N°12 - Mars 2024 (Sociétés)

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Une sélection commentée des arrêts rendus par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation (Autorité des marchés financiers / Entreprise en difficulté / Impôts et taxes / Localisation financière / Pratiques restrictives / Propriété industrielle / Saisie-contrefaçon / Sociétés).

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Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

N°12 - Mars 2024 (Sociétés)

REVIREMENT - Validité des actes accomplis au cours de la période de formation des sociétés : quelles sont les règles ?

Com, 29 novembre 2023, pourvoi n° 22-21.623

Com. 29 novembre 2023, pourvoi n° 22-12.865

Com, 29 novembre 2023, pourvoi n° 22-18.295  

En présence d'un acte dans lequel il n'est pas expressément mentionné qu'il a été souscrit au nom ou pour le compte de la société en formation, il appartient au juge d'apprécier souverainement, par un examen de l'ensemble des circonstances, tant intrinsèques à cet acte qu'extrinsèques, si la commune intention des parties n'était pas qu'il soit conclu au nom ou pour le compte de la société.

La validité de l'acte passé pour le compte d'une société en formation n'implique pas, sauf les cas de dol ou de fraude, que la société effectivement immatriculée revête la forme et comporte les associés mentionnés, le cas échéant, dans l'acte litigieux.

Il résulte des articles L. 210-6 et R. 210-6 du code de commerce que les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Les personnes qui ont agi au nom ou pour le compte d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits, lesquels sont alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société.

La question du sort des actes accomplis au cours de la période de formation des sociétés revêt une grande importance pratique : en effet, quand bien même l'intervalle de temps entre la signature des statuts et l'immatriculation de la société s'est considérablement réduit, il n'en demeure pas moins qu'il est toujours nécessaire, voire indispensable, que des actes soient accomplis avant que la société n'acquière la personnalité morale.

Jusqu'à présent, pour que la société soit, une fois immatriculée, engagée par de tels actes, la jurisprudence exigeait qu'ils soient accomplis au nom ou pour le compte de la société en formation et qu'ils fassent l'objet d'une reprise selon les différentes modalités offertes par la loi.

Les arrêts commentés ne reviennent pas sur la deuxième condition, ni sur les trois modalités de reprise prévues par les textes.

S'agissant de la première condition, la Cour de cassation retenait jusqu'alors un critère formel, jugeant depuis de nombreuses années que n'étaient susceptibles d'être repris par la société après son immatriculation que les actes expressément accomplis « au nom » ou « pour le compte » voire « au nom et pour le compte» de la société en formation, et qu'étaient nuls les actes accomplis « par » la société, même s'il ressortait des mentions de l'acte ou des circonstances que l'intention des parties était que celui-ci soit accompli au nom ou pour le compte de la société en formation.

Les arrêts commentés reviennent sur cette jurisprudence, très critiquée, en ce qu'elle était source d'insécurité juridique et en ce qu'elle était parfois utilisée par des parties souhaitant se soustraire à leurs engagements : la chambre commerciale reconnaît désormais aux juges du fond le pouvoir d'apprécier souverainement la commune intention des parties, en prenant en compte l'ensemble des circonstances sans établir de hiérarchie ou de gradation.

Ces trois décisions permettent de mesurer les effets de ce changement au regard de situations de fait différentes. Dans une première affaire (pourvoi n°22-12.865), appliquant la solution traditionnelle, la cour d'appel avait refusé de donner effet à un bail commercial au motif que le contrat avait été signé par les représentants de la société et non en son nom, cependant qu'il était également mentionné à l'acte que la société était en cours d'identification au Siren et que l'opération était réalisée en son nom et pour son compte : cet arrêt est cassé, car la cour d'appel aurait dû rechercher si ces éléments et éventuellement d'autres ne permettaient pas de considérer que la commune intention des parties était que l'acte soit passé au nom ou pour le compte de la société.

Dans une deuxième affaire (pourvoi n°22-21. 623), la cour d'appel avait, au contraire, déclaré une promesse de cession de parts valable bien que l'acte mentionne qu'il est passé par la société en formation en cours d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés, représentée par son gérant, dès lors qu'il était indiqué que la société bénéficiaire était en formation et qu'il résultait de correspondances produites aux débats que le tiers cocontractant avait été clairement informé, avant la signature de l'acte, que le gérant agissait pour le compte de la société. Cette décision est approuvée et le pourvoi rejeté.

Dans une troisième affaire (pourvoi n° 22-18.295), la cour d'appel avait également déclaré un bail commercial valable en dépit de ses insuffisances rédactionnelles. Toutefois, cette décision est cassée car les éléments pris en compte par la cour d'appel sont apparus insuffisants : celle-ci s'était, en effet, principalement fondée sur le fait que le contrat avait été mentionné dans un état annexé aux statuts signés par les associés. Or, cette circonstance, étrangère à la société cocontractante, n'était d'aucune utilité pour apprécier si cette dernière avait été informée de ce qu'elle contractait avec une société en formation. Il appartiendra à la cour d'appel de renvoi de rechercher si d'autres éléments n'étaient pas de nature à établir ce fait.

Il faut ajouter que, dans la première affaire (pourvoi n° 22-12.865), la Cour de cassation était invitée à se prononcer sur la question de savoir si la société effectivement immatriculée devait être en tous points identiques à celle mentionnée dans l'acte : en l'occurrence, la société mentionnée dans l'acte était une SARL et c'est en définitive une SAS qui a été immatriculée ; d'autre part, un changement était intervenu en ce qui concerne l'un des associés qui n'apparaissait plus en tant que personne physique mais au travers d'une société dont il était l'unique associé. Pour la Cour de cassation, hormis le cas de dol ou de fraude, il n'est pas nécessaire que la société effectivement immatriculée revête la forme et comporte les mêmes associés que ceux mentionnés dans l'acte litigieux.

Compétence du tribunal de commerce lors d'un litige opposant le dirigeant, un autre mandataire social ou l'associé d'une société commerciale à cette société, à un autre de ses associés ou de ses mandataires sociaux.

Compétence exclusive du tribunal de commerce lorsqu'un litige oppose le dirigeant ou un autre mandataire social ou l'associé d'une société commerciale à cette société ou à un autre de ses associés ou de ses mandataires sociaux et porte sur une contestation relative à cette société commerciale.  

Com, 20 décembre 2023, pourvoi n°22-11.185  

Lorsqu'un litige oppose le dirigeant ou un autre mandataire social ou l'associé d'une société commerciale à cette société ou à un autre de ses associés ou de ses mandataires sociaux et porte sur une contestation relative à cette société commerciale, il relève de la compétence exclusive du tribunal de commerce.

Il n'est dérogé à la compétence exclusive des tribunaux de commerce pour connaître des contestations relatives aux sociétés commerciales que dans l'hypothèse où celles-ci mettent en cause une personne non commerçante qui est extérieure au pacte social et n'appartient pas aux organes de la société, auquel cas cette personne dispose du choix de saisir le tribunal civil ou le tribunal de commerce.

Il en résulte que, lorsqu'un litige oppose le dirigeant ou un autre mandataire social ou l'associé d'une société commerciale à cette société ou à un autre de ses associés ou de ses mandataires sociaux et porte sur une contestation relative à cette société commerciale, il relève de la compétence exclusive du tribunal de commerce.

Par cet arrêt, la chambre commerciale apporte une précision importante quant à la portée de l'article L. 721-3, 2° du code de commerce, lequel dispose que les tribunaux de commerce connaissent des contestations relatives aux sociétés commerciales.

Par deux arrêts des 18 novembre 2020 (pourvoi n° 19-19.463, publié au Bulletin) et 15 décembre 2021 (pourvoi n° 21-11.957, 21-11.882, publié au Bulletin), la chambre commerciale, rompant avec sa jurisprudence antérieure reconnaissant, sur le fondement du 2° de l'article L. 721-3 du code de commerce, la compétence exclusive du tribunal de commerce pour les litiges relatifs aux sociétés commerciales même si le demandeur à l'action n'avait pas la qualité de commerçant, avait en effet jugé que lorsque le demandeur n'a pas la qualité de commerçant et que le litige porte sur une contestation relative à une société commerciale, il dispose d'une option de compétence et pouvait saisir le tribunal civil ou le tribunal commercial.

Dans ces deux affaires, les demandeurs à l'action étaient des tiers à la société commerciale (un syndicat de chauffeurs de taxi et des chauffeurs de taxi dans la première affaire, des organisations non gouvernementales et des associations de protection de l'environnement dans la seconde).

La doctrine s'était toutefois interrogée sur le point de savoir si ces deux arrêts devaient être interprétés comme ouvrant une option de compétence dans les litiges relatifs à une société commerciale au bénéfice de tous les demandeurs dès lors qu'ils ne sont pas commerçants.

La chambre commerciale précise ainsi l'étendue de l'option de compétence découlant de ses arrêts de 2020 et 2021 : ce n'est que lorsque le demandeur non commerçant est extérieur au pacte social et n'appartient pas aux organes de la société qu'il dispose du choix de saisir le tribunal civil ou le tribunal de commerce. A l'inverse, lorsque le demandeur, bien que n'ayant pas la qualité de commerçant, est le dirigeant ou un autre mandataire social ou l'associé d'une société commerciale et que le litige l'oppose à cette société ou à un autre de ses associés ou de ses mandataires sociaux et porte sur une contestation relative à cette société commerciale, il doit saisir le tribunal de commerce.

Le refus d'un associé minoritaire de modifier l'objet de la société peut-il constituer un abus de minorité ?

Com, 13 mars 2024, pourvoi n°22-13.764  

Le refus d'un associé minoritaire de modifier l'objet social peut être contraire à l'intérêt général de la société.

Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, l'existence d'un abus de minorité suppose que la preuve soit rapportée, d'une part, de ce que l'attitude du minoritaire est contraire à l'intérêt général de la société en ce qu'elle interdit la réalisation d'une opération essentielle pour celle-ci, d'autre part, que cette attitude procède de l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment des autres associés.

La chambre commerciale de la Cour de cassation a ainsi jugé, dans le prolongement d'un arrêt du 19 mars 2013 (Com., 19 mars 2013, n° 12-16.910), que le refus d'un associé minoritaire de modifier l'objet de la société peut porter atteinte à l'intérêt général de celle-ci. Le premier élément constitutif de l'abus de minorité peut ainsi se trouver caractérisé dans un tel cas de figure. Encore faut-il, pour que les autres associés puissent obtenir la désignation d'un mandataire ad hoc chargé de voter au nom du minoritaire sur le projet de résolution litigieux qu'ils établissent l'existence du second élément constitutif de l'abus, tenant de ce que le refus opposé par l'associé minoritaire ne s'explique que par sa volonté de défendre ses intérêts propres au détriment de ceux des autres associés.

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