N°2 - Janvier 2021 (Propriété industrielle)

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

N°2 - Janvier 2021 (Propriété industrielle)

Marque – Déchéance - Date d’effet - Droit à l’indemnisation du titulaire déchu – Contrefaçon - Actes antérieurs à la date de déchéance

Com., 4 novembre 2020, pourvoi n°16-28.281

Sommaire :

Par un arrêt du 26 mars 2020 (Cooper International Spirits e. a., C-622/18), la CJUE a dit pour droit que l'article 5, paragraphe 1, sous b), l'article 10, paragraphe 1, premier alinéa, et l'article 12, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques, lus conjointement avec le considérant 6 de celle-ci, doivent être interprétés en ce sens qu'ils laissent aux États membres la faculté de permettre que le titulaire d'une marque déchu de ses droits à l'expiration du délai de cinq ans à compter de son enregistrement pour ne pas avoir fait de cette marque un usage sérieux dans l'État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle avait été enregistrée conserve le droit de réclamer l'indemnisation du préjudice subi en raison de l'usage, par un tiers, antérieurement à la date d'effet de la déchéance, d'un signe similaire pour des produits ou des services identiques ou similaires prêtant à confusion avec sa marque, précisant, à cet égard, qu'il convient d'apprécier, au cours de la période de cinq ans suivant l'enregistrement de la marque, l'étendue du droit exclusif conféré au titulaire, en se référant aux éléments résultant de l'enregistrement de la marque et non pas par rapport à l'usage que le titulaire a pu faire de cette marque pendant cette période.

Par conséquent, la déchéance d'une marque, prononcée en application de l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, tels qu'interprété à la lumière des articles 5, paragraphe 1, sous b), 10 et 12 de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008, ne produisant effet qu'à l'expiration d'une période ininterrompue de cinq ans sans usage sérieux, son titulaire est en droit de se prévaloir de l'atteinte portée à ses droits sur la marque qu'ont pu lui causer les actes de contrefaçon intervenus avant sa déchéance.

 

Commentaire :

Par cet arrêt, rendu en application des textes, pris dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, la chambre commerciale a été amenée à se prononcer, pour la première fois, sur le point de savoir si le titulaire d’une marque, qui n’a jamais exploité cette marque et a été déchu de ses droits sur celle-ci, pour défaut d’usage sérieux à l’expiration du délai de cinq ans suivant la publication de son enregistrement, peut agir en contrefaçon et demander l’indemnisation de son préjudice, en invoquant une atteinte portée aux fonctions de sa marque, causée par l’utilisation par un tiers, antérieurement à la date d’effet de la déchéance, d’un signe identique ou similaire à ladite marque pour désigner des produits ou services identiques ou similaires à ceux pour lesquels cette marque a été enregistrée.

S’agissant, en l’espèce, d’apprécier la contrefaçon par imitation de la marque invoquée, seule était à rechercher l’atteinte qui aurait été portée, en raison d’un risque de confusion, à la fonction essentielle de la marque, qui est de garantir aux consommateurs la provenance, l’origine du produit ou du service.

Aux termes de l’article L. 713-1 du code de la propriété intellectuelle, l’enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur celle-ci pour les produits et services qu’il a désignés et, en application de l’article L. 716-1 de ce code, l’atteinte portée à ce droit constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur.

Cependant, l’article L. 714-5 du même code, qui constitue la transposition, en droit français, des articles 10 et 12 de la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 codifiée par la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, sanctionne par la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans. Selon ces directives, cette déchéance a pour objectif de réduire le nombre total de marques enregistrées et protégées sur un territoire et, partant, le nombre de conflits qui surgissent entre elles.

La chambre commerciale a posé une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne qui y a répondu par l’arrêt précité du 26 mars 2020 (Cooper International Spirits e. a., C-622/18).

Ainsi, dans la mesure où, en droit français, la déchéance pour non-usage de la marque ne prend effet qu’à l’expiration du délai de cinq ans qui suit la publication de l’enregistrement, le propriétaire est fondé à se plaindre des atteintes portées, durant ce délai, à son droit exclusif, quand bien même il n’a jamais exploité sa marque.

La Cour de justice a précisé qu’afin de déterminer, lorsqu’il n’y a pas eu exploitation de la marque, si l’atteinte est caractérisée, il convient d’apprécier, au cours de la période de cinq ans suivant l’enregistrement de la marque, l’étendue du droit exclusif conféré « en ayant égard aux produits et aux services, tels que visés par l’enregistrement de la marque, et non pas par rapport à l’usage que le titulaire a pu faire de cette marque pendant cette période ».

Par conséquent, en l’absence de toute exploitation de la marque invoquée, il appartient aux juges du fond de procéder à la comparaison entre les mentions figurant sur son certificat d’enregistrement et les actes argués de contrefaçon.

Dans la présente affaire, après avoir relevé que le propriétaire n’avait justifié d’aucune exploitation de la marque depuis son dépôt, la cour d’appel en a déduit que, faute pour ladite marque d’avoir été mise en contact avec le consommateur, son titulaire ne pouvait arguer ni d’une atteinte à sa fonction de garantie d’origine, ni d’une atteinte portée au monopole d’exploitation conférée par ladite marque, ni encore d’une atteinte à sa fonction d’investissement. L’arrêt attaqué ayant méconnu les effets attachés au droit de propriété exclusif conféré à son titulaire, jusqu’à la déchéance, du seul fait de l’enregistrement de la marque, a donc été censuré.

Enfin, il convient d’indiquer que la Cour de justice a, quant à la fixation des dommages et intérêts, ajouté que « si l’absence d’usage d’une marque ne fait pas obstacle, par elle-même, à une indemnisation liée à la commission de faits de contrefaçon, cette circonstance n’en demeure pas moins un élément important à prendre en compte pour déterminer l’existence et, le cas échéant, l’étendue du préjudice subi par le titulaire et, partant, le montant des dommages et intérêts que celui-ci peut éventuellement réclamer ».

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