N°4 - Avril / juin 2021 (Propriété industrielle)

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

N°4 - Avril / juin 2021 (Propriété industrielle)

Marque de fabrique - Dépôt - Examen de la demande - Décision - Recours - Recevabilité - Conditions - Détermination

Com., 12 mai 2021, pourvoi n° 18-15.153

L’article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle, pris dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-1316 du 9 décembre 2019, est désormais interprété en ce sens que l’irrecevabilité du recours formé contre les décisions du directeur de l’Institut national de la propriété industrielle résultant de l’omission, dans la déclaration de recours, d’une des mentions requises, sera écartée si, avant que le juge statue, la partie requérante communique les indications manquantes.

 

Commentaire :

Par cet arrêt, rendu au visa de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la chambre commerciale est revenue sur l’interprétation qu’elle donnait de l’article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle, pris dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-1316 du 9 décembre 2019, qui prévoit qu’à peine d’irrecevabilité prononcée d’office, la déclaration de recours contre une décision rendue par le directeur de l’Institut national de la propriété industrielle comporte, lorsque le requérant est une personne morale, les précisions de sa forme, sa dénomination, son siège social et de l’organe qui la représente légalement.

Il était jugé de façon constante que les dispositions de l'article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle étaient spécifiques, qu'elles excluaient l’application de l’article 126 du code de procédure civile et qu’il ne pouvait donc être procédé à la régularisation ultérieure d’un défaut de mention (Com., 7 janvier 2004, pourvoi n° 02-14.115 ; Com., 17 juin 2003, pourvoi n° 01-15.747, Bull., n° 102).

Considérant que l'article R. 411-21 du code de la propriété intellectuelle, tel qu’il était interprété, n’assurait pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, et portait une atteinte excessive au droit d’accès au juge, la chambre commerciale a estimé nécessaire d’abandonner sa jurisprudence et d’interpréter désormais cet article en ce sens que ses dispositions ne sont pas exclusives de l’application de l’article 126 du code de procédure civile et que, dès lors, l’irrecevabilité du recours formé contre les décisions du directeur de l’Institut national de la propriété industrielle résultant de l’omission, dans la déclaration de recours, d’une des mentions requises, sera écartée si, avant que le juge statue, la partie requérante communique les indications manquantes.

Il convient d’ajouter que les dispositions en cause ne sont plus en vigueur depuis le 1er avril 2020.

Appelation d'origine - Protection - Règlement (CE) n° 510/2006 du Conseil du 20 mars 2006 - Article 13, § 1 - Dénominations enregistrées - Protection - Etendue - Détermination

Com, 14 avril 2021, pourvoi n°17-25.822

La reproduction de la forme ou de l’apparence caractérisant un produit dont la dénomination est protégée par une appellation d’origine protégée (AOP) est-elle susceptible de constituer une atteinte à cette appellation, nonobstant l’absence de reprise de cette dénomination ?

 

Commentaire :

La Chambre commerciale n'avait jamais eu l'occasion de se prononcer sur l’étendue de la protection conférée par une appellation d’origine protégée. Celle-ci interdit-elle uniquement l’utilisation par un tiers de la dénomination enregistrée du produit ou interdit-elle également la reproduction de la forme ou de l’apparence caractérisant un produit couvert par une dénomination enregistrée lorsque cette reproduction est susceptible d’induire en erreur le consommateur quant à la véritable origine du produit ?

En l’espèce, l’organisme de défense et de gestion de l’appellation « Morbier » reprochait à un producteur de fromage qui fabriquait en Auvergne, depuis 1979, un fromage sous le nom « Morbier », avant d’abandonner en 2007 cette dénomination, de porter atteinte à l’appellation protégée en fabriquant et commercialisant un fromage reprenant l’apparence visuelle du produit protégé par l’AOP « Morbier » afin de créer la confusion avec celui-ci et de profiter de la notoriété de l’image associée au « Morbier » sans avoir à se plier au cahier des charges de l’appellation d’origine. Le « Morbier » est un fromage du Jura décrit comme un fromage au lait de vache, à pâte pressée non cuite, présentant, entre autres caractéristiques, « une raie noire centrale horizontale, bien soudée et continue sur toute la tranche », qui bénéficie d’une appellation d’origine contrôlée (AOC), depuis un décret du 22 décembre 2000, ainsi que d’une AOP depuis l’enregistrement de la dénomination en 2002.

La Chambre commerciale ayant estimé que le pourvoi du syndicat posait la question, inédite devant elle, de savoir si, en substance, un producteur de fromage qui fabrique et commercialise un fromage qui reprend des caractéristiques du fromage de Morbier, dont la dénomination est protégée par une appellation d’origine protégée, se livre à une pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit, prohibée par les articles 13, paragraphe 1, du règlement (CE) n°510/2006 du Conseil du 20 mars 2006 et du règlement (UE) n°1152/2012 du Parlement européen et du conseil du 21 novembre 2012, quand bien même il ne fait pas usage de la dénomination Morbier pour son produit, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) avait été saisie d’une question préjudicielle.

Cette dernière a dit pour droit, par un arrêt du 17 décembre 2020, Syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier (C-490/19), que les dispositions des textes précités doivent être interprétées en ce sens qu’ils n’interdisent pas uniquement l’utilisation par un tiers de la dénomination enregistrée et qu’ils interdisent la reproduction de la forme ou de l’apparence caractérisant un produit couvert par une dénomination enregistrée lorsque cette reproduction est susceptible d’amener le consommateur à croire que le produit en cause est couvert par cette dénomination enregistrée et qu’il y a lieu d’apprécier si la dite reproduction peut induire le consommateur européen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, en erreur, en tenant compte de tous les facteurs pertinents en l’espèce.

Tirant les conséquences de cette décision, la Chambre commerciale censure la cour d’appel qui, après avoir énoncé que la réglementation sur les AOP ne visait pas à protéger l’apparence d’un produit ou ses caractéristiques décrites dans le cahier des charges, mais sa dénomination, et qu’en l’absence de droit privatif, la reprise de l’apparence d’un produit n’était pas fautive mais relevait de la liberté du commerce et de la libre concurrence, a rejeté les demandes de l’organisme au motif que les fromages en cause ne pouvaient être assimilés, sans vérifier si le trait bleu horizontal ne constituait pas une caractéristique de référence et particulièrement distinctive du fromage « Morbier », et, dans l’affirmative, si sa reproduction, combinée avec tous les facteurs pertinents de l’espèce, n’était pas susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit litigieux.

La présente décision affirme ainsi pour la première fois que la protection conférée à la dénomination enregistrée comme appellation d’origine protégée bénéficie également aux éléments, décrits dans le cahier des charges, relevant de l’apparence du produit, caractéristiques et particulièrement distinctifs de celui-ci, lorsque leur reproduction est susceptible d’induire en erreur le consommateur quant à la véritable origine du produit.

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