N°8 - octobre 2022 (Entreprises en difficulté (loi du 26 juillet 2005))

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Une sélection commentée des arrêts rendus par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation (Agent commercial / Banque / Concurrence / Contrats et obligations conventionnelles / Entreprises en difficulté (loi du 26 juillet 2005) / Impôt et taxe / Postes et télécommunications électroniques / Prescription civile / Référés / Sociétés commerciales).

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Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

N°8 - octobre 2022 (Entreprises en difficulté (loi du 26 juillet 2005))

Liquidation judiciaire - Contrat en cours - Bail commercial - Résiliation à l'initiative du bailleur

Com., 18 mai 2022, pourvoi n° 20-22.164

Le juge-commissaire, saisi par le bailleur d’une demande de constat de la résiliation de plein droit du bail d’un immeuble utilisé pour l’activité de l’entreprise en liquidation judiciaire, pour défaut de paiement des loyers postérieurs au jugement d’ouverture, peut-il accorder au preneur des délais de paiement ?

Par un arrêt précédent (Com., 9 octobre 2019, pourvoi n° 18-17.563), rendu dans la même affaire, la chambre commerciale de la Cour de cassation a consacré l’autonomie procédurale du constat par le juge-commissaire de la résiliation de plein droit du bail commercial pour défaut de paiement des loyers postérieurs à l’ouverture de la liquidation judiciaire, en décidant que cette procédure, obéissant à des conditions spécifiques, était distincte de celle qui tend, en application de l’article L. 145-41 du code de commerce, à faire constater l’acquisition de la clause résolutoire stipulée au bail et en dispensant le bailleur en conséquence, dans un tel cas, de la délivrance préalable du commandement de payer exigé par ce texte.

L’arrêt commenté ajoute une précision inédite sur le régime de cette action autonome et les pouvoirs du juge-commissaire. La question posée était celle de savoir si le juge-commissaire devait se limiter à constater la résiliation du bail, en cas de défaut de paiement des loyers postérieurs au jugement d’ouverture, ou s’il pouvait accorder les délais de paiement de droit commun prévus par l’article 1343-5 du code civil, la référence à l’article L. 145-41 du code de commerce étant impossible hors de toute revendication du bénéfice d’une clause résolutoire.

En dépit de la généralité des termes du texte du code civil, l’arrêt commenté dénie la faculté d’accorder des délais de paiement au juge-commissaire, lequel ne peut, selon les articles L. 641-12 et R. 641-21 du code de commerce, que procéder au constat de la résiliation de plein droit du bail et en fixer la date, sans que puisse être imposé au bailleur d’autre délai que le délai de trois mois prévu par l’article L. 622-14, 2° du même code pendant lequel le liquidateur, s’il ne peut régler les loyers, doit s’efforcer de céder le droit au bail avant la résiliation.

Liquidation judiciaire - Créanciers - Insaisissabilité de plein droit de la résidence principale du débiteur - Applications diverses - Divorce

Attribution de la jouissance exclusive de la résidence au conjoint du débiteur - Portée - Fin de l'insaisissabilité

Com., 18 mai 2022, pourvoi n° 20-22.768

Le présent arrêt permet d'affiner l'applicabilité de l'article L.526-1, alinéa premier, du code de commerce, dans sa version issue de la loi du 6 août 2015, rendant insaisissable de plein droit l'immeuble appartenant à l'entrepreneur individuel, où est fixée sa résidence principale, pour les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle de la personne. En l'espèce, lors de l'ouverture de la procédure collective, le débiteur était en instance de divorce et le juge aux affaires familiales a rendu une ordonnance de non-conciliation, attribuant la jouissance exclusive de la résidence familiale à l'épouse de l'entrepreneur. La question est de savoir si l'immeuble qui appartient aux deux époux peut faire l'objet d'une cession dans le cadre de la liquidation judiciaire. L'article 255 du code civil permet au juge aux affaires familiales d'ordonner la résidence séparée des époux (3°) et d'attribuer à l'un d'eux la jouissance du logement familial (4°). La Cour de cassation en déduit que l'autre époux ne peut plus y avoir son domicile, et donc sa résidence principale. L'immeuble fait donc partie de l'actif réalisable. La chambre commerciale précise l'ordre chronologique dans le chapeau. En effet, la solution ne s'applique que parce que l'ouverture de la procédure collective est postérieure à l'ordonnance de résidence séparée. Il faut rappeler que c'est en effet à cette date que les conditions d'opposabilité de l'insaisissabilité sont appréciées (pour l'appréciation de l'opposabilité d'une déclaration d'insaisissabilité : Com. 10 mars 2021, n° 19-21.971, publié - 17 novembre 2021, n° 20-20.821, publié).

Liquidation judiciaire - Patrimoine - Revendication - Action en revendication - Domaine d'application - Exclusion - Cas - Demande de restitution présentée avant le jugement d'ouverture

Com., 9 juin 2022, pourvoi n° 21-10.309

Lorsqu’une action en restitution d’un bien meuble a été engagée avant le jugement d’ouverture de la procédure collective, une demande adressée directement à l’administrateur est-elle nécessaire ?

Le sort des biens meubles appartenant à des tiers dans la procédure collective est soumis à une procédure très précise et complexe prévue aux articles L.624-9 et suivants du code de commerce. Seule une procédure amiable, suivie le cas échéant d’une procédure juridictionnelle devant le juge-commissaire permet au propriétaire de rendre opposable à la procédure collective son droit de propriété, y compris lorsque celui-ci est évident (contrat précaire par exemple), à moins qu’il ne résulte d’un contrat publié. Cet arrêt précise que la mise en œuvre de cette procédure suppose qu’une procédure antérieure au jugement d’ouverture n’ait pas été engagée par le propriétaire. En l’espèce, le fournisseur du débiteur affilié avait, avant le jugement d’ouverture de la procédure, agi en réclamation du paiement des marchandises vendues et en restitution des biens mis à disposition. L’instance en restitution est en cours. Elle ne tend pas au paiement d’une somme d’argent. Elle doit donc être poursuivie conformément aux dispositions de l’article L. 622-23 du code de commerce.

Organes - Liquidateur - Pouvoirs - Insaisissabilité de plein droit de la résidence principale du débiteur - Action en licitation-partage d'un immeuble - Recevabilité - Conditions - Totalité des créances nées avant le 8 août 2015

Com., 13 avril 2022, pourvoi n° 20-23.165

La Cour de cassation poursuit son travail de construction de sa jurisprudence sur les contours de l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale du débiteur résultant de la loi du 6 août 2015, dite loi Macron. L’article 206, IV, alinéa 1er, de cette loi limite les effets de cette insaisissabilité de plein droit à l’égard des seuls créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle du débiteur après la publication de la loi, c’est-à-dire des créanciers ayant contracté avec le débiteur en connaissance de cause de la réduction de leur gage.

L’arrêt présenté fournit une nouvelle illustration des cas dans lesquels cette insaisissabilité est opposable au liquidateur du débiteur : il s’agit du cas d’un liquidateur agissant en licitation-partage d’un immeuble appartenant indivisément au débiteur et à son conjoint et constituant sa résidence principale. Pour que l’insaisissabilité ne soit pas opposable à ce liquidateur et que l’action soit, en conséquence, recevable, il est nécessaire que tous les créanciers de la liquidation judiciaire, que le liquidateur représente, soient des créanciers antérieurs à la date de la publication de la loi, soit le 8 août 2015, car dans ce cas, les droits du débiteur sur l’immeuble sont appréhendés par leur gage commun. Si un seul d’entre eux est un créancier postérieur au 8 août 2015, l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale du débiteur met en échec l’action en licitation-partage du liquidateur, et ce quelle que soit l’importance relative de ce créancier dans le passif du débiteur.

Dans une hypothèse de vente de la résidence principale du débiteur par son liquidateur, l’interprétation a contrario d’un précédent (Com., 17 novembre 2021, pourvoi n° 20-15.395) annonçait la solution de l’arrêt présenté.

Redressement judiciaire - Plan - Plan de continuation - Bonne exécution - Portée - Créances déclarées qui n'ont pas été inscrites au plan - Droit de poursuite individuelle

Com., 14 septembre 2022, pourvoi n° 21-11.937

L’intérêt de cette décision est très indirect, mais non moins évident. Un plan de redressement a été arrêté et entièrement exécuté. Or, certaines créances qui avaient été déclarées mais faisaient toujours l’objet d’une instance en cours au moment du plan, n’ont pas été prises en considération dans le cadre du plan (contrairement à ce que retient la Cour de cassation : Cass. com. 1 avril 2014, pourvoi n° 13-13.612, Cass. Com. 13 mai 2014, pourvoi n°13-13.379, Cass. com., 20 mars 2019, pourvoi n° 17-27.527, publié au bulletin). Le plan a ici fait l’objet d’un jugement constatant la bonne exécution du plan, sans que les créances contestées, et qui n’avaient pas encore fait l’objet d’une décision définitive, puissent être payées dans le cadre du plan. C’est la raison pour laquelle les créanciers concernés ont fait tierce opposition à ce jugement pour reprendre l’exécution du plan (ou obtenir la réouverture du plan). Dans un premier temps, la chambre commerciale a dû constater, contrairement à un premier arrêt de cour d’appel, que le jugement constatant l’exécution du plan n’était pas un acte d’administration judiciaire et qu’il était susceptible de recours (Cass. com. 8 septembre 2015, pourvoi n° 14-11.393, Bull. n° 124). Devant la cour de renvoi, les créanciers concernés ont donc à nouveau fait tierce-opposition au jugement. La question était celle de la recevabilité de leur recours. Selon l’article 583, alinéa 2 du code de procédure civile, la recevabilité de la tierce-opposition du créancier est subordonnée à la preuve que la décision a été rendue en fraude de ses droits à moins qu’il n’invoque des moyens qui lui sont propres. Le créancier ignoré (donc tiers au plan) a-t-il intérêt à faire tierce-opposition au jugement qui constate l’exécution du plan ? En premier lieu, l’arrêt constate que le jugement qui constate l’exécution du plan ne met pas fin à la procédure de vérification des créances qui lui est indépendante. Ainsi l’instance en cours devra conduire à une fixation de créance (ou un rejet de la demande). En second lieu, si cette fixation de créance ne permet pas de prendre en compte cette créance puisque le jugement arrêtant le plan est définitif, le créancier pourra néanmoins faire reconnaître cette créance par un titre et le mettre à exécution contre le débiteur une fois le plan exécuté. C’est en se référant implicitement à une jurisprudence qui permet au créancier d’exercer son droit de poursuite individuelle après la fin de la procédure collective lorsque sa créance déclarée n’a pu être payée (Cass. com., 8 avr. 2015, pourvoi n° 13-28.061, Bull. n° 65, Cass. com., 13 sept. 2017, pourvoi n° 15-23.044.- V. Déjà en application de la loi antérieure à la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 : Cass.com. 16 novembre 2010, pourvoi n° 09-69.495, Bull. n°177) que le présent arrêt dénie aux créanciers dont la créance déclarée n’a pas été prise en compte dans le plan un intérêt à obtenir la rétractation du jugement constatant l’exécution du plan. Leur tierce-opposition est irrecevable.

Redressement judiciaire - Plan - Plan de continuation - Intérêts des créances - Stipulation d'un intérêt non prévu par la décision admettant la créance au passif - Possibilité (non)

Com., 18 mai 2022, pourvoi n° 19-25.796

Lorsqu’un plan de continuation est arrêté, un créancier peut-il se mettre d’accord avec le débiteur pour que sa créance soit réglée hors plan en prévoyant des intérêts non admis au passif ?

Il a déjà été jugé que, pour l’élaboration du plan, le débiteur et, le cas échéant, l’administrateur devaient prendre en considération toutes les créances déclarées et non certaines d’entre elles (droit antérieur à la loi de sauvegarde : Com. 6 janvier 1998, pourvoi n° 95-20.588, Bull. n°8 ; droit postérieur à la loi de sauvegarde : Com. 20 mars 2019, pourvoi n° 17-27.527, publié au bulletin), obligation que le législateur a légèrement restreinte (article L. 626-10, alinéa 2, du code de commerce, créé par l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021). Le présent arrêt interdit également que les créances déclarées soient réglées en dehors du plan, quand bien même les modalités de remboursement de la créance seraient spécifiques. En l’espèce, le principal fournisseur du débiteur avait consenti à ce dernier qu’il remboursât 60% de sa créance au terme de quinze années, à la condition d’accepter un intérêt de 2% sur le montant restant dû. Or, les intérêts se rattachant nécessairement à la créance antérieure déclarée, ils sont également antérieurs et doivent être déclarés, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Le jugement d’ouverture emportant nécessairement par un principe d’ordre public l’arrêt du cours des intérêts en application de l’article L. 621-48 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle de la loi du 26 juillet 2005 (devenu l’article L. 622-28 du code de commerce), l’arrêt attaqué ne pouvait condamner le débiteur, au terme des quinze ans, à régler la créance d’intérêts qui n’existait pas, quel que soit le contenu du jugement arrêtant le plan.

Redressement judiciaire - Vérification et admission des créances - Contestation d'une créance - Absence d'indivisibilité avec la demande d'admission - Portée - Examen préalable par les juges du fond

Com., 9 juin 2022, pourvoi n° 20-22.650

Contestation d’une créance déclarée : rappels et précision sur la distribution des rôles et pouvoirs entre le juge-commissaire et le juge saisi en application de l’article R. 624-5 du code de commerce.

L’arrêt commenté fait application de l’article L. 624-2 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 12 mars 2014, et de l’article R. 624-5 du même code, dans sa rédaction antérieure au décret du 30 juin 2014, mais la solution est valable et transposable sous l’empire des textes de 2014.

Il est d’abord rappelé que, sauf constatation de l'existence d'une instance en cours, le juge-commissaire a une compétence exclusive pour décider de l'admission ou du rejet des créances déclarées (Com., 28 avril 2004, pourvoi n° 01-01.649, Bull. n° 77) et qu'après une décision d'incompétence du juge-commissaire pour trancher une contestation ne relevant pas de ses pouvoirs juridictionnels, dénommée contestation sérieuse par l’ordonnance du 12 mars 2014, les pouvoirs du juge compétent régulièrement saisi en application de l’article R. 624-5 du code de commerce se limitent à l'examen de cette contestation (voir Com., 19 décembre 2018, pourvoi n° 17-26.501, 17-15.883 publié).

En l’espèce, la banque a saisi le tribunal de commerce conformément à l’ordonnance du juge-commissaire l’y invitant et le tribunal a rejeté les contestations de la débitrice et a ordonné l’admission des créances de la banque au passif du redressement judiciaire. L’arrêt attaqué par le pourvoi statue sur l’appel de ce jugement.

Logiquement, la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’annuler la décision d’admission prononcée par le tribunal qui a excédé ses pouvoirs.

En revanche, elle censure la cour d’appel pour avoir annulé les autres dispositions du jugement, à savoir celles statuant sur les contestations de la créance jugées « irrecevables et mal fondées ». En effet, il s’agissait là de l’objet même de la saisine du tribunal consécutive à la décision d’incompétence du juge-commissaire, de sorte que ces contestations devaient être tranchées par le tribunal, puis par la cour d’appel saisie par l’effet dévolutif. Juger le contraire aboutit à un déni de justice.

Et une fois les contestations tranchées par le juge saisi en application de l’article R. 624-5 du code de commerce, il appartient, répétons-le, au juge-commissaire de se prononcer sur l’admission de la créance déclarée au passif de la procédure collective.

Responsabilités et sanctions - Faillite et interdictions - Faillite personnelle - Prononcé - Conditions - Comportement antérieur à la cessation des paiements

Com., 13 avril 2022, pourvoi n° 21-12.994

L’article L. 653-4, 4°, du code de commerce sanctionne par la faillite personnelle le fait pour un dirigeant de poursuivre abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne peut conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale. Le plus souvent, la date de cessation des paiements coïncide avec le jugement d’ouverture et les faits reprochés au dirigeant lui seront antérieurs. Lorsque, dans le jugement d’ouverture ou par un jugement de report, cette date est fixée avant leur accomplissement, l’article L. 653-4, 4° du code de commerce peut-il néanmoins s’appliquer ou ce texte exige-t-il que les faits soient caractérisés avant la date de cessation des paiements qui serait présentée comme leur conséquence ? Par l’arrêt commenté, la Cour de cassation précise que le texte n’impose aucune condition d’antériorité des faits par rapport à la date de cessation des paiements : dès lors que, par leur nature, les faits reprochés sont susceptibles en tout état de cause, de conduire à la cessation des paiements de la société, et, bien sûr, que les autres conditions exigées par le texte sont également remplies, la faillite personnelle du dirigeant est encourue. La fixation par le jugement d’ouverture d’une date de cessation des paiements antérieure à l’accomplissement des faits n’a aucune incidence à cet égard.

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