N°8 - octobre 2022 (Sociétés commerciales)

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Une sélection commentée des arrêts rendus par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation (Agent commercial / Banque / Concurrence / Contrats et obligations conventionnelles / Entreprises en difficulté (loi du 26 juillet 2005) / Impôt et taxe / Postes et télécommunications électroniques / Prescription civile / Référés / Sociétés commerciales).

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Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

N°8 - octobre 2022 (Sociétés commerciales)

Parts sociales - Cession - Prix - Fixation - Fixation par expert - Désignation par le président du tribunal - Refus - Décision susceptible d'appel

Com., 25 mai 2022, pourvoi n° 20-14.352

En cas de refus de désignation d'un tiers estimateur sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil, motivé par une fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée attachée à une précédente décision de refus, les parties disposent-elles d'une possibilité de recours ?

Institution exorbitante du droit commun, l'article 1843-4 du code civil permet, notamment en cas de retrait, exclusion, décès d'un associé ou refus d'agrément d'un cessionnaire, de faire fixer la valeur des droits sociaux concernés par un expert, dont l'évaluation s'imposera aux parties et au juge.

Cet expert – qu'il serait plus juste de qualifier de tiers-estimateur – doit être désigné par le président du tribunal (judiciaire ou de commerce), selon la procédure accélérée au fond (anciennement en la forme des référés), et sans recours possible.

Répondant à l'objectif manifeste d'apporter une solution rapide et efficace à la situation d'un associé qui, volontairement ou non, quitte la société et doit obtenir le remboursement de ses droits sociaux, ce mécanisme est cependant susceptible de placer les parties face à une situation difficile, lorsque le président du tribunal ne fait pas droit à la demande de désignation d'un expert.

En effet, retenant une lecture stricte du texte, la jurisprudence refusait jusqu'à présent toute possibilité de recours en cas de refus de désignation de l'expert, hormis un appel-nullité en cas d'excès de pouvoir – certains évoquaient alors un excès de pouvoir négatif –, hypothèse marginale et dont la jurisprudence ne fournissait guère d'illustrations.

Ainsi, lorsque seule une erreur de droit sur les conditions d'application de l'article 1843-4 du code civil était invoquée au soutien d'un recours, la jurisprudence le déclarait invariablement irrecevable.

Critiquée par une partie de la doctrine, cette solution s'avérait paradoxalement contraire à l'objectif de clarifier rapidement les droits pécuniaires des parties.

Certes, longtemps cantonnés à l'examen de conditions d'application peu nombreuses, les présidents de juridictions saisis sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil ne refusaient de faire droit à la demande de désignation d'un expert que dans des cas relativement rares. Toutefois, l'élargissement de l'office du juge, résultant de la réforme du 29 juillet 2014, fait peser un risque accru que, sur des questions potentiellement controversées comme le caractère déterminable ou non de la valeur des droits sociaux au regard des stipulations des statuts ou de la convention des parties (article 1843-4 II du code civil), le juge décide de ne pas faire droit à la demande de désignation.

Prenant acte des difficultés déjà apparues et anticipant celles à venir, la chambre commerciale, financière et économique a, dans l'arrêt du 25 mai 2022, opéré un important revirement en ouvrant un recours en réformation en cas de refus, pour quelque cause que ce soit, de désignation d'un expert par le président du tribunal.

Ainsi, qu'elle soit fondée sur les conditions d'application spécifiques de l'article 1843-4 du code civil ou sur une question plus générale, comme, en l'espèce, une fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée, la décision du président refusant de désigner un expert pourra être déférée à la cour d'appel, laquelle disposera du même pouvoir d'appréciation que le premier juge pour examiner le bien-fondé, en droit et en fait, de la demande. En particulier, elle disposera du pouvoir de désigner elle-même un expert, si, infirmant la décision de première instance, elle considère que les conditions d'une telle désignation sont réunies.

Il s'agit là d'une évolution également notable puisque, en cas d'annulation pour excès de pouvoir d'une décision de première instance, la jurisprudence décide de manière constante que la cour d'appel ne dispose pas du pouvoir de désigner elle-même un expert.

Cette évolution, induite par l'effet dévolutif de l'appel, placera le juge d'appel dans la même situation que le juge de première instance : si la cour d'appel infirme l'ordonnance et fait droit à la demande de désignation, sa décision ne sera elle-même susceptible de recours qu'en cas d'excès de pouvoir. Dans le cas contraire, celui d'une confirmation du refus de désignation de l'expert, un pourvoi en cassation visant un cas d'ouverture à cassation autre qu'un excès de pouvoir devrait être possible.

La possibilité d'un appel-réformation ainsi ouverte devrait permettre un examen rapide de l'affaire, l'appel des décisions rendues selon la procédure accélérée au fond relevant de la procédure à bref délai régie par l'article 905 du code de procédure civile.

Il est à noter que dans la présente affaire, où la nouvelle demande de désignation d'un expert avait été déclarée irrecevable comme se heurtant à une fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée attachée à une précédente décision de refus, les demandeurs au pourvoi, qui n'avaient pas formé d'appel-nullité, se réclamaient du bénéfice de l'article 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Ce n'est pas le fondement retenu par la chambre commerciale pour infléchir sa jurisprudence et ouvrir la voie d'un appel-réformation : or, en toute logique, la Cour de cassation aurait dû, conformément à l'article 605 du code de procédure civile, déclarer le pourvoi irrecevable comme étant formé contre une décision n'ayant pas été rendue en dernier ressort. Cependant, afin de ne pas pénaliser les parties en risquant de les priver d'une possibilité de recours, ouverte par le revirement ainsi opéré et qu'elles ne pouvaient anticiper, la Cour a néanmoins déclaré le pourvoi recevable et l'a examiné au fond, pour le rejeter.

Mandataire ad hoc - Désignation - Conditions - Détermination

Com 21 septembre 2022, n° 20-21.416

Un mandataire ad hoc n'est pas un administrateur provisoire - conséquences de cette règle sur leur désignation.

L'arrêt commenté permet à la chambre commerciale de rappeler que l'administrateur provisoire et le mandataire ad hoc étant désignés dans des circonstances différentes, leur nomination répond à des conditions différentes.

Il permet également de préciser les conditions de nomination d'un mandataire ad hoc selon que la demande est faite sur le fondement du droit commun du référé ou d'un texte spécial.

L'administrateur provisoire remplace les dirigeants de la société et est investi d'un mandat judiciaire général d'administration de la société.

Il s'agit, ainsi, d'une mesure exceptionnelle, et c'est pourquoi il est jugé, de manière constante, que la désignation judiciaire d'un administrateur provisoire suppose que soit rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et la menaçant d'un péril imminent (Cass com. 6 février 2007, n° 05.19-008, Bull IV n° 28).

Le mandataire ad hoc est, quant à lui, investi par le juge d'un mandat spécial d'accomplir un acte ou des tâches précises. Le dessaisissement des dirigeants n'est, dans une telle hypothèse, que partiel et ils conservent, sauf pour la mission confiée par le juge au mandataire ad hoc, leur pouvoir de représentation et de gestion de la société.

Lorsque la demande de désignation d'un mandataire ad hoc est fondée sur le droit commun du référé, il devra être établi la condition de dommage imminent ou de trouble manifestement illicite requise par l'article 873 du code de procédure civile, ou celle de l'urgence posée à l'article 872 de ce code.

C'est cette distinction entre l'administrateur provisoire et le mandataire ad hoc qu'a méconnue la cour d'appel, ce qui a justifié la cassation de son arrêt. Saisie, sur le fondement de l'article 873 du code de procédure civile, d'une demande de désignation d'un mandataire ad hoc pour représenter la société dans le cadre d'une instance judiciaire l'opposant à ses fournisseurs, elle a, en effet, ajouté aux conditions prévues par la loi en exigeant la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de cette société et la menaçant d'un péril imminent, preuve qui n'est requise que pour la nomination d'un administrateur provisoire.

En revanche, lorsqu'une juridiction est saisie, en référé, d'une demande de désignation d'un mandataire ad hoc sur le fondement d'un texte spécial (à titre d'exemple, pour convoquer une assemblée générale, article L. 225-103 du code de commerce, pour accomplir la mission de publicité omise ou irrégulièrement opérée par les représentants légaux de la société, article L. 235-7 de ce code, pour accomplir les formalités nécessaires afin de couvrir certaines nullités d'actes et de délibérations encourues en matière de sociétés par actions, même article L. 235-7, ou encore pour représenter la société dans le cadre d'une action ut singuli lorsqu'il existe un conflit d'intérêts entre la société et ses représentants légaux, articles R. 223-32 et R. 225-170 du même code), il s'agit d'une compétence spéciale du juge des référés, excluant l'application du droit commun de la procédure de référé.

La demande de désignation d'un mandataire ad hoc en application de l'un de ces textes spéciaux n'est, par suite, et ainsi que l'a jugé la chambre commerciale (Cass com 13 janvier 2021, n° 18-24.853, P), subordonnée ni au fonctionnement anormal de la société, ni à la menace d'un péril imminent ou d'un trouble manifestement illicite, mais seulement à la démonstration de sa conformité à l'intérêt social.

Qualité d’associé d’un conjoint - revendication

Com., 21 septembre 2022, n° 19-26.203

En vertu de l'article 1832-2 du code civil, créé dans un souci d'égalité entre époux par la loi du 10 juillet 1982 relative aux conjoints d'artisans et de commerçants travaillant dans l'entreprise familiale, lorsqu'un époux emploie des biens communs pour faire un apport à une société ou acquérir des parts sociales non négociables, il doit en avertir son conjoint et en justifier dans l'acte. La qualité d'associé est en principe reconnue à celui des époux qui fait l'apport ou réalise l'acquisition mais l'alinéa 3 du même texte prévoit que la qualité d'associé peut être reconnue, pour la moitié des parts souscrites ou acquises, au conjoint qui a notifié à la société son intention d'être personnellement associé.

L'arrêt commenté est l'occasion, pour la chambre commerciale de Cour de cassation, de répondre à plusieurs questions inédites relatives à cette revendication de la qualité d'associé par le conjoint d'un époux apporteur :

La société est-elle recevable à s'opposer à une telle revendication au motif que l'autre époux exercerait une profession séparée et que les parts sociales acquises par lui seraient nécessaires à l'exercice de cette profession ?

Selon l'article 223 du code civil, chaque époux peut librement exercer une profession. Et aux termes de l'article 1421, alinéa 2, du même code, l'époux qui exerce une profession séparée a seul le pouvoir d'accomplir les actes d'administration et de disposition nécessaires à celle-ci. Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté, une société soutenait, à hauteur de cassation, que ces textes s'opposent à ce qu'un conjoint revendique la qualité d'associé lorsque l'époux apporteur exerce une profession séparée et que les parts sociales qu'il a acquises sont nécessaires à l'exercice de cette profession. Selon la chambre commerciale, le moyen ne peut être accueilli : les articles 223 et 1421, alinéa 2, du code civil ayant pour seul objet de protéger les intérêts de l'époux exerçant une profession séparée, la société dont cet époux est associé n'est pas recevable à se prévaloir de l'atteinte que la revendication, par le conjoint de celui-ci, de la qualité d'associé, serait susceptible de porter au droit d'exercer une telle profession.

L'affectio societatis constitue-t-il une condition de la revendication de la qualité d'associé sur le fondement de l'article 1832-2, alinéa 3, du code civil ?

La chambre commerciale de la Cour de cassation approuve l'arrêt attaqué d'avoir répondu de manière négative à cette question, s'inscrivant ainsi dans la continuité de d'un arrêt du 11 juin 2013 qui avait jugé que l'affectio societatis n'était pas une condition requise pour la formation d'un acte emportant cession de droits sociaux (Com., 11 juin 2013, n°12-22.296, Bulletin 2013, IV, n°100).

La renonciation du conjoint à revendiquer la qualité d'associé sur le fondement de l'article 1832-2, alinéa 3, du code civil peut-elle être tacite ?

La chambre commerciale de la Cour de cassation avait admis, dans un arrêt du 12 janvier 1993 (Com., 12 janvier 1993, n°90-21.126, Bulletin 1993, IV, n°9), qu'un époux pouvait renoncer à revendiquer la qualité d'associé sur le fondement de l'article 1832-2, alinéa 3, du code civil mais elle ne s'était pas prononcée sur la possibilité d'une renonciation tacite. C'est désormais chose faite : la chambre commerciale de la Cour de cassation casse l'arrêt attaqué qui avait exclu toute possibilité de renonciation tacite, rappelant la règle générale dégagée par la jurisprudence selon laquelle la renonciation à un droit peut être tacite dès lors que les circonstances établissent, de manière non équivoque, la volonté de renoncer (voir notamment ch. mixte, 26 avril 1974, n°72-10.770, Bulletin des arrêts Cour de cassation chambre mixte N. 1 P.1 ; Com., 3 février 2015, n°13-28.272).

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