N°2 - Janvier 2021 (Fiscalité)

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

N°2 - Janvier 2021 (Fiscalité)

Droit d’enregistrement - Sociétés à prépondérance immobilière - Immeubles par destination

Com., 2 décembre 2020, n° 18-25.559

Sommaire :

Selon l’article 726, I, 2°, du code général des impôts, (dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2009), est à prépondérance immobilière la personne morale, quelle que soit sa nationalité, dont les droits sociaux ne sont pas négociés sur un marché réglementé d’instruments financiers et dont l’actif est principalement constitué d’immeubles ou de droits immobiliers situés en France.

Ce texte ne mentionnant que les immeubles et droits réels immobiliers, sans viser les immeubles par destination, c’est à bon droit qu'une cour d’appel retient que ces derniers ne peuvent être pris en compte pour déterminer si, au sens de l’article 726, I, 2°, susvisé, une personne morale est à prépondérance immobilière.

 

Commentaire :

Des immeubles par destination sont-ils des biens immobiliers au sens du droit fiscal ?

Cette question, sur laquelle la chambre commerciale a déjà eu à se prononcer dans le passé à propos des droits d’enregistrement applicables aux ventes d’immeubles (Com., 18 fév. 1997, n° 95-12.702) et d’immeubles ruraux (Com., 12 nov. 1996, n° 95-11.080), lui était à nouveau posée, et pour la première fois, à propos du régime des sociétés à prépondérance immobilière visées à l’article 726, I, 2°, du code général des impôts.

Rappelons que ce régime, issu de la loi de finance pour 1999, avait pour objectif d’atténuer les différences de taxation pesant sur la cession d’un immeuble, selon que celui-ci est cédé directement ou par le jeu de la cession des parts ou actions d’une société qui le détient, et selon l’usage qui lui est donné. Jusqu’en 1999, en effet, le taux de droit d’enregistrement se situait entre 1 % (cession au travers d’une cession d’action) et 18,585 % (cession en direct d’un immeuble à usage commercial, industriel ou professionnel).

Désormais, les sociétés détenant des immeubles dont la valeur excède, au jour de la cession, la moitié de l’actif brut, sont soumises, en cas de cession de leurs parts ou actions, à des droits d’enregistrement calculés au taux de 5 %, tandis qu’il est de 1 % pour les sociétés ne relevant pas de ce régime dérogatoire.

Or, l’article 726, I, 2°, qui pose la règle, vise les sociétés « dont l’actif est, ou a été au cours de l’année précédant la cession des participations en cause, principalement constitué d’immeubles ou de droits immobiliers situés en France », sans mentionner les immeubles par destination, à la différence des autres dispositions du code général des impôts sur lesquelles la chambre commerciale avait déjà eu à se prononcer (Com., 12 nov. 1996, n° 95-11.080 ; Com., 18 fév. 1997, n° 95-12.702).

Dans la présente affaire, l’administration soutenait que les équipements mobiliers attachés à l’exploitation du fonds, immeubles par destination au sens de l’article 524 du code civil (il s’agissait de machines et turbines d’une centrale hydroélectrique), devaient être pris en compte pour apprécier si la société relevait du régime des sociétés à prépondérance immobilière.

Constatant que l’article 726, I, 2°, du code général des impôts ne mentionne que les immeubles et droits réels immobiliers, sans viser les immeubles par destination, la chambre commerciale approuve la cour d’appel d’avoir exclu ces derniers du champ d’application du texte.

Cette solution consacre l’autonomie de la notion de bien immobilier en matière fiscale, autonomie déjà affirmée par le Conseil d’Etat (CE 27 mai 2002 n° 125959, Rec Lebon P. 184).

Contribution exceptionnelle sur la fortune - Art.1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales - Application rétroactive de la loi fiscale - Mesure rétrospective...

Com., 2 décembre 2020, n°18-24.055 publié

Com., 2 décembre 2020, n°18-26.479 publié

Com., 2 décembre 2020, n°18-26.480 publié

 

Sommaires :

Com., 2 décembre 2020, n°18-24.055

L'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'interdit pas, en tant que telle, l'application rétroactive d'une loi fiscale.

La loi n° 2012-958 du 16 août 2012, qui instaure la contribution exceptionnelle sur la fortune (CEF), est intervenue au cours de l'exercice au titre duquel cet impôt est dû. Si une telle mesure est, au sens de la Convention, rétroactive en ce que la CEF due au titre de l'année 2012 est établie en fonction de la valeur des biens et droits détenus au 1er janvier 2012, ce qui s'analyse, en droit interne, comme une mesure rétrospective dès lors que le fait générateur de l'imposition est la situation du contribuable à la date de l'entrée en vigueur de la loi de finances rectificative, elle ne présente toutefois aucun caractère exceptionnel du point de vue du droit fiscal.

En outre, l'acquittement de l'impôt de solidarité sur la fortune dû au titre de l'année 2012, par des contribuables auxquels l'allégement, issu de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011, de cet impôt, a été accordé sans contrepartie, n'a pu faire naître aucune attente légitime quant au fait qu'aucun supplément d'imposition sur le patrimoine ne serait décidé par le législateur pour cette même année.

Par conséquent, la loi instaurant la CEF n'a pas méconnu les dispositions de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

 

Com. 2 décembre, n°18-26.479

Le seul fait que le montant de la contribution exceptionnelle sur la fortune dépasse le montant des revenus du contribuable pour l'année considérée ne suffit pas à établir le caractère confiscatoire de cet impôt.

 

Com. 2 décembre 2020, n°18-26.480

Le caractère confiscatoire de la contribution exceptionnelle sur la fortune, qui s’acquitte pour partie par imputation de l'impôt de solidarité sur la fortune dû au titre de l’année 2012, s'apprécie en prenant en compte le montant de cette seule contribution et non pas celui d'autres impôts.

 

Commentaire :

La loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 a supprimé le plafonnement des impôts directs en fonction des revenus (le « bouclier fiscal ») tout en diminuant les taux du barème de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). La loi n° 2012-958 du 16 août 2012 a instauré la contribution exceptionnelle sur la fortune (CEF) au titre de l'année 2012, calculée sur la base d'un barème progressif inspiré de celui appliqué pour le calcul de l'ISF dû au titre de 2011, l'ISF dû au titre de 2012, avant imputation des réductions d'impôt, étant toutefois imputable sur le montant de la CEF.

Plusieurs contribuables qui se sont acquittés, au titre de l'année 2012, de la CEF ont contesté sa validité au regard de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en raison de son caractère rétroactif et de l'absence de dispositif de plafonnement.

La première question soulevée était la suivante : la CEF a-t-elle un caractère rétroactif contraire à l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ?

Par l'arrêt Com. 2 décembre 2020, n°18-24.055, la chambre commerciale répond négativement à cette question. Tout d'abord, elle rappelle que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) juge que ce texte n'interdit pas, en tant que telle, l'application rétroactive d'une loi fiscale (CEDH, 16 mars 2010, n° 72638/01, Di Belmonte/ République italienne; CEDH 15 janvier 2015, n° 36918/11 et 36967/11 jointes, Arnaud/ France). Ensuite, elle analyse la rétroactivité de la mesure litigieuse au sens de la Convention : certes, la loi n° 2012-958 du 16 août 2012, intervenue au cours de l'exercice au titre duquel cet impôt est dû, est rétroactive en que la CEF due au titre de l'année 2012 est établie en fonction de la valeur des biens et droits détenus au 1er janvier 2012, mais cette rétroactivité n'a rien d'exceptionnel du point de vue du droit fiscal, comme l'a jugé la CEDH à propos de l'ISF (CEDH 15 janvier 2015, n° 36918/11 et 36967/11 jointes, Arnaud/ France). La chambre commerciale fait le lien entre cette notion de rétroactivité au sens de la CEDH et les concepts utilisés en droit interne (« rétrospectivité » ou « petite rétroactivité»), et en particulier par le Conseil constitutionnel, qui a jugé que la CEF ne revêtait pas de caractère rétroactif, de sorte qu'elle n'était pas contraire à la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789 (décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012) : la CEF est une mesure rétrospective dès lors que le fait générateur de l'imposition est la situation du contribuable à la date de l'entrée en vigueur de la loi de finances rectificative. Enfin, le pourvoi soutenait que les contribuables, qui avaient acquitté l'ISF pour l'année 2012, pouvaient légitimement s'estimer libérés, pour cette année, de toute imposition sur la détention de leur patrimoine. Ce grief est également écarté : l'acquittement de l'ISF n'a pu faire naître aucune attente légitime quant au fait qu'aucun supplément d'imposition sur le patrimoine ne serait décidé par le législateur pour cette même année et la chambre commerciale souligne que les contribuables n'avaient consenti aucune contrepartie à l'allégement fiscal issu de la loi du 29 juillet 2011. La situation des contribuables était donc différente de celle dans lesquelles le Conseil d'Etat a récemment écarté une loi fiscale rétrospective, sur le fondement de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention (CE, plén. fisc., 9 mai 2012, n° 308996, min. c/ Sté EPI ; CE, plén. fisc., 25 octobre 2017, n° 403320, Min. c. Vivendi Universal).

Les pourvois posaient une seconde question : quels critères permettent de déterminer si la CEF est confiscatoire au sens de la Convention ?

L'arrêt Com. 2 décembre, n°18-26.479 juge tout d'abord que le seul fait que le montant de la contribution exceptionnelle sur la fortune dépasse le montant des revenus du contribuable pour l'année considérée ne suffit pas à établir le caractère confiscatoire de cet impôt. Cet arrêt énonce explicitement un principe qui était déjà au fondement de plusieurs décisions, rendues en matière de CEF (Com., 27 juin 2019, pourvoi n° 18-13.370) et d'ISF (Com., 7 octobre 2008, pourvoi n° 07-13.600 ; Com., 23 juin 2009, pourvoi n° 08-15.494 ; Com., 23 juin 2009, pourvoi n° 08-17.681). En effet, pour démontrer qu'un impôt est confiscatoire, il ne suffit pas de prouver que le montant de l'impôt dépasse celui des revenus : les juges prennent en considération le montant de l'impôt au regard de la consistance du patrimoine et de son évolution, et non pas seulement le montant des revenus, dans la mesure où les revenus du patrimoine peuvent dépendre de choix de gestion des contribuables.

Enfin, l'arrêt Com. 2 décembre 2020, n°18-26.480 précise que le caractère confiscatoire de la CEF s'apprécie en prenant en compte le montant de cette seule contribution et non pas celui d'autres impôts directs : seul compte le montant de la CEF, qui s’acquitte pour partie par imputation de l'ISF dû au titre de l’année 2012. Le montant d'autres impôts directs, tels que l'impôt sur les revenus, est sans incidence sur le caractère confiscatoire de la CEF : ces impôts, qui n'ont pas la même assiette, sont indépendants. Cette décision est cohérente avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel (9 août 2012, n° 2012-654 DC, cons. 32 ; 29 déc. 2013, n° 2013-684 DC, cons. 21 ; 29 novembre 2017, n° 2017-755 DC, cons. 39).

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