N°2 - Janvier 2021 (Transport maritime)

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

N°2 - Janvier 2021 (Transport maritime)

Transport - Créances maritimes privilégiées

Com., 9 décembre 2020, pourvoi n° 18-22.477

Sommaire n°1 :

Selon l’article L. 5114-8 du code des transports, sont notamment privilégiés sur le navire, outre les droits de tonnage ou de port et les autres taxes et impôts publics de mêmes espèces, les frais de pilotage, les frais de garde et de conservation depuis l'entrée du navire dans le dernier port (article L. 5114-8, 2°) ainsi que les créances nées des contrats des gens de mer et de toutes personnes employées à bord (article L. 5114-8, 3°).

Sont également privilégiées sur le navire les créances provenant des contrats passés ou d'opérations effectuées par le capitaine hors du port d'attache, pour les besoins réels de la conservation du navire ou de la continuation du voyage, dès lors que le capitaine a conclu ces engagements en vertu de ses pouvoirs légaux (article L. 5114-8, 6°).

Prive donc sa décision de base légale la cour d’appel qui :

- ne précise pas dans quelles conditions les autorités portuaires et les membres de l’équipage auraient pu transmettre à deux sociétés, revendiquant chacune une créance maritime sur le navire, leur privilège au titre du 2° et du 3° de l’article L. 5114-8 du code des transports,

- n’explique pas en quoi les autres créances retenues pourraient être privilégiées sur le fondement du 6° du même texte, dès lors qu’il ressortait de l’arrêt, ayant relevé que le capitaine s’était borné à demander aux deux sociétés d’effectuer certaines dépenses en vertu du mandat judiciaire qui leur avait été confié par une juridiction étrangère, que le capitaine n’avait pas passé lui-même les contrats en vertu de ses pouvoirs légaux.

Transport maritime - Contrat d’affrètement - Affrètement coque nue

Com., 9 décembre 2020, pourvoi n° 18-22.477

Sommaire n °2 :

En droit maritime, le contrat d’affrètement est le contrat par lequel le fréteur s'engage, moyennant rémunération, à mettre un navire à la disposition d'un affréteur pour le transport de marchandises ou de personnes.

En particulier, dans le cas de l’affrètement coque-nue, le fréteur met à disposition de l'affréteur, pour la période fixée, un navire sans armement, ni équipement, ni équipage, ni approvisionnement, assurances ou autres fournitures (ou avec équipement et armement incomplets). L’affréteur dispose alors de la totalité de la gestion nautique et commerciale.

Et, dans le cas d’un affrètement au voyage entre des ports déterminés, celui qui met le navire, équipé, à disposition de l’affréteur en conserve la gestion nautique et commerciale.

Enfin, en application de l’article 1372 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 la gestion d'affaires implique l'intention du gérant d'agir pour le compte et dans l'intérêt du maître de l'affaire.

Dès lors, viole ce texte la cour d’appel qui, pour condamner une société s’étant dessaisie d’un navire, par un contrat d’affrètement coque nue, au bénéfice d’une autre société l’ayant elle-même mis à disposition d’un tiers selon un affrètement au voyage, retient qu’une décision judiciaire étrangère a autorisé l’affréteur au voyage à se substituer à son cocontractant, le fréteur au voyage, pour fournir le navire en soutes, procéder aux travaux nécessaires de maintenance et régler les frais de port, puis relève en premier lieu, que cet affréteur au voyage invoque une gestion d’affaires à la suite de l’abandon du navire par ce fréteur, en second lieu, que les dépenses exposées pour préserver le navire, fournitures de soutes, avitaillement, paiement des salaires des marins et des réparations, incombent au propriétaire du navire qui était défaillant, alors que le fréteur qui remet le navire à un affréteur en exécution d’une charte-partie coque nue se dessaisit de la gestion nautique et commerciale du navire, ce dont il résulte que la gestion d’affaires, supposée permettre, selon l’arrêt, le paiement de frais engagés pour la seule poursuite du voyage d’un port à un autre port pour achever le transport de la cargaison, ne peut avoir été faite pour le compte du fréteur coque-nue.

Commentaire

L'exploitation des navires de commerce et leur financement présentant systématiquement une internationalité économique et des éléments d'extranéité, la détermination de la loi applicable aux privilèges mobiliers spéciaux pose souvent des questions difficiles de droit international privé.

Le pourvoi principal posait la question de l’articulation des textes invoqués par ses trois moyens (droit communautaire, règles de droit commun relatives à la gestion d’affaires et texte spécial du code des transports) dans un litige concernant un navire battant pavillon du Libéria, des sociétés ayant leur siège soit au Liberia (le fréteur coque nue), soit en Chine (l’affréteur charte partie coque nue et par ailleurs fréteur au voyage), soit en Grèce (sociétés affréteurs au voyage et revendiquant un privilège maritime), portant sur un voyage du navire du Nigeria vers la France, et ayant donné lieu à une décision d’une autorité judiciaire ghanéenne puis à la saisie du navire dans un port français.

Le navire ayant été vendu aux enchères, le propriétaire-armateur-fréteur coque nue contestait l’existence de créances privilégiées revendiquées sur ce navire par la société qui disposait du navire pour ce voyage.

La chambre commerciale a déjà dit que la réalisation d'un privilège maritime impose de vérifier son existence à la fois selon la loi qui gouverne la créance garantie et selon la loi de l'État où sa réalisation est demandée par une saisie-exécution [Com. 20 mai 1997, n° 95-16.192 et n° 95-20.943, Navire Nobility, DMF 1997. 191, rapp. Rémery et note Rémond-Gouilloud, sur renvoi, Rouen, 14 mars 2000, DMF 2000. 1006, note Tassel ] : la lex fori se combine donc avec la loi de la créance (lex causae).

Le présent arrêt illustre la première étape qui consiste, avant même de déterminer la loi régissant les créances alléguées, à rechercher si celles-ci correspondent aux cas prévus par l’article L. 5114-8 du code français des transports.

L’arrêt de la cour d’appel est censuré, en premier lieu, pour ne pas expliquer pourquoi certaines des créances alléguées relevaient des 2° et 3° de ce texte, lesquels mentionnent les droits de tonnage ou de port et les autres taxes et impôts publics de mêmes espèces, les frais de pilotage, les frais de garde et de conservation depuis l'entrée du navire dans le dernier port, les créances nées du contrat des gens de mer et de toutes personnes employées à bord.

Et il est censuré, en deuxième lieu, parce que dans cette espèce il était aussi fait état de dépenses réalisées par la société requérante elle-même, sur la demande du capitaine, alors que le 6° du même texte se rapporte aux créances provenant des contrats passés ou des opérations effectuées par le capitaine, lui-même et en vertu de ses pouvoirs légaux.

Enfin, le présent arrêt a aussi le mérite de dire que l’affréteur au voyage qui se prévaut de dépenses engagées pour permettre la seule poursuite du voyage d’un port à un autre port et achever le transport de la cargaison ne peut revendiquer un privilège maritime au titre d’une gestion d’affaires assurée prétendument pour le compte et dans l’intérêt du fréteur dès lors que celui-ci, ayant remis le navire à un affréteur selon une charte partie coque nue, était en conséquence dessaisi de la totalité de la gestion nautique et commerciale.

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