N°12 - Mars 2024 (Entreprise en difficulté)

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Une sélection commentée des arrêts rendus par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation (Autorité des marchés financiers / Entreprise en difficulté / Impôts et taxes / Localisation financière / Pratiques restrictives / Propriété industrielle / Saisie-contrefaçon / Sociétés).

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Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

N°12 - Mars 2024 (Entreprise en difficulté)

REVIREMENT - Le conseiller de la mise en état peut-il trancher la recevabilité d'un appel-nullité ?

Com, 22 novembre 2023, pourvoi n° 21-24.839

Le conseiller de la mise en état, ou la cour d'appel statuant sur déféré de son ordonnance, ne peut connaître de la recevabilité d'un appel-nullité, invoquant un excès de pouvoir commis par le premier juge, dès lors que si l'appel était déclaré recevable, cela aurait pour conséquence de remettre en cause la décision frappée d'appel.

Commet donc un excès de pouvoir la cour d'appel, statuant sur déféré, qui confirme une ordonnance du conseiller de la mise en état ayant déclaré irrecevables des appels-nullité.

La question de la recevabilité de l'appel a toujours été complexe en droit des procédures collectives qui établit des règles spéciales tant en matière d'ouverture que d'exercice des recours.

L'arrêt commenté a été rendu dans une espèce qui concernait la modification du plan de cession d'une entreprise, en redressement judiciaire, autorisée par un tribunal. Les recours contre une telle décision sont particulièrement limités par les articles L. 661-6 III et IV et L. 661-7 du code de commerce. C'est donc logiquement que les parties, à l'égard desquelles les recours sont formés, exercent des recours-nullité qui permettent, le cas échéant, de sanctionner un excès de pouvoir qui aurait été commis par le juge à tout stade de la procédure. De tels recours ne sont ouverts qu'à la condition d'invoquer un excès de pouvoir et de le démontrer. Ils aboutissent à l'annulation de la décision entachée d'excès de pouvoir.

En cas d'appel-nullité, ces principes, rapportés à la procédure d'appel confiant au conseiller de la mise en état ou à la cour d'appel sur déféré l'examen de la recevabilité de l'appel, posent des difficultés particulières en raison du pouvoir exclusif dévolu à la cour d'appel, qui statue par principe en formation collégiale, pour annuler une décision frappée d'appel revêtue, dès son prononcé, de l'autorité de la chose jugée.

Suivant un avis de la 2ème chambre civile du 3 juin 2021, et opérant un revirement de jurisprudence, la chambre commerciale, financière et économique affirme désormais que le conseiller de la mise en état, ou la cour d'appel sur déféré, ne peut connaître de la recevabilité d'un appel-nullité invoquant un excès de pouvoir commis par le premier juge, dès lors que si l'appel était déclaré recevable, cela aurait pour conséquence de remettre en cause la décision frappée d'appel. Elle en conclut qu'une cour d'appel qui, sur déféré, confirme l'ordonnance du conseiller de la mise état ayant déclaré irrecevable un appel-nullité invoquant un excès de pouvoir, méconnaît l'étendue de ses pouvoirs, ce qui se traduit par une cassation de l'arrêt, le pourvoi-nullité étant lui-même recevable.

Est-ce que le créancier, auquel l’insaisissabilité de la résidence principale est inopposable, peut exercer son droit de poursuite après la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif ?

Com, 13 décembre 2023, pourvoi n° 22-19.749

Com, 13 décembre 2023, pourvoi n° 22.16-752

Le créancier auquel l'insaisissabilité de la résidence principale est inopposable, peut exercer son droit de poursuite sur l'immeuble y compris après la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif, laquelle n'emporte pas radiation de l'hypothèque prise.

Il résulte de l'article L. 526-1 du code de commerce que le créancier auquel l'insaisissabilité de plein droit de la résidence principale est inopposable peut, même après clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif, et sans que l'article L. 643-11 du même code y fasse obstacle, exercer son droit de poursuite sur l'immeuble qui n'était pas entré dans le gage commun des créanciers de la liquidation judiciaire (pourvoi n°22-19.749).

Lorsque l'insaisissabilité légale de l'immeuble fait l'objet de l'inscription d'une hypothèque, et qu'elle est inopposable à un créancier, ce dernier peut exercer ses droits sur l'immeuble, peu important la clôture pour insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire du débiteur, laquelle ne peut justifier la radiation de l'inscription soumise aux conditions de l'article 2438 du code civil (pourvoi n°22-16.752).

Depuis l'entrée en vigueur de la loi n°2015-990 du 6 août 2015, dite loi Macron, modifiant l'article L.526-1 du code de commerce, les droits sur l'immeuble où est fixée la résidence principale du débiteur, personne physique, sont de plein droit insaisissable. Sont toujours également insaisissables les droits sur les immeubles qui ont fait l'objet d'une déclaration notariée d'insaisissabilité.

L'insaisissabilité de l'immeuble n'est opposable qu'aux créanciers dont la créance est née à l'occasion de l'activité professionnelle du débiteur. Elle est donc inopposable aux créanciers dont la créance est née à raison de sa vie personnelle.

Or, selon la jurisprudence, l'insaisissabilité posée par l'article L.526-1 du code de commerce s'impose pour le tout à la procédure collective. Ainsi, le liquidateur ne peut réaliser l'immeuble y compris si certains des créanciers de la procédure sont titulaires de créances de nature non professionnelles.

L'immeuble se trouve donc hors procédure collective et les créanciers auxquels l'insaisissabilité est inopposable peuvent poursuivre l'immeuble, pendant la procédure, mais également et c'est l'apport de l'arrêt au pourvoi n°22-19.749, y compris après la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif alors même que cette clôture ne permet pas aux créanciers de recouvrer leur créance, selon le principe posé par l'article L.643-11 du code de commerce. Si le créancier avait pris une hypothèque sur l'immeuble, la clôture de la liquidation n'emporte pas radiation de celle-ci, ce que précise l'arrêt au pourvoi n°22-16.752.

Pour finir, on précisera que ces arrêts sont rendus en application de l'article L.526-1 du code de commerce, cependant que la loi du 22 février 2022, en faveur de l'activité professionnelle indépendante n'était pas entrée en vigueur.

QUESTION NOUVELLE - L'AGS, subrogée dans les créances des salariés, bénéficie du droit à recevoir un paiement opéré sur les premières rentrées de fonds de la procédure collective.

Com, 17 janvier 2024, pourvoi n°23-12.283

Com, 17 janvier 2024, pourvoi n°22-19.451

Il résulte du 2° de l'article L. 3253-16 du code du travail, que, lors d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, les institutions de garantie contre le non-paiement des salaires mentionnées à l'article L. 3253-14 de ce code sont subrogées dans les droits des salariés pour lesquels elles ont réalisé des avances, pour les créances garanties par le privilège prévu aux articles L. 3253-2, L. 3253-4 et L. 7313-8, et les créances avancées au titre du 3° de l'article L. 3253-8 du même code.

Cette subrogation ayant pour effet d'investir ces institutions de garantie de la créance des salariés avec tous ses avantages et accessoires, présents et à venir, le superprivilège garantissant le paiement de leurs créances, qui n'est pas exclusivement attaché à la personne des salariés, est transmis à l'AGS, qui bénéficie, en application de l'article L. 625-8 du code de commerce, du droit à recevoir un paiement opéré sur les premières rentrées de fonds de la procédure collective.

Doit, en conséquence, être censuré l'arrêt qui refuse ce droit à l'AGS, au motif que seul le salarié bénéficie d'un privilège spécifique et attaché à sa personne, dérogeant au principe d'interdiction des paiements instauré à l'ouverture des procédures collectives pour les créances antérieures, dont l'institution de garantie ne peut bénéficier sans remettre en cause les distributions de l'actif distribuable dans l'ordre défini par l'article L. 643-8 du code de commerce.

La chambre commerciale s'étant prononcée le 7 juillet 2023 (Com., 7 juillet 2023, pourvoi n° 22-17.902) sur la question des avances consenties par l'Association de garantie des salaires, communément désignée par son acronyme « l'AGS », dans le cas de l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires, les acteurs des procédures collectives restaient dans l'attente d'une décision de la Cour de cassation sur l'étendue de sa subrogation dans les droits des salariés instituée par l'article L. 3253-16, 2° du code du travail.

De l'interprétation donnée à ce texte dépend, en effet, le niveau de performance des récupérations qui, avec les cotisations des employeurs, alimentent le dispositif de garantie.

Deux thèses portant sur l'étendue de cette subrogation opposaient tant les praticiens que la doctrine:

- le droit à un paiement prioritaire sur les premiers fonds disponibles, distinct du privilège qui assortit la créance salariale garantie par le superprivilège, dérogatoire à l'interdiction du paiement des créances antérieures à l'ouverture de la procédure collective et exclusivement attaché à la personne du salarié, en raison du caractère alimentaire de sa créance, ne serait pas transmis à l'institution de garantie, laquelle pourrait seulement se prévaloir du droit d'être payée par préférence aux autres créanciers privilégiés lors de la répartition de l'actif. Cette institution de garantie pourrait, tout au plus, sur l'autorisation du juge-commissaire accordée sur le fondement des articles L. 643-3 et R. 643-2 du code de commerce, obtenir un paiement provisionnel sur les fonds à distribuer. Les fonds ainsi remis seraient donc susceptibles de devoir être restitués.

- au contraire, la spécificité du dispositif de protection du paiement des rémunérations du travail, garanti non seulement par le superprivilège mais également par les avances consenties par les institutions de garanties contre le non-paiement des créances salariales, constituent un ensemble à vocation sociale dont il convient d'assurer la performance et, partant, la pérennité, sans opérer de distinction entre les bénéficiaires de la garantie (les salariés) et l'institution qui la dispense. Dès lors, l'AGS doit être pleinement subrogée dans les droits des salariés au titre des avances qu'elle a consenties pour le paiement des créances assorties du superprivilège.

Comme elle l'avait fait pour le mécanisme des avances, la chambre commerciale a clairement tranché en faveur de la spécialité du dispositif de garantie du paiement des créances salariales en retenant que l'AGS n'est pas un organisme d'assurance mais une institution de garantie qui paie en lieu et place du débiteur, de sorte que la subrogation, qui a pour effet d'investir le subrogé de la créance primitive avec tous ses avantages et accessoires, doit produire son plein et entier effet. Par un arrêt du même jour (Com., 17 janvier 2024, pourvoi n° 23-12.283), elle a censuré l'arrêt d'une cour d'appel qui avait décidé du contraire.

La clause qui sanctionne tout retard de paiement n'aggrave pas les obligations du débiteur en mettant à sa charge des frais supplémentaires.

Com, 7 février 2024, pourvoi n°22-17.885

Si la créance résultant d'une clause de majoration d'intérêts dont l'application résulte du seul fait de l'ouverture d'une procédure collective ne peut être admise, en ce qu'elle aggrave les obligations du débiteur en mettant à sa charge des frais supplémentaires, tel n'est pas le cas de la clause qui sanctionne tout retard de paiement.

La question posée par l'arrêt commenté était celle de savoir si la créance résultant des clauses de majoration d'intérêts contenues dans les contrats bancaires, qui ne sont pas soumis à l'arrêt du cours des intérêts (Art. L.622-28, al.1 C.com.), peut être admise.

En réponse, la chambre commerciale, financière et économique fait clairement la différence entre les clauses qui font dépendre la majoration d'intérêts de l'ouverture d'une procédure collective (Cass. Com., 9 octobre 2019, pourvoi n° 18-18.818, Bull.civ. IV, n° 27) et celles dont l'application peut concerner tout débiteur, indépendamment de l'ouverture de la procédure, l'appréciation de la clause devant s'apprécier au jour du jugement d'ouverture, qui seul permet de prendre le « cliché » du passif de la procédure.

Il s'agissait en l'espèce, d'une clause de majoration d'intérêts pour toute somme non payée à sa date d'exigibilité. Or, ouverture d'une procédure collective et exigibilité des créances ne sont pas forcément synonymes. Ainsi, si le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire rend les créances exigibles (art.L.643-1 C.com.), l'article L.622-29 du même code édicte, au contraire, que le jugement d'ouverture n'emporte pas exigibilité des créances. L'établissement du plan emportera d'ailleurs report de l'exigibilité.

On constatera enfin dans cette affaire, que l'ouverture de la sauvegarde et l'exécution du plan rend la clause sans effet, alors même qu'elle a été admise. S'agissant d'une créance éventuelle, la chambre commerciale suit sa longue jurisprudence posant le principe d'une admission (Cass. Com., 14 mars 1989, n°87-15.401 ; Bull.civ.IV, n°87.- 5 novembre 2013, n°12-20.263 : Bull.civ.IV, n°164.- 9 octobre 2019, pourvoi n° 18-18.818).

QUESTION NOUVELLE - La mise à disposition d'une copie d'un logiciel par téléchargement et la conclusion d'un contrat de licence d'utilisation y afférent doit être qualifiée de vente.

Com, 6 mars 2024, pourvoi n°22-22.651

Com, 6 mars 2024, pourvoi n°22-18.818

Com, 6 mars 2024, pourvoi n°22-23.657

L'article L.122-6, 3° du code de la propriété intellectuelle doit être interprété en ce sens que la mise à disposition d'une copie d'un logiciel par téléchargement et la conclusion d'un contrat de licence d'utilisation y afférent, visant à rendre ladite copie utilisable par le client de manière permanente moyennant le paiement d'un prix, implique le transfert du droit de propriété de cette copie et doit être qualifiée de vente.

Dans ces trois arrêts, la question de droit, soulevée par un affactureur qui entendait se faire payer des créances qui lui ont été cédées par un débiteur en liquidation judiciaire, était de savoir si une clause de réserve de propriété contenue dans un contrat de fourniture de logiciel était opposable à la procédure collective et pouvait permettre au fournisseur de revendiquer la créance de prix des logiciels cédés, en application de l'article L.624-18 du code de commerce.

Pour répondre à cette question les parties se sont opposées sur la qualification du contrat. La question était donc de savoir si un tel contrat était une vente, pouvant contenir une telle clause ou s'il s'agissait d'un louage d'ouvrage.

C'est à la lumière du droit européen, en particulier de la directive 2009/24/CE du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur, que la chambre commerciale, financière et économique a interprété l'article L.122-6, 3° du code de la propriété intellectuelle qui en assure la transposition en droit français.

Plusieurs décisions de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêts du 3 juillet 2012, Usedsoft, C - 128/11, du 12 octobre 2016, Ranks et al.c./ Microsoft corp. et al., C-166/15 et du 16 septembre 2021, Sofware incubator, C-410/19) jugent que le téléchargement d'une copie d'un programme d'ordinateur et la conclusion d'un contrat de licence d'utilisation se rapportant à celle-ci forment un tout indivisible et que la mise à disposition d'une copie d'un logiciel informatique, au moyen d'un téléchargement, et la conclusion d'un contrat de licence d'utilisation y afférent, visant à rendre ladite copie utilisable par les clients, de manière permanente, et moyennant le paiement d'un prix destiné à permettre au titulaire du droit d'auteur d'obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de la copie de l'œuvre dont il est propriétaire, impliquent le transfert du droit de propriété de cette copie.

Les contrats conclus en l'espèce étant des contrats de vente, une clause de réserve de propriété pouvait être opposée à la procédure collective.

Rappel du rôle du juge commissaire au cours de la procédure ordinaire de vérification des créances.

Com, 6 mars 2024, pourvoi n°22-22.939

Il résulte des articles L.624-2 et R.624-5 du code de commerce que les pouvoirs du juge compétent saisi par une partie sur invitation du juge-commissaire pour trancher la contestation d'une créance se limitent à trancher cette contestation et à renvoyer au juge-commissaire pour qu'il statue sur l'admission ou le rejet de la créance.

L'arrêt commenté est l'occasion pour la chambre commerciale, financière et économique de rappeler la procédure à suivre en cas de contestation sérieuse constatée par le juge-commissaire.

Celui-ci doit, par ordonnance, préciser quelle est la contestation et indiquer qu'elle est sérieuse, puis inviter les parties à saisir sur ce point le juge compétent. Ce dernier statue alors sur la seule contestation, et non sur la créance elle-même, et doit renvoyer les parties devant le juge-commissaire qui admettra ou rejettera la créance selon ce qu'aura jugé la juridiction compétente.

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