N°10 - Juillet 2023 (Concurrence)

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Une sélection commentée des arrêts rendus par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation (Autorité administrative indépendante / Banque / Cautionnement / Concurrence / Impôts et taxes / Procédures collectives / Sociétés civiles et commerciales).

  • Economie
  • autorités administratives indépendantes (aai)
  • banque
  • cautionnement
  • concurrence
  • impôts et taxes
  • droit commercial et procédures collectives
  • droit des sociétés

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

N°10 - Juillet 2023 (Concurrence)

Transparence et pratiques restrictives - Rupture brutale des relations commerciales - Domaine d'application - Contrat conclu par un syndicat de copropriétaires commerçants - Prestation de service pour les besoins de l'activité commerciale de ses membres

Com., 28 juin 2023, pourvoi n° 21-16.940

Par cet arrêt, la chambre commerciale a apporté deux précisions importantes pour le contentieux des pratiques restrictives de concurrence et en particulier celui de la rupture brutale des relations commerciales établies.

La première question posée par le pourvoi était de savoir si les dispositions de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, devenu l’article L. 442-1, II du même code depuis l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, s’appliquent à un syndicat de copropriétaires commerçants dans la relation nouée avec un prestataire de service réalisant pour les copropriétaires des opérations de sécurité incendie, surveillance et gardiennage du site.

La difficulté résultait de ce qu’en vertu de l’article 14 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, un syndicat de copropriétaires est une personne morale civile et que l’application de l’article L. 442-6 est liée à la qualité de commerçant, artisan ou personne inscrite au registre des métiers.

Cependant, la combinaison de ce texte avec l’article L. 410-1 du code de commerce, dans sa version antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021, qui précise que les règles définies au livre IV de ce code s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, a, de longue date, conduit la chambre commerciale à étendre le champ de l’article L. 442-6 aux activités d’autres acteurs que les commerçants, artisans ou personnes inscrites au registre des métiers, à raison de la nature des activités dans lesquelles étaient intervenues les ruptures.

Elle a en effet, d’abord admis que ce texte s’appliquait quelque soit le statut juridique de la personne victime du comportement incriminé (Com.  6 février 2007, pourvoi n° 03-20.463, Bull. 2007, IV, n° 20), puis elle l’a étendu à des auteurs de rupture de nature privée, comme une société d’assurance mutualiste à but non lucratif, au motif qu’elle procédait à une activité de service (Com. 14 septembre 2010, n° 09-14.322, Bull 135), à une association exerçant une activité de production de distribution ou de service (Com., 25 janvier 2017, pourvoi n° 15-13.013, Bull. 2017), ou encore à un comité d’entreprise (Cass. Com, 3 avril 2013 pourvoi n° 12-17.163).

Dans cette affaire, l’auteur de la rupture faisait valoir que la 1ère chambre civile avait, par plusieurs arrêts, notamment Cass. Civ. 1ère, 29 mars 2017, n° 16-10.007, Bull.2017, I n° 79, jugé qu’un syndicat de copropriétaires ne pouvait être considéré comme un professionnel au sens de l’article L. 136-1 du code de la consommation et que la chambre sociale avait exclu, par un arrêt de 2017 (Cass. Soc., 1er février 2017, n° 15-26.853, Bull.n°21), qu’un syndicat de copropriétaires employant une gardienne de leur immeuble puisse être considéré comme une entreprise au sens de l’article L. 1233-2 du code du travail, ce qui aurait permis à la personne licenciée de bénéficier des dispositions relatives au licenciement économique. Il en déduisait qu’à la lumière de cette jurisprudence un syndicat de copropriétaires, fûssent-ils commerçants, ne pouvait se voir appliquer les dispositions de l’article L. 442-6 du code de commerce.

La chambre commerciale n’a pas suivi cette analyse. En effet, la lecture des arrêts invoqués permettait de constater que les jurisprudences citées n’excluaient pas, par principe, qu’un syndicat de copropriétaires commerçants, puisse être considéré comme une entreprise ou comme exerçant une activité commerciale, au sens d’économique, relevant de l’application des dispositions sur la rupture brutale.

On observera à ce sujet que l’arrêt de la chambre sociale précité concerne un immeuble privé et se borne à rappeler qu’un syndicat de copropriétaires qui n’exerce aucune activité économique n’est pas une entreprise au sens de l’article L. 1233-1 du code du travail, laissant ainsi présumer qu’une solution différente serait apportée dans le cas où le syndicat concerné exercerait une activité économique.

Par ailleurs, les arrêts précités de la première chambre civile, quant à eux, ne concernaient que la qualification de « non professionnel » au sens de l’article L. 136-1 du code de la consommation. On peut aussi observer, au surplus, que la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 a introduit une définition légale des notions de consommateur et de professionnel reposant sur la finalité du champ d’intervention dans lequel intervient la personne concernée, ce qui correspond à la démarche de la chambre commerciale pour l’application du droit des pratiques restrictives.

Dans ce contexte, la chambre commerciale a analysé l’activité du syndicat des copropriétaires du centre commercial en cause, comme elle l’a fait jusqu’à présent, pour d’autres opérateurs économiques. Ceci l’a conduite à considérer que la cour d’appel, qui avait, par sa motivation, fait ressortir que le contrat conclu entre le syndicat et la société en cause avait exclusivement pour objet d’assurer une prestation de service pour les besoins de l’activité commerciale de ses membres, avait exactement retenu que la relation qui en découlait était une relation commerciale entrant dans le champ de l’article L. 442-6 I, 5° du code de commerce.

La deuxième précision apportée par cet arrêt concerne ce que recouvre la notion de marge brute perdue pendant la durée du préavis non exécuté, qui est au cœur du calcul du préjudice résultant de la brutalité de la rupture dont l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce poursuit l’indemnisation.

En effet, cette notion de marge brute, issue de la pratique des juges du fond pour calculer le préjudice, ne correspond à aucune définition comptable. La Cour, dans l’exercice de son contrôle du respect du principe de la réparation intégrale du préjudice, approuve ici que cette notion doit s’entendre comme la différence entre le chiffre d’affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis. Mais elle ajoute à cette définition communément appliquée que, le cas échéant, il pourra encore être déduit de cette différence, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture brutale, durant la même période.

Avec ces précisions, la chambre commerciale montre qu’il convient en cette matière, comme dans toute indemnisation de préjudice, d’analyser celui-ci au regard de la réalité des situations. Il peut advenir, en effet, que certains coûts variables ne disparaissent pas dès le jour de la cessation de la relation mais aussi, à l’inverse, que certains coûts fixes qui, théoriquement, continuent à être supportés, ne le soient pas totalement, ce qui sera le cas notamment lorsque l'entreprise doit cesser son activité (par exemple : Com., 23 janv. 2019, n° 17-26.870) ou la céder, totalement ou partiellement par suite de la brutalité de la rupture (par exemple : Com., 7 déc. 2022, n° 21-17.850). Le juge saisi doit donc procéder à un examen au cas par cas, dans la mesure des prétentions des parties et des éléments produits aux débats.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.