N°1 - Septembre 2020 (Concurrence déloyale)

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Faute - Dénigrement - Cas - Divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par une autre personne - Exclusion - Propos s'inscrivant dans le cadre d'un débat d'intérêt général - Conditions - Gravité des allégation

Com., 4 mars 2020, pourvoi n°18-15.651

Même en l'absence d'une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure.

La base factuelle suffisante doit s'apprécier au regard de la gravité des allégations en cause.

 

Commentaire :

Cet arrêt renvoie à lappréciation du bien-fondune alerte sanitaire au regard du principe de précaution et de la liberté dexpression, laquelle comprend la libre critique des produits mais trouve sa limite dans celle du dénigrement des produits ou services.

Dans un arrêt récent, la chambre commerciale de la Cour de cassation (Com., 9 janvier 2019, pourvoi n° 17-18.350) reprenanen cela lanalyse de la première chambre civile (1ère Civ., 12 décembre 2018, pourvoi n°17-31.758, 1ère Civ., 11 juillet 2018, pourvoi n°17-21.457), qui avait modulé linterdiction pure et simple du dénigrement pour tenir compte de la liberté dexpression, a défini lacte de dénigrement ainsi

: « même en labsence de situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation par lune, dune information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par lautre constitue un acte de dénigrement, à moins que linformation en cause ne se rapporte à un sujet dintérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve quelle soit exprimée avec une certaine mesure . »

Il sensuit que trois conditions cumulatives sont exigées pour que la divulgation dune information soit considérée comme relevant de la liberté dexpression :

  1. linformation doit se rapporter un sujet dintérêt général : en lespèce, sagissant dune alerte sanitaire, ce point nétait pas discutable.
  2. linformation doit reposer sur « une base factuelle suffisante », laquelle nest définie de manière précise, ni en droit européen, ni en droit interne. Toutefois, dans deux arrêts rendus en Grande chambre, le 17 décembre 2004 (arrêt Pedersen et Baadsgaard c. Danemark et Cumpana et Mazare c. Roumanie) la Cour EDH sest référée à des exigences de précision, de fiabilité, de solidité et/ou de crédibilité. Par ailleurs, en droit interne, la notion de « base factuelle suffisante » a été retenue pour décrire une information étayée, reposant sur des éléments tangibles ou des sources sérieuses, avec en filigrane le fait que linformation ne doit pas être diffusée à la légère. Ainsi, la chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt récent, rendu en matière de diffamation ( Crim., 8 janvier 2019, pourvoi n°17- 83.470 ) a précisé que la base factuelle doit être en rapport avec la gravité des accusations portées et que lexigence de prudence et de mesure sera appréciée avec moins de rigueur lorsque les deux autres critères dintérêt général et de base factuelle suffisante sont réunis.
  3. Linformation doit être exprimée avec une certaine mesure.

Dans la présente affaire, une société, spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de plans de travail, en quartz de synthèse notamment, avait publié sur son site internet et sur les réseaux sociaux de son dirigeant les résultats de deux rapports établis, à sa demande, par un laboratoire scientifique, et lancé une alerte auprès dun magazine destiné aux consommateurs sur les dangers que présenterait lutilisation, pour ceux-ci, de tels plans de travail. Elle était assignée, en référé, pour faire cesser cette campagne, qualifiée de dénigrement, par une association regroupant des fabricants de pierre agglomérée.

La chambre commerciale, prenant en compte la gravité des allégations portées, visant la santé du consommateur lui-même, et leur large diffusion publique, les a mis en rapport avec labsence détude réalisée dans des conditions normales dutilisation du matériau par les consommateurs afin dévaluer les migrations de substances nocives contenues dans lair ou les denrées alimentaires en contact avec le matériau incriminé, pour juger que cette information, ainsi dénuée de prudence ou de mesure, ne reposait pas sur une base factuelle suffisante et que la cour dappel, qui avait, elle-même, retenu que lalerte sanitaire lane nétait pas justifiée avec la rigueur scientifique requise, navait pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en rejetant les demandes, formées en référé, pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Concurrence illicite - Parasitisme - Préjudice - Evaluation - Eléments d'appréciation – Economie injustement réalisée

Com., 12 février 2020, pourvoi n°17-31.614

Lorsque les effets préjudiciables, en termes de trouble économique, d'actes de concurrence déloyale sont particulièrement difficiles à quantifier, ce qui est le cas de ceux consistant à parasiter les efforts et les investissements, intellectuels, matériels ou promotionnels, d'un concurrent ou à s'affranchir d'une réglementation, dont le respect a nécessairement un coût, tous actes qui, en ce qu'ils permettent à l'auteur des pratiques de s'épargner une dépense en principe obligatoire, induisent pour celui-ci un avantage concurrentiel, il y a lieu d'admettre que la réparation du préjudice peut être évaluée en prenant en considération l'avantage indu que s'est octroyé l'auteur des actes de concurrence déloyale au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d'affaires respectifs des parties affectés par ces actes.

Doit donc être approuvée la cour d'appel qui, appelée à statuer sur la réparation d'un préjudice résultant d'une pratique commerciale trompeuse pour le consommateur, conférant à son auteur un avantage concurrentiel indu par rapport à ses concurrents, tient compte, pour évaluer l'indemnité à allouer à l'un de ceux-ci, de l'économie injustement réalisée par lui, qu'elle a modulée en tenant compte des volumes d'affaires respectifs des parties affectés par lesdits agissements.

 

Commentaire :

Cet arrêt répond à la question délicate, et relativement fréquente en matière de responsabilité pour concurrence déloyale, de lévaluation du préjudice de la victime lorsque celui-ci est difficile à démontrer.

Une jurisprudence constante de la chambre commerciale (depuis Com, 22 octobre 1985, pourvoi n°83- 15.096, Bull.1985., IV, 245) énonce quil sinfère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, dun acte de concurrence déloyale. Cette présomption de préjudice, qui ne dispense pas le demandeur de démontrer létendue de celui-ci, permet aux juges davoir moins dexigences probatoires à légard des préjudices qui savèrent difficiles à établir. Ceci concerne tout particulièrement les effets préjudiciables de pratiques qui consistent à parasiter les efforts et les investissements intellectuels, matériels ou promotionnels dun concurrent ou à saffranchir dune réglementation, dont le respect a nécessairement un coût pour celui qui sy conforme.

Les actes de parasitisme ou les actes illicites de concurrence déloyale, en ce quils permettent à lauteur des pratiques de sépargner une dépense en principe obligatoire, induisent un avantage concurrentiel indu, dont les effets, en termes de trouble économique, sont difficiles à quantifier avec les éléments de preuve disponibles, sauf à engager des dépenses qui seraient disproportionnées au regard des intérêts en jeu.

Aussi, en matière de parasitisme, lequel consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage dun autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis, la jurisprudence a-t-elle admis à plusieurs reprises, sous le couvert, certes, de lappréciation souveraine des juges du fond, quen ce que les agissements parasitaires procuraient au parasite des avantages concurrentiels indus qui faussaient à son profit exclusif les règles normales du marché, tels que le fait de réaliser des économies dinvestissements ou de ne pas avoir à développer des efforts intellectuels de conception ou de création, cette économie indûment réalisée par le parasite pouvait servir de base à lévaluation de lindemnité de la victime.

La solution est ici étendue, cette fois de manière explicite, aux hypothèses de concurrence déloyale illicite, cest-à-dire où lauteur des actes ne respecte pas une réglementation.

La Chambre commerciale décide, sans que cela ne remette en cause le principe de réparation intégrale du préjudice, quil y a lieu dadmettre que la réparation du préjudice subi par la victime de ces actes peut être évaluée en prenant en considération lavantage indu que sest octroyé lauteur de ces actes, au détriment de ses concurrents, consistant au cas particulier en une économie injustement réalisée, tout en précisant que cet avantage doit être modulé à proportion des volumes daffaires respectifs des parties affectés par ces actes.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.