N°11 - Novembre 2023 (Enteprise en difficulté)

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Une sélection commentée des arrêts rendus par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation (Autorité des marchés financiers / Concurrence / Contrat / Entreprise en difficulté / Impôts et taxes / Pratiques restrictives de concurrence / Propriété industrielle / Sociétés / Transport de marchandise / Ventes commerciales).

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Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

N°11 - Novembre 2023 (Enteprise en difficulté)

Le montant de la créance à admettre est celui existant au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective

Com., 5 juillet 2023, pourvoi n°22-10.104

Il résulte des articles L. 622-24, alinéa 1er, et L. 622-25 du code de commerce, qu'au titre des créances antérieures au jugement d'ouverture de la procédure collective, le montant de la créance à admettre est celui existant au jour de ce jugement d'ouverture, date à laquelle le juge-commissaire puis la cour d'appel, se prononçant sur la contestation d'une telle créance, doivent se placer pour statuer sur son admission, sans tenir compte d'événements postérieurs susceptibles d'influer sur la somme qui sera ultérieurement distribuée par le liquidateur.

La chambre commerciale réaffirme la règle selon laquelle le juge-commissaire, puis la cour d'appel, en cas de recours, doivent se placer à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective pour statuer sur l'admission d'une créance (voir les arrêts Com.,13 novembre 2007, pourvoi n° 06-19.192 ; Com., 13 mai 2014, pourvoi n° 13-14.357, Bull. IV, n° 87).

Pour reprendre l'expression de Mme Le Corre-Broly, l'admission de la créance constitue « un cliché de la créance au jour du jugement d'ouverture ». Il s'agit, en effet, de connaître le montant maximum du passif qu'il y aura lieu d'apurer.

De façon constante, la Cour de cassation a refusé la prise en considération d’un événement survenu après le jugement d'ouverture et susceptible de venir réduire une créance. Ainsi, le juge-commissaire et, sur recours, la cour d'appel ne peuvent prendre en compte un paiement de la dette qui serait intervenu après le jugement d'ouverture par un co-emprunteur solidaire (Com., 18 mars 2008, pourvoi n° 07-10.027) ou par une caution (Com., 2 février 1999, pourvoi n° 95-15.291, Bull. IV, n° 34, ou encore la remise de dette qui aurait été consentie dans le cadre d'un plan (Com., 22 mars 2011, pourvoi n° 09-72.751).

Il importe donc de ne pas se livrer à une confusion entre l'admission d'une créance et le paiement dont elle fera l'objet au cours de la procédure collective soit par distribution du prix de l'actif soit par répartition des dividendes d'un plan.

Par ailleurs, l’arrêt précise ici que les événements postérieurs au jugement d'ouverture, s'ils n'influent pas sur l'admission d'une créance, seront, en revanche, pris en considération par le liquidateur à l'occasion des distributions qu'il aura à opérer (Com., 13 novembre 2007, pourvoi n° 06-19.192, déjà cité ; Com., 1er juillet 2020, pourvoi n° 19-10.331, publié).

QUESTION NOUVELLE - L'obligation de justification préalable de l'insuffisance des fonds disponibles de la procédure collective ne s'applique pas en redressement et liquidation judiciaires.

Com. 7 juillet 2023, pourvoi n° 22-17.902

Il résulte des articles L. 3253-19, 1° et 3° et L. 3253-20 du code du travail que l'obligation de justification préalable par le mandataire judiciaire de l'insuffisance des fonds disponibles de la procédure collective et la possibilité de sa contestation immédiate par les institutions de garantie ne sont prévues qu'en cas de sauvegarde. Dès lors, en redressement et liquidation judiciaires, sur la présentation d'un relevé de créances salariales établi sous sa seule responsabilité par le mandataire judiciaire, l'institution de garantie est tenue de verser les avances demandées afin qu'il soit répondu à l'objectif d'une prise en charge rapide de ces créances. Dans ces deux procédures, aucun contrôle a priori n'est ouvert à l'Association de garantie des salaires.

Dès la création de cette institution de garantie par la loi n° 73-1194 du 27 décembre 1973, l'intervention de l'Association de garantie des salaires (l'AGS) a eu vocation à pallier la défaillance de l'entreprise en difficulté et de garantir aux salariés le paiement rapide de leurs créances dans la limite de plafonds. Son intervention a donc toujours été conçue comme devant être subsidiaire.

Toutefois, dans un contexte de difficultés financières, les relations entre l'AGS et ses partenaires institutionnels que sont les mandataires judiciaires se sont tendues. L'institution de garantie a estimé possible de pouvoir tirer de la subsidiarité de son intervention la faculté d'exercer, lors de demandes d'avances formées dans des procédures de redressement ou de liquidation judiciaires, un contrôle a priori de la disponibilité de fonds détenus par la procédure collective en exigeant qu'outre les relevés des créances salariales d'autres justifications lui soient remises. Les refus qui lui ont été opposés se sont traduits par l'introduction de plusieurs procédures à l'occasion desquelles il a été ordonné à l'AGS de procéder à des avances dans les limites de sa garantie.

Le principe de subsidiarité de l'intervention de l'AGS, son droit de contester la mise en oeuvre de sa garantie lorsqu'elle est recherchée à l'occasion d'un conflit individuel du travail porté devant un conseil de prud'hommes et les règles propres à l'administration de la preuve  sont-ils de nature à justifier qu'un mécanisme similaire puisse être mis en oeuvre lors d'un redressement ou d'une liquidation judiciaires ou, au contraire, l'article L. 3253-20, pris en son entier, appelle-t-il une interprétation littérale, la justification préalable de l'indisponibilité des fonds, énoncée par son second alinéa, étant réservée à la seule sauvegarde, tels étaient les enjeux du pourvoi formé par l'AGS.

La chambre commerciale de la Cour de cassation répond donc fermement que l'obligation de justification préalable, par le mandataire judiciaire de l'insuffisance des fonds disponibles de la procédure collective et la possibilité de sa contestation immédiate par les institutions de garantie ne sont prévues qu'en cas de procédure de sauvegarde, laquelle concerne une entreprise qui n'est pas en état de cessation des paiements, ce qui est de nature à faire présumer l'absence de fonds disponibles.

Interdiction des actions en justice de la part des créanciers résultant du jugement d'ouverture d'une procédure collective

S'applique-t-elle à l'action aux fins de constat de la résolution d'un contrat de location de véhicules par application d'une clause résolutoire de plein droit qui a produit ses effets avant le jugement d'ouverture?

 

Com. 13 septembre 2023, pourvoi n°22-12.047

Le principe édicté à l'article L. 622-21, I, du code de commerce, de l'interruption ou de l'interdiction des actions en justice de la part des créanciers, dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 du code de commerce et tendant au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent, ne fait pas obstacle à l'action aux fins de constat de la résolution d'un contrat de location de véhicules par application d'une clause résolutoire de plein droit ayant produit ses effets avant le jugement d'ouverture du redressement judiciaire du locataire.

La chambre commerciale réaffirme que le principe de l'arrêt des poursuites n'a pas pour effet de remettre en cause l'acquisition d'une clause résolutoire intervenue antérieurement au jugement d'ouverture à propos d'un contrat de location de véhicules. Elle avait déjà énoncé antérieurement cette solution notamment à propos d'un contrat de crédit-bail immobilier (Com 18 novembre 2014 n°13 23997) ou d'un contrat de bail d'habitation (Com 23 octobre 2019 n°18-14823).

Est dès lors recevable une action tendant à la constatation de l'acquisition d'une clause résolutoire ayant joué avant le jugement d'ouverture même si sa mise en oeuvre est fondée sur le paiement d'une créance de somme d'argent antérieure au dit jugement.

Cette solution n'est toutefois pas applicable aux baux commerciaux compte tenu des dispositions de l'article L. 145-41 du code de commerce : la clause résolutoire ne sera considérée comme ayant joué avant le jugement d'ouverture que si, à cette date, une décision passée en force de chose jugée en a constaté l'acquisition.

Le juge-commissaire peut-il, sans commettre d'excès de pouvoir, refuser de désigner contrôleur un créancier public qui lui en a fait la demande ?

Com. 25 octobre 2023, pourvoi n°22-16.907

Le juge-commissaire qui refuse de désigner contrôleur l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) qui en a fait la demande commet un excès de pouvoir, l'article L. 621-10, alinéa 2, du code de commerce, disposant que les administrations financières et les organismes et institutions mentionnés au premier alinéa de l'article L. 626-6 du même code sont désignés contrôleurs s'ils en font la demande.

Le législateur a fait le choix de distinguer, parmi les différentes catégories de créanciers qui demandent leur désignation comme contrôleurs, les conditions de désignation applicables aux créanciers de droit commun, d'une part, et celles applicables aux créanciers publics, d'autre part.

Pour les créanciers de droit commun, l'article L. 621-10, alinéa 1er, prévoit que le juge-commissaire désigne un à cinq contrôleurs parmi les créanciers qui en font la demande et, en cas de désignation de plusieurs contrôleurs, impose un choix, prenant en compte au moins un créancier titulaire de sûreté et un créancier chirographaire.

On observe que dans ce premier cas, le juge-commissaire conserve un pouvoir d'appréciation sur le choix à opérer dans la limite de un à cinq contrôleurs parmi ceux qui lui en ont fait la demande. S'agissant de ces créanciers de droit commun aspirant à devenir contrôleurs, la Cour de cassation a précisé que le juge-commissaire n'était pas tenu de désigner tous les créanciers qui lui en avaient fait la demande même s'ils n'étaient pas plus de cinq à l'avoir saisi et que le refus du juge-commissaire de nommer l'un d'entre eux ne caractérisait pas un excès de pouvoir rendant recevable un recours-nullité de la part d'un créancier exclu du choix opéré par le juge-commissaire (Com., 29 septembre 2015, pourvoi n° 14-15.619, Bull. 2015, IV, n° 136).

Pour les créanciers publics, l'alinéa 2 du même texte, créé par l'ordonnance du 12 mars 2014, dispose qu'ils sont désignés contrôleurs s'ils en font la demande, avec une limitation de leur nombre à un seul contrôleur si le juge-commissaire est saisi de plusieurs demandes.

Dès lors, le juge-commissaire qui refuse de désigner contrôleur un créancier public qui lui en a fait la demande pour des motifs tenant à la tardiveté de la demande et à l'existence d'un contentieux en rapport avec la période suspecte concernant ce créancier, commet un excès de pouvoir, en l'occurrence un excès de pouvoir négatif, le texte devant être compris comme signifiant que le juge-commissaire doit donner suite à la demande d'un tel créancier sans pouvoir la refuser, à la condition toutefois, qui n'était pas en cause dans l'espèce considérée, qu'aucun autre  créancier public n'ait formé la même demande, car dans ce cas, il ne pourrait désigner que l'un d'entre eux.

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