N°10 - Juillet 2023 (Autorité administrative indépendante)

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Une sélection commentée des arrêts rendus par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation (Autorité administrative indépendante / Banque / Cautionnement / Concurrence / Impôts et taxes / Procédures collectives / Sociétés civiles et commerciales).

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Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

N°10 - Juillet 2023 (Autorité administrative indépendante)

Entente illicite – Dommage – Réparation – Modalités - Détermination

Com., 7 juin 2023, pourvois n° 22-10.545, 22-11.099, 22-11.100

Ainsi qu’elle l’avait annoncé dans sa lettre n° 9 de mars 2023, commentant son arrêt Com., 1er mars 2023, pourvois n°20-20.416 et 20-18.356, la chambre commerciale répond à de nouvelles questions posées par les actions en réparation des préjudices causés par les pratiques anticoncurrentielles dans le cadre du régime général de la responsabilité civile, avant l’application des règles issues de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des Etats membres de l’Union européenne, qui figurent au titre huitième du livre IV du code de commerce.

Dans l’affaire commentée, relative l’indemnisation du préjudice causé par des pratiques contraires aux articles 101§1 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et L.420-1 du code de commerce,  elle a jugé que la société mère détenant 99,9% du capital de l’une de ses filiales, auteure de pratiques anticoncurrentielles, doit répondre de la faute civile résultant des agissements de cette filiale, dès lors qu’elle n’a pas soutenu que cette dernière avait un comportement autonome sur le marché. Sont ainsi assimilés le régime de l’imputation d’une pratique anticoncurrentielle à la société mère, commise par une filiale dont elle détient la totalité ou la qualité du capital, tel qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et de la chambre commerciale pour les droits européen et interne de la concurrence, et celui de la réparation des préjudices causés par ces pratiques, dont la chambre juge qu’elles constituent nécessairement une faute civile depuis un arrêt Com.,13 septembre 2017, pourvois n°16-10.327-15-22.320. L’entreprise, au sens du droit de la concurrence, constituée de la mère et de sa filiale, à laquelle sont imputées les pratiques fautives, doit ainsi répondre civilement du dommage qu’elles ont causé. Telle est la solution retenue par la Cour de justice (CJUE, 14 mars 2019, C-724/17 Vantann kaupunki c/Skranska Industrial Solutions Oy et autres), qui a énoncé que « les entités tenues de réparer le préjudice causé par une entente ou une pratique interdite par l’article 101 TFUE sont les entreprises, au sens de cette disposition, qui ont participé   cette entente ou   cette pratique » (§32), et qui figure pour l’avenir à l’article L. 481-1 du code de commerce.

La chambre a ensuite validé l’analyse suivie par la cour d’appel s’agissant de la caractérisation du préjudice dit d’ombrelle (umbrella pricing) dont la Cour de justice a posé le principe du droit à réparation (CJUE, 5 juin 2014, aff.C-557/12, Kone AG et autres c/ÖBB-Infrastruckur AG). Ce préjudice résulte du surprix pratiqué par des entreprises étrangères à l’entente sur les produits appartenant au m me marché que ceux affectés par l’entente, en considération des prix résultant du marché faussé par celle-ci, et auprès desquelles les victimes peuvent s’être approvisionnées. La démonstration de l’existence de ce préjudice était, dans cette affaire, contestée s’agissant du rôle causal de l’entente sur les prix des produits non concernés par l’entente. Ce grief a été écarté, la cour d’appel ayant effectué la recherche nécessaire à l’établissement de ce lien de causalité, contrôlé par la chambre.

La chambre a également jugé que la victime d'une pratique anticoncurrentielle, dont le dommage est constitué par un surcoût affectant les produits qu'elle achète et revend, n'est pas tenue de minimiser son dommage en répercutant tout ou partie de ce surcoût. La décision de la victime de répercuter, en partie seulement, le surcoût qu'elle a subi ne rompt donc pas le lien de causalité entre le préjudice et la faute. Cette règle, traditionnellement appliquée en matière de responsabilité civile, présente un enjeu particulier dans le domaine de la réparation des préjudices causés par des pratiques anticoncurrentielles affectant, par exemple, les produits de grande consommation, au stade de leur production. La chambre laisse en revanche au pouvoir souverain des juges du fond le soin de déterminer, aux fins d’évaluation du dommage, le taux de répercussion, par les victimes, du surcoût subi, sur d’autres acteurs.

La chambre a également été amenée à compléter les règles relatives à l’indemnisation du préjudice spécifique né de la privation des sommes dont les victimes auraient pu faire usage si elles n’avaient pas été affectées par les pratiques, dont certaines ont été fixées par l’arrêt du 1er mars 2023 précité. Elle a censuré, pour méconnaissance du principe de la réparation intégrale, l’arrêt qui, après avoir estimé qu’en raison des sommes perdues, les victimes avaient dû supporter des coûts d’emprunt à des taux évoluant chaque année, avait fixé le taux d’intérêt sur les dommages et intérêts, par lequel s’exprime l’indemnisation de ce préjudice, à la moyenne des taux observés pendant la durée de l’indisponibilité, alors que le respect de ce principe impliquait, au cas particulier, la fixation d’un taux d’intérêt égal à celui, à le supposer distinct du taux légal, supporté par les sociétés victimes de l’entente pour chaque année d’indisponibilité des sommes dont elles avaient été privées.

Enfin, la chambre a rappelé, sous l’empire du droit général de la responsabilité civile, d’une part, même si le grief était devenu sans objet du fait du paiement des sommes concernées, qu'il appartenait à la cour d'appel de condamner l'ensemble des coauteurs d'un même dommage in solidum, et, d’autre part, le principe de contribution à la dette de réparation du dommage causé par plusieurs auteurs, en proportion de la gravité des fautes respectives de ces derniers. Elle a cassé l’arrêt qui s’était déterminé, pour fixer cette contribution, au regard du montant des sanctions pécuniaires infligées aux entreprises en cause, cependant que les critères de détermination de ces sanctions, prononcées sur le fondement de l’article L.462-8, alinéa 2 du code de commerce, dans sa version applicable au litige, ne se fondent pas sur la seule gravité du comportement des auteurs de pratiques anticoncurrentielles. A l’avenir, c’est en application des termes de l’article L. 481-9 du code de commerce, prenant également en considération le rôle causal du comportement des entreprises dans la réalisation du dommage, que cette contribution devra être déterminée.

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