n°5 - Juillet / Octobre 2021 (Concurrence)

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Ententes anticoncurrentielles – Procédure devant l’Autorité de la concurrence et la Cour d’appel – Mode de calcul de la sanction

Com., 22 septembre 2021, pourvoi n° 18-21.485, 18-21.763, 18-21.580, 18-21.719, 18-21.493, 18-21.591, 18-21.436, 18-21.437, 18-21.805

L’arrêt rejette neuf pourvois comportant 173 griefs formés par différentes entreprises du secteur de la messagerie et de la messagerie express sanctionnées pour des pratiques d’ententes anticoncurrentielles et apporte des précisions sur la procédure suivie devant l’Autorité de la concurrence ainsi que celle suivie devant la cour d’appel de Paris et le mode de calcul de la sanction.

 

Le rapporteur de l’Autorité de la concurrence peut-il déléguer son pouvoir de proposition de saisine de cette autorité?

S’agissant de la procédure devant l’Autorité, les modalités des deux saisines d’office de l’Autorité, intervenues sur la proposition d’un rapporteur général adjoint, étaient contestées et il était soutenu que la procédure était irrégulière, faute que ces saisines fussent intervenues sur la proposition du rapporteur général.

La possibilité de l’Autorité de la concurrence de se saisir d’office, sur proposition du rapporteur général, prévue par l’article L.462-5 du code de commerce a été validée par le Conseil constitutionnel qui, dans sa décision n° 2015-489 QPC du 14 octobre 2015, a énoncé que les mots « se saisir d'office » figurant à l'article L. 462-5 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000, ne portent aucune atteinte aux principes d'indépendance et d'impartialité découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et les a déclarés conformes à la Constitution.

 

Sa conventionnalité a été également admise par la Chambre commerciale (Com., 8 novembre 2016, pourvois n° 14-29.542, 14-28.234, 14-29.273, 14-29.482, 14-29.509, 14-29.491, 14-50.076, 14-29.354).

La question posée par les pourvois était celle de la possibilité pour le rapporteur général de déléguer ce pouvoir, ce que la cour d’appel a admis, approuvée par la Chambre commerciale, en se fondant sur l'article R. 461-3 alinéa 5 du code de commerce. La Chambre commerciale juge, par ailleurs, que la cour d'appel, n’a pas méconnu le principe de la séparation des pouvoirs en examinant la régularité de la délégation intervenue, dès lors que celle-ci n'était pas détachable de la procédure contestée, dont l'appréciation de la légalité appartient à l'autorité judiciaire.

 

L’instauration de délais de procédure différents devant la cour d’appel, selon les parties, porte-t-elle atteinte au principe de l’égalité des armes ?

La différence des délais pour déposer des observations devant la cour d’appel était également critiquée, au nom du principe de l’égalité des armes. L'article R. 464-12 du code de commerce impose en effet au demandeur au recours, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, de déposer l'exposé de ses moyens au greffe de la cour dans les deux mois qui suivent la notification de la décision attaquée, tandis qu’aux termes de l'article R. 464-18 du même code, le premier président ou son délégué fixe, par une décision d'administration judiciaire, « les délais dans lesquels les parties à l'instance doivent se communiquer leurs observations écrites et en déposer copie au greffe de la cour », « les délais dans lesquels l'Autorité de la concurrence et le ministre chargé de l'économie, lorsqu'il n'est pas partie à l'instance, peuvent produire des observations écrites » et « la date des débats. ».  La Chambre commerciale approuve la cour d’appel, qui a écarté la violation du principe invoqué en relevant que la possibilité de cette différence de délai était en rapport avec l'objectif de respect de l'égalité des armes dans des procédures où plusieurs demandeurs peuvent être opposés à un seul défendeur, la cour d'appel  ayant ainsi apprécié, in abstracto, la conformité de ce texte aux exigences de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que sa mise en œuvre concrète en vérifiant qu'en l'espèce, la différence de délais observée dans la procédure en cause était en rapport avec le nombre de parties demanderesses et la volumétrie de leurs moyens.

 

Quelle valeur de ventes pour fixer l’assiette de sanctions prendre en compte ?

L’assiette des sanctions prononcées était critiquée par de nombreux griefs, en ce que, notamment, elle ne se serait pas conformée au communiqué relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires de l’Autorité de la concurrence, dont la portée a été fixée par un précédent arrêt (Com. 18 octobre 2016, pourvoi n°15-10.384, Bull. 2016, IV, n° 131). Selon cet arrêt, ce communiqué constitue une directive, au sens administratif du terme, opposable à l’Autorité de la concurrence sauf à ce qu'elle explique, dans la motivation de sa décision, les circonstances particulières ou les raisons d'intérêt général la conduisant à s'en écarter dans un cas donné. Il était soutenu que la valeur des ventes retenue pour donner une traduction chiffrée à l’appréciation de la gravité des faits et de l’importance du dommage causé à l’économie n’était pas « en relation avec l’infraction » au sens du communiqué.

La Chambre commerciale approuve la cour d’appel d’avoir décidé que les ventes en relation avec l'infraction, au sens du communiqué, sont les ventes réalisées sur le marché sur lequel les pratiques en cause, constituées d'échanges d'informations sur des taux de hausse de tarif portant de façon générale sur les prestations réalisées par les entreprises participant à ces échanges, et qualifiées de pratiques anticoncurrentielles par objet, ont été établies, affectant ainsi le fonctionnement de la concurrence sur ce marché, sans qu'il y ait lieu ni d'établir les effets des pratiques retenues sur ces prestations ni de retirer de la valeur des ventes ainsi définies des éléments constitutifs du prix final facturé aux clients.

 

A quelles conditions une entreprise peut-elle bénéficier d’une exonération de sanction en cas de manquement à son obligation de coopération en matière de clémence?

L’arrêt se prononce pour la première fois sur les conséquences du manquement d’une entreprise à son obligation de coopération dans le cadre de la procédure, dite de clémence, prévue par l’article L.464-2 IV du code de commerce, grâce à laquelle les ententes en cause avaient été mises au jour. Pour bénéficier d’une exonération de sanction, les entreprises qui s’inscrivent dans ce processus de coopération avec l’Autorité de la concurrence doivent respecter un certain nombre de conditions. Des sociétés ayant bénéficié de cette procédure critiquaient la sanction pécuniaire infligée pour un manquement à l’une des conditions mises à l’exonération totale de sanction. Elles faisaient valoir que seule une négligence, sans conséquence sur la suite de la procédure, pouvait leur être imputée et qu’elles devaient, faute de comportement intentionnel, bénéficier d’une exonération totale de sanction. L’arrêt approuve la cour d’appel d’avoir jugé que même dans les circonstances invoquées, tout comportement manquant à l’obligation de coopération exclut le bénéfice d'une exonération totale de sanction, notamment pour répondre à un objectif de dissuasion, les juges du recours ayant en outre, comme il le leur incombait, procédé à un contrôle de proportionnalité sur le montant de cette sanction dont le montant, très faible par rapport à l’ampleur de l’exonération accordée au titre de la clémence, témoignait de la prise en considération, par l’Autorité de la concurrence, des circonstances du manquement constaté.

 

Selon une jurisprudence établie, les échanges d’informations entre opérateurs concurrents sur des hausses de prix futurs constituent des pratiques anticoncurrentielles par objet.

Les nombreux griefs relatifs à la caractérisation des infractions, s'agissant notamment de la qualification de pratiques anticoncurrentielles par objet, ont été rejetés par décision non spécialement motivée. En effet, tant la jurisprudence de la CJUE que celle de la Cour de cassation s'agissant de pratiques contraires au droit de la concurrence de l'Union et au droit de la concurrence national, convergent pour qualifier de pratiques anticoncurrentielles par objet, qui dispense donc qu'en soient établis les effets sur le marché sur lequel elles se produisent, les échanges d'informations entre opérateurs concurrents sur des hausses de prix futurs. Par ailleurs, si cette qualification répond à une méthodologie exigeante, eu égard à l'analyse restrictive qui préside à la qualification d'une pratique anticoncurrentielle par objet, rappelée par Com., 29 janvier 2020, pourvoi n° 18-11.001, 18-10.967, cette méthodologie avait été, contrairement à ce que soutenaient les griefs, mise en œuvre par la cour d'appel de Paris et les pratiques en cause ne présentaient en outre, aucun caractère inédit à la différence de celle analysée par le pourvoi précité. Ont été rejetés de la même façon, comme ne pouvant manifestement pas entraîner la cassation, d'autres nombreux griefs s'attaquant à l'exercice, par la cour d'appel, du contrôle de proportionnalité des sanctions prononcées au regard des critères légaux d'infliction de celles-ci, contrôle qui lui incombe, ainsi que l'a jugé Com., 23 juin 2004, pourvois n° 01-17.928, 02-10.066, 01-17.927, 01-17.962, 01-18.054, 01-18.055, 01-17.896, Bull., 2004, IV, n° 132.

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