N°12 - Mars 2024 (Autorité des marchés financiers )

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Une sélection commentée des arrêts rendus par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation (Autorité des marchés financiers / Entreprise en difficulté / Impôts et taxes / Localisation financière / Pratiques restrictives / Propriété industrielle / Saisie-contrefaçon / Sociétés).

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Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

N°12 - Mars 2024 (Autorité des marchés financiers )

QUESTION NOUVELLE - Un journaliste qui a, sans respecter les règles ou codes de sa profession, diffusé à des fins journalistiques une information fausse ou trompeuse, peut être sanctionné pour abus de marché.

Com, 14 février 2024 pourvoi n° 22-10.472

Deux enseignements sont à tirer de cette décision.

Le premier est que, pour la première fois, la chambre commerciale précise la portée des articles 12 et 21 du règlement (UE) n° 596/2014 du 16 avril 2014 sur les abus de marché, dit règlement MAR, et énonce dans quelles hypothèses un journaliste peut, en application de ces dispositions, être sanctionné pour avoir diffusé des informations fausses ou trompeuses susceptibles de fixer le cours d’un titre à un niveau anormal ou artificiel.

Se fondant sur l’article 21 du règlement MAR, la chambre commerciale distingue trois situations:

- la première, celle d’un journaliste qui, sans en tirer un avantage ni avoir l'intention d'induire le marché en erreur, a diffusé à des fins journalistiques une information fausse ou trompeuse : il ne peut être sanctionné pour abus de marché s’il a respecté les règles ou codes relatifs à sa profession ;

- la deuxième, celle d’un journaliste qui, sans en tirer un avantage ni avoir l'intention d'induire le marché en erreur, a, sans respecter les règles ou codes de sa profession, diffusé à des fins journalistiques une information fausse ou trompeuse : il peut être sanctionné pour abus de marché lorsque les règles relatives à la liberté de la presse et à la liberté d'expression le permettent, c’est-à-dire lorsque l’ingérence que constitue la sanction dans son droit à la liberté d’expression est nécessaire et proportionnée aux buts légitimes poursuivis ;

- la troisième, celle d’un journaliste qui a diffusé une information fausse ou trompeuse pour en tirer ou en faire tirer un avantage ou des bénéfices ou pour induire le marché en erreur : il peut être sanctionné pour abus de marché sans qu'il y ait lieu d'appliquer les règles relatives à la liberté de la presse et à la liberté d'expression ainsi que les règles ou codes relatifs à sa profession pour apprécier la caractérisation du manquement.

Le second enseignement est que la chambre commerciale contrôle, s’agissant d’un journaliste, la proportionnalité de la sanction qui lui est infligée.

Elle juge que la sanction prononcée est proportionnée en retenant que l’agence de presse n’a pas agi dans le respect des règles et codes régissant sa profession, que le manquement, qui lui est imputable, a entraîné des pertes financières importantes pour les investisseurs et a porté atteinte à l'intégrité des marchés financiers et à la confiance des investisseurs dans ces marchés, qu’elle n’a pas souhaité, au cours de la procédure de sanction, communiquer son chiffre d’affaires total pour la mise en œuvre de la sanction et qu’elle n’a jamais soutenu que cette sanction était de nature à compromettre son existence ou la poursuite de ses activités journalistiques.

QUESTIONS NOUVELLE - À quelles conditions la personne sanctionnée par l'AMF peut exercer son propre recours principal ? Qu’est-ce qu’une offre publique volontaire soumise aux dispositions du règlement général de l'AMF relatives aux offres publiques ?

À quelles conditions la personne sanctionnée par l’Autorité des marchés financiers (AMF) peut exercer son propre recours principal, lorsque ce recours se borne à contester la décision de la commission des sanctions en tant qu'elle a écarté certains griefs ? Qu’est-ce qu’une offre publique volontaire soumise aux dispositions du règlement général de l'AMF relatives aux offres publiques ?

Com, 8 novembre 2023, pourvoi n° 21-18.318

La personne sanctionnée doit disposer d'un délai raisonnable à compter de la notification du recours principal du président de l'AMF contre une décision de la commission des sanctions en tant qu'elle écarte certains griefs pour former son propre recours principal à l'encontre de cette décision en tant qu'elle a retenu des griefs à son encontre. Une offre faite volontairement et publiquement et qui a pour objectif l'acquisition du contrôle de la société cible est une offre publique volontaire soumise aux dispositions d'ordre public du règlement général de l'AMF relatives aux offres publiques.

Lorsque le recours principal du président de l'Autorité des marchés financiers (AMF) se borne à contester la décision de la commission des sanctions en tant qu'elle a écarté certains griefs, la personne sanctionnée doit, afin que soit garanti le principe de l'égalité des armes résultant de l'exigence d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, pouvoir encore disposer, à compter de la notification du recours principal du président de l'AMF, d'un délai raisonnable lui permettant d'exercer de manière concrète et efficiente son propre recours principal par lequel elle conteste la décision de la commission des sanctions en tant qu'elle a retenu des griefs à son encontre.

Ne donne pas de base légale à sa décision une cour d'appel qui déclare irrecevable le recours principal formée par une personne sanctionnée sans rechercher si l'obligation, pour elle, de former, dans le délai de quatre jours, comprenant un samedi et un dimanche, à compter de la notification du recours principal du président de l'AMF, son propre recours afin de contester le bien-fondé du grief retenu à son encontre par la commission des sanctions, ne plaçait pas cette personne dans une situation de net désavantage par rapport au président de l'AMF et si, par conséquent, le délai pour introduire ce recours ne devait pas être prolongé pour garantir le principe de l'égalité des armes.

A l'exclusion de celle faite par la société visée, toute offre faite volontairement et publiquement aux détenteurs d'instruments financiers par une personne, agissant seule ou de concert au sens des articles L. 233-10 ou L. 233-10-1 du code de commerce, pour acquérir tout ou partie de ces instruments financiers, constitue, dès lors qu'elle suit ou a pour objectif l'acquisition du contrôle de la société visée, une offre publique volontaire soumise aux dispositions d'ordre public du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (AMF) relatives aux offres publiques.

Par cet arrêt, la chambre commerciale apporte deux précisions d'importance s'agissant du contentieux relatif à l'AMF.

La première est d'ordre procédural.

Jusqu'à la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010, seule la personne sanctionnée par la commission des sanctions de l'AMF disposait, en application de l'article L. 621-30 du code monétaire et financier, d'un recours à l'encontre de cette décision.

La loi du 22 octobre 2010 a mis fin à cette asymétrie en permettant également au président de l'AMF de former un recours principal à l'encontre d'une décision de la commission des sanctions.

Cette loi, bien que mettant fin à une asymétrie, en a toutefois créé une autre en ce qu'elle a introduit la possibilité d'un recours incident qu'elle a réservé au seul président de l'AMF.

L'objectif de ce recours incident est d'éviter que le recours principal formé par la partie sanctionnée aux fins d'annulation ou de réformation de la sanction ne soit systématique dès lors que ce recours ne peut avoir un effet défavorable pour elle en application du principe général du droit, consacré à la fois par le Conseil Constitutionnel et le Conseil d'Etat, selon lequel la situation de la personne sanctionnée ne peut être aggravée sur son seul recours.

Saisi par la chambre commerciale d'une question prioritaire de constitutionnalité relative aux dispositions de l'article L. 621-30 du code monétaire et financier n'ouvrant un recours incident qu'au seul président de l'AMF, le Conseil constitutionnel les a déclarées conformes à la Constitution en retenant, notamment, que la personne sanctionnée pouvait, en cas de recours principal du président de l'AMF, présenter des demandes reconventionnelles tendant à l'annulation ou à la réformation de la sanction prononcée et qu'il appartenait aux juridictions d'apprécier la recevabilité de telles demandes en garantissant le caractère juste et équitable de la procédure ainsi que l'équilibre des droits et parties (décision n° 2021-979 QPC, 11 mars 2022).

Cette décision fait écho à une décision du Conseil d'Etat par laquelle celui-ci avait jugé que la question prioritaire de constitutionnalité dont il était été saisi, relative à l'article L. 621-30 du code monétaire et financier en tant qu'il ne permet pas à la personne sanctionnée de former un recours incident en cas de recours principal du président de l'AMF, n'était pas sérieuse dès lors que cette personne avait toujours la possibilité de présenter des conclusions reconventionnelles devant le juge de pleine juridiction tendant à l'annulation ou à la réformation de la sanction prononcée (CE 17 février 2014 n° 369198).

Toutefois, d'une part, le recours tant principal qu'incident du président de l'AMF peut, à la différence de celui de la personne sanctionnée, conduire à une aggravation de la sanction prononcée par la commission des sanctions. Par conséquent, lorsque le président de l'AMF exerce son recours peu de temps avant l'expiration du délai de deux mois à compter de la notification de la décision de la commission des sanctions, prévu à l'article R. 621-44 du code monétaire et financier, la personne sanctionnée peut ne plus être en mesure d'en tirer les conséquences quant à l'opportunité de son propre recours principal, en particulier dans l'hypothèse où la décision de la commission des sanctions n'a retenu qu'une partie des griefs notifiés et que le recours du président de l'AMF ne concerne que les griefs qui n'ont pas fait l'objet d'une sanction.

D'autre part, devant le juge judiciaire, et en application de l'article 70 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant et la faculté, pour la personne sanctionnée de présenter, en cas de recours principal du président de l'AMF, des demandes reconventionnelles devant la cour d'appel de Paris, qui dépend des demandes formées par ce dernier, ne peut, à elle seule, suffire à garantir le caractère juste et équitable de la procédure ainsi que l'équilibre des droits des parties, en particulier lorsque le président de l'AMF ne critique la décision de la commission des sanctions qu'en tant qu'elle a écarté certains griefs.

C'est pourquoi, pour assurer le principe de l'égalité des armes, tel qu'il résulte de l'exigence d'un procès équitable et qui requiert que chaque partie se voie offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire, la chambre commerciale précise que, lorsque le recours principal du président de l'AMF se borne à contester la décision de la commission des sanctions en tant qu'elle a écarté certains griefs, la personne sanctionnée doit, afin que soit garanti le principe de l'égalité des armes, pouvoir encore disposer, à compter de la notification du recours principal du président de l'AMF, d'un délai raisonnable lui permettant d'exercer de manière concrète et efficiente son propre recours principal par lequel elle conteste la décision de la commission des sanctions en tant qu'elle a retenu des griefs à son encontre.

En outre, la chambre commerciale, après avoir prononcé une cassation sur ce point, a statué au fond sur la recevabilité du recours de la personne sanctionnée, dans l'intérêt d'une bonne justice.

Elle a ainsi jugé que le délai de quatre jours, comprenant un samedi et un dimanche, dont cette personne disposait à compter de la notification du recours principal du président de l'AMF pour former son propre recours principal et pouvoir contester le bien-fondé du grief retenu à son encontre par la commission des sanctions, la privait d'une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions ne la plaçant pas dans une situation de net désavantage par rapport au président de l'AMF, et que le recours qu'elle avait formé huit jours seulement après que lui a été notifié le recours principal du président de l'AMF, était intervenu dans un délai raisonnable à compter de cette notification.

La seconde précision apportée par cette décision est relative au droit des offres publiques.

Pour la première fois, la chambre commerciale définit ce qu'est une offre publique volontaire soumise aux dispositions du règlement général de l'AMF relatives aux offres publiques : il s'agit, à l'exclusion de celle faite par la société visée, de toute offre faite volontairement et publiquement aux détenteurs d'instruments financiers par une personne, agissant seule ou de concert au sens des articles L. 233-10 ou L. 233-10-1 du code de commerce, pour acquérir tout ou partie de ces instruments financiers, et qui suit ou a pour objectif l'acquisition du contrôle de la société visée.

La chambre commerciale précise, à cet égard, que les dispositions du règlement général de l'AMF relatives aux offres publiques, qui ont pour objectif d'assurer l'égalité des actionnaires et la transparence des marchés financiers et poursuivent, dès lors, une finalité d'intérêt général, relèvent de l'ordre public économique de direction.

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