mars 1978, elles ne peuvent se prévaloir, en cas de litige postérieur, de la loi telle qu'interprétée à la date de conclusion du contrat.

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