N°12 - Mars 2024 (Propriété industrielle)

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Une sélection commentée des arrêts rendus par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation (Autorité des marchés financiers / Entreprise en difficulté / Impôts et taxes / Localisation financière / Pratiques restrictives / Propriété industrielle / Saisie-contrefaçon / Sociétés).

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Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

N°12 - Mars 2024 (Propriété industrielle)

REVIREMENT - Recevabilité de l’action en déchéance pour déceptivité acquise d’une marque engagée par le cédant de cette marque ?

Com, 28 février 2024, pourvoi n° 22-23.833

Le cédant d'une marque est recevable en une action en déchéance pour déceptivité acquise de cette marque lorsque son action est fondée sur la survenance de faits fautifs postérieurs à la cession et imputables au cessionnaire.

Par un arrêt du 31 janvier 2006 (Com., 31 janvier 2006, pourvoi n° 05-10.116, Bull. 2006, IV, n° 27), la chambre commerciale, empruntant aux règles du droit français de la vente, avait jugé que le cédant de droits portant sur une marque est tenu dans les termes de l'article 1628 du code civil et n'est, par conséquent, pas recevable en une action en déchéance de ces droits pour déceptivité acquise de cette marque, qui tend à l'éviction de l'acquéreur.

Compte tenu du caractère d'ordre public du motif de nullité ou de déchéance d'une marque tiré de son caractère trompeur pour le public qui justifierait que tout intéressé, y compris le cédant, puisse exercer une telle action, la chambre commerciale était ainsi conduite à s'interroger sur la pertinence du maintien de sa solution antérieure dans le contexte du droit des marques.

Les droits sur une marque sont en effet, pour leur maintien même, soumis à diverses conditions d'usage. En particulier, la marque ne doit pas être exploitée dans des conditions de nature à tromper effectivement le public ou à créer un risque grave de tromperie (CJCE, 4 mars 1999, Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola, C-87/97, point 41). Le cédant peut au surplus être le mieux, voire le seul, à même d'identifier l'existence d'une tromperie effective du public ou d'un risque grave d'une telle tromperie.

Aussi, la chambre commerciale fait évoluer sa jurisprudence en ce sens que le cédant d'une marque est désormais recevable à agir en déchéance pour déceptivité acquise de la marque cédée lorsque cette action est fondée sur le comportement fautif du cessionnaire et postérieur à la cession, ce qui s'évince de la règle posée par l'article 1640 du code civil.

Bien que les marques en cause dans la présente affaire et celle ayant donné lieu à l'arrêt du 31 janvier 2006 étaient constituées des noms de famille des cédants, la solution doit-elle être limitée à de telles marques ? La chambre commerciale a saisi la Cour de justice de l'Union européenne d’une question préjudicielle relative à la portée de son arrêt Emanuel (30 mars 2006, C-259/04).

QUESTION NOUVELLE - La revente d’occasion de produits cosmétiques est-elle possible ?

Com, 6 décembre 2024, pourvoi n° 20-18.653

Lorsque les emballages des produits cosmétiques revendus ont été retirés, constituant ainsi une altération de l'état des produits, le titulaire de la marque peut s'opposer à leur revente.

Le titulaire d'une marque dispose du droit exclusif de consentir à la mise sur le marché d'un produit revêtu de sa marque. Ce droit réservé constitue l'objet spécifique du droit de marque mais il s'épuise par la première commercialisation du produit avec le consentement du titulaire de la marque : une fois le produit mis sur le marché, le titulaire de la marque ne peut plus s'opposer à un nouvel acte de commercialisation. Il s'agit de l'épuisement des droits du titulaire de la marque, qui résulte de l'article L. 713-4, alinéa 1, du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, qui doit s'interpréter à la lumière de l'article 7 de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques.

La Cour de justice de l'Union européenne a déjà jugé que la fourniture par le titulaire d'une marque, à ses distributeurs agréés, d'objets revêtus de celle-ci, destinés à la démonstration aux consommateurs dans les points de vente agréés, ainsi que les échantillons gratuits, ne constitue pas, en principe, une mise dans le commerce au sens de la directive ou du règlement sur les marques communautaires, valant épuisement des droits (arrêt du 12 juillet 2011, L'Oréal e.a., C-324/09).

Faisant application de cette solution, la Cour de cassation approuve l'arrêt de cour d’appel qui écarte tout épuisement des droits du titulaire d'une marque sur des échantillons gratuits, même revêtus de cette marque, au motif que la distribution gratuite de ces produits ne vaut pas mise dans le commerce. En conséquence, la commercialisation ultérieure de ces échantillons caractérise une atteinte à l'objet spécifique du droit des marques et donc à la fonction essentielle de garantie d'origine des produits d'une marque et peut être interdite sur demande du titulaire.

De même, la revente d'occasion de produits cosmétiques commercialisés une première fois peut, malgré l’épuisement des droits, être interdite lorsqu'elle s'exerce dans des conditions de nature à porter atteinte à l'image de la marque ou dans des conditions qui ne garantissent pas l'intégrité du produit. En l'espèce, les emballages des produits cosmétiques revendus avaient été retirés, ce qui constituait une altération de l'état des produits, justifiant que le titulaire de la marque s'oppose à leur revente, d'autant plus que la marque est positionnée dans le secteur du luxe.

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