N°10 - Juillet 2023 (Banque)

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Une sélection commentée des arrêts rendus par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation (Autorité administrative indépendante / Banque / Cautionnement / Concurrence / Impôts et taxes / Procédures collectives / Sociétés civiles et commerciales).

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Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

N°10 - Juillet 2023 (Banque)

Opération de paiement non autorisée - Modification ultérieure du numéro IBAN du compte destinataire par un tiers

Com., 1er juin 2023, pourvoi n° 21-19.289

Si le payeur doit consentir au montant, faut-il qu’il ait également consenti au bénéficiaire de l’opération de paiement qu’il initie pour que celle-ci soit réputée autorisée au sens des articles L. 133-3, L. 133-6 et L. 133-18 du code monétaire et financier, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009 ?

Dans cette affaire, un couple avait rempli et adressé des ordres de virement à réaliser à partir de leur compte-joint ouvert dans les livres de la société Banque postale à destination du compte détenu par l’épouse dans ceux de la société ING Belgique.

Soutenant qu’une partie des fonds virés n’était pas parvenue à destination et qu’ils avaient appris son versement par la banque émettrice sur un compte tiers à la suite d’une falsification du numéro IBAN figurant sur les ordres de virement, ils ont assigné la société Banque postale en remboursement des sommes virées, laquelle a appelé la société ING Belgique en garantie.

Le tribunal judiciaire a rejeté la demande à l’encontre de la banque française et condamné la seule banque belge, en considérant que la première ne pouvait déceler la falsification et n’avait pas à vérifier les numéros de compte mentionnés sur l’ordre de virement, à la différence de la seconde, qui avait manqué à ses obligations de mandataire.

Ce jugement a été infirmé par l’arrêt attaqué du seul chef du montant de la condamnation de la banque, laquelle a été ramenée à la somme de 75 000 euros, en considérant que les demandeurs auraient pu prévenir plus tôt leur banque de l’anomalie et avaient, ainsi, contribuer à la réalisation de leur dommage. La cour d’appel a considéré en revanche qu’il n’y avait pas d’opération non autorisée dans cette hypothèse d’un ordre de virement régulier lors de son établissement mais ultérieurement falsifié.

Dépositaire des fonds confiés par son client, le banquier ne s’en dessaisit valablement que sur les ordres du titulaire du compte, de son représentant légal ou des personnes qu'ils ont habilitées (Com., 10 mars 2015, n° 14-11.046) et il lui appartient notamment d’établir que l’ordre de virement qu’il a exécuté émane de son client (Com., 9 fév. 2010, n° 09-12.853) ou d’un mandataire de celui-ci (1re Civ., 3 juin 2015, n° 14-19.825, Bull. 2015, I, n° 132).

Ensuite, bien que soumis à une obligation de non-ingérence ou de non-immixtion dans les affaires de son client, le banquier est également tenu envers celui-ci à une obligation de vigilance et il engage sa responsabilité s’il exécute un ordre de virement falsifié affecté d’une anomalie apparente devant attirer l’attention d’un professionnel normalement vigilant, justifiant qu’il se rapproche du donneur d’ordre (voir par exemple Com., 31 janv. 2017, n° 15-17.498).

Avec l’entrée en vigueur du régime issu des directives sur les services de paiement (directives 2007/64/CE du 13 novembre 21007 et 2015/23666 du 25 novembre 2015), l’article L. 133-18 du code monétaire et financier oblige le prestataire de service de paiement à rembourser son client en cas d’opération non autorisée. Cet article, ainsi que les suivants qui déterminent les obligations respectives du prestataire et de l’utilisateur de ce même service, s’appliquent aux virements qui sont au nombre des « autres instruments de paiement », objet du chapitre III du titre III du livre Ier du code monétaire et financier et ne distinguent pas si l’ordre de virement est faux ab initio ou falsifié.

Sur le fondement de ces dispositions, la chambre commerciale de la Cour de cassation a récemment jugé qu'il résulte des articles L. 133-18 et L.133-19 du code monétaire et financier qu'en cas d'opération de paiement non autorisée, réalisée au moyen d'un instrument de paiement doté de données de sécurité personnalisées et signalée par l'utilisateur dans les conditions prévues à l'article L. 133-24 du code monétaire et financier, c'est-à-dire dans les treize mois à compter de la date de débit, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse à ce dernier le montant de l'opération non autorisée, sauf si la responsabilité du payeur est engagée en application de l'article L. 133-19. Plus précisément, elle a jugé qu'il résulte des articles L. 133-3 et L. 133-6 du code monétaire et financier que si lors d'un retrait dans un distributeur automatique de billets, une personne compose à l'insu du titulaire de la carte de paiement le montant du retrait et s'empare des billets, l'opération de paiement n'est pas autorisée. La responsabilité du prestataire de services de paiement peut alors être engagée dans les conditions prévues par les articles L.133-18 et L. 133-19 du code monétaire et financier (Com., 30 novembre 2022, pourvoi n° 21-17.614).

Par le présent arrêt, la Cour de cassation précise encore les contours de l’opération réputée autorisée, excluant celle initiée par le payeur, qui donne un ordre de paiement à son prestataire de service de paiement, mais n’a pas consenti à son bénéficiaire. Elle a, en conséquence, cassé l’arrêt frappé du pourvoi et renvoyé l’affaire devant les juges du fond.

Contrat d'assurance-vie nanti en garantie du remboursement d'un prêt in fine - Préjudice - Perte d'une chance d'éviter la réalisation de ce risque

Com., 21 juin 2023, pourvoi n° 21-18.312

Quel dommage subit l’emprunteur qui n’a pas été informé du risque que lui faisait courir la souscription d’un prêt, lorsque le remboursement anticipé de celui-ci a permis d’éviter la réalisation de ce risque ?

La chambre commerciale juge régulièrement, depuis deux arrêts rendus au début de l’année 2019, que le préjudice résultant du manquement d’un prêteur ou d’un intermédiaire en investissement à une obligation d’informer, de conseiller ou de mettre en garde l’emprunteur ou l’investisseur sur l’existence d’un risque que présente l’opération que celui-ci s’apprête à conclure consiste en la perte d’une chance d’éviter la réalisation de ce risque (Com., 13 fév. 2019, n° 17-14.785, publié, Com., 6 mars 2019, n° 17-22.668, publié, puis Com., 22 janv. 2020, n° 17-20.819, Com., 24 mars 2021, n° 19-20.697, Com., 25 janv. 2023, n° 20-12.811, publié).

En particulier, lorsqu’un établissement de crédit, compte tenu des circonstances de la conclusion de l’opération, est tenu d’informer l’emprunteur auquel il consent un prêt remboursable in fine du risque que le rachat de contrats d’assurance-vie ne permette pas de rembourser ce prêt à son terme, et que cet établissement de crédit manque à cette obligation, le préjudice en résultant consiste, lorsque le prêt court jusqu’à son terme et que le risque se réalise, en la perte d’une chance de l’éviter.

Dans la présente affaire, la cour d’appel a précisément retenu qu’une banque, qui avait consenti un prêt in fine à une SCI, avait manqué à son obligation de l’informer sur le risque que le rachat de contrats d’assurance-vie souscrits par les associés de celle-ci ne permette pas de rembourser le prêt, à son terme, à hauteur de ce qui était escompté. Cependant, la SCI a remboursé le prêt par anticipation, ses associés soutenant qu’ils avaient agi de la sorte compte de l’évolution défavorable de la valorisation de leurs contrats d’assurance-vie et de la perspective que leur rachat ne permette pas le dénouement attendu de l’opération.

Le dommage résultant du manquement retenu par la cour d’appel ne pouvait donc plus consister en la perte d’une chance d’éviter la réalisation du risque dont la SCI n’avait pas été informée, dès lors que le remboursement auquel elle avait procédé avait précisément permis d’éviter la réalisation de ce risque.

Cela ne signifie pas, pour autant, que la SCI emprunteuse n’a subi aucun préjudice du fait du manquement commis par la banque. Cependant, son dommage ne s’est pas réalisé au terme du prêt, tel qu’initialement convenu, et il n’y a pas lieu de prendre en compte la valorisation des contrats d’assurance-vie à cette date pour évaluer son préjudice, contrairement à ce que soutenait le pourvoi.

Dans une telle hypothèse, le dommage se réalise, le cas échéant, dès le dénouement anticipé de l’opération. Ce sont donc les conséquences dommageables du remboursement anticipé du prêt, auquel il a été procédé pour éviter la réalisation du risque dont la SCI n’avait pas été informée, qui constituent la mesure du préjudice causé par le manquement de la banque.

Faute d’invoquer la réparation d’un tel dommage, le pourvoi ne pouvait qu’être rejeté.

Prescription - Contrat d'assurance-vie libellé en unités de compte - Manquement à l'obligation d'information du client

Com., 21 juin 2023, pourvoi n° 21-16.716

Quel est le point de départ de l’action en responsabilité du conseiller en gestion de patrimoine pour manquement à son obligation d’informer le souscripteur d’un contrat d’assurance-vie libellé en unité de compte sur le risque de pertes présenté par un support d’investissement ou à son obligation de le conseiller au regard d’un tel risque ?

Les faits de l’espèce peuvent être résumés ainsi. Selon lettre de mission, un couple d’investisseurs a confié à une société exerçant l’activité de conseiller en gestion de patrimoine la mission de leur proposer une stratégie d'investissement.

Sur les conseils de celle-ci, ils ont chacun souscrit des contrats d'assurance vie libellés en unités de compte et en euros de type multi-supports et, quelques années plus tard, ont désinvesti des sommes pour les réinvestir sur d’autres supports.

Soutenant la forte baisse des capitaux investis, résultant d’un manquement de la société à ses obligations de conseil et de mise en garde, ils l’ont assignée en responsabilité, laquelle a soulevé en défense l'irrecevabilité et la prescription de l'action.

On sait qu’aux termes de l’article 2224 du code civil, applicable en matière de responsabilité contractuelle comme extracontractuelle, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l’exercer.

Concernant la responsabilité du prestataire de services d’investissement ou de l’intermédiaire ayant permis la souscription d’un contrat d’assurance vie, il est jugé depuis plusieurs années, que les pertes ne se réalisent qu’au rachat du contrat d’assurance-vie (Com., 23 sept. 2014, n° 13-22.763 concernant la responsabilité d’un conseil en gestion de patrimoine, ou bien encore Com., 22 fév. 2017, n° 15-18.371).

Ainsi, le dommage en matière d’investissement ne se réalise pas au jour de la conclusion du contrat. En effet, nous jugeons de manière constante que, si l’obligation d’information, de conseil ou de mise en garde incombant au banquier prestataire de services d’investissement ou intermédiaire d’assurance tendait à prévenir un risque de pertes pour l’investisseur ou l’assuré, le préjudice subi par celui-ci n’est qu’éventuel, et donc non indemnisable, tant que ces pertes ne se sont pas réalisées.

Dans un arrêt Com., 6 mars 2019, n° 17-22.668, relatif à un contrat d'assurance-vie, nanti en garantie du remboursement d'un prêt in fine, la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que lorsque le souscripteur reproche à la banque prêteuse, par l'intermédiaire de laquelle ce contrat a été souscrit, de ne pas l'avoir informé du risque que, du fait d'une contre-performance de ce contrat, son rachat ne permette pas de rembourser le prêt à son terme, le dommage qu'il invoque consiste en la perte de la chance d'éviter la réalisation de ce risque. Elle ajoute que ce risque ne pouvant se réaliser qu'au terme du prêt, le dommage ainsi invoqué ne peut lui-même survenir qu'à cette date, laquelle constitue en conséquence le point de départ de l'action en responsabilité exercée contre la banque par le souscripteur.

Plus récemment (Com., 10 mars 2021, n° 19-16.302), la chambre commerciale a jugé, s’agissant d’une assurance-vie en unité de compte, que le manquement d'un assureur ou d'un courtier à son obligation d'informer, à l'occasion d'un arbitrage, le souscripteur d'un contrat d'assurance-vie libellé en unités de comptes sur le risque de pertes présenté par un support d'investissement, ou à son obligation de le conseiller au regard d'un tel risque, prive ce souscripteur d'une chance d'éviter la réalisation de ces pertes. Elle a ajouté que si ces pertes ne se réalisent effectivement qu'au rachat du contrat d'assurance-vie, quand bien même le support en cause aurait fait antérieurement l'objet d'un désinvestissement, le préjudice résultant d'un tel manquement doit être évalué au regard, non de la variation de la valeur de rachat de l'ensemble du contrat, mais de la moins-value constatée sur ce seul support, modulée en considération du rendement que, dûment informé, le souscripteur aurait pu obtenir, jusqu'à la date du rachat du contrat, du placement des sommes initialement investies sur ce support.

Dans l’arrêt commenté, le couple d’investisseurs invoquait un préjudice consistant en une perte en capital ainsi que des gains manqués.

C’est dans le prolongement des principes posés par les décisions précédentes que la chambre commerciale vient affirmer que le manquement d'un conseiller en gestion de patrimoine à son obligation d'informer le souscripteur d'un contrat d'assurance-vie libellé en unités de compte sur le risque de pertes présenté par un support d’investissement, ou à son obligation de le conseiller au regard d'un tel risque, prive ce souscripteur d'une chance d'éviter la réalisation de ces pertes. Celles-ci ne se réalisent qu’au rachat du contrat d’assurance-vie, quand bien même le support en cause aurait fait antérieurement l’objet d’un désinvestissement.

Elle précise les spécificités du préjudice en matière d’assurance vie en unités de compte, qui doit être évalué, lorsqu’il résulte d’un tel manquement, au regard, non de la variation de la valeur de rachat de l'ensemble du contrat, mais de la moins-value constatée sur ce seul support, modulée en considération du rendement que, dûment informé ou conseillé, le souscripteur aurait pu obtenir du placement des sommes initialement investies sur ce support jusqu'à la date du rachat du contrat.

Il en résulte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date de l'investissement, mais à celle du rachat du contrat d'assurance-vie.

L’arrêt, fixant le point de départ du délai de prescription au jour du premier investissement réalisé en unité de compte et jugeant que l’action des investisseurs était prescrite, est logiquement censuré.

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