Transparence et pratiques restrictives - Domaine d'application - Exclusion - Etablissements de crédit et sociétés de financement - Déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties - Partenaire commercial - Définition
Com., 15 janvier 2020, pourvoi n°18-10.512
L'article L. 511-4 du code monétaire et financier prévoyant seulement que les articles L. 420-1 à L. 420-4 du code de commerce sur les pratiques anticoncurrentielles s'appliquent aux établissements de crédit et aux sociétés de financement pour leurs opérations de banque et leurs opérations connexes définies à l'article L. 311-2 du même code, les dispositions du code de commerce relatives aux pratiques restrictives de concurrence ne leur sont pas applicables.
Par ailleurs, un partenaire commercial, au sens de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, est la partie avec laquelle l'autre partie s'engage, ou s'apprête à s'engager, dans une relation commerciale.
En conséquence, viole, par refus d'application, le texte susvisé, une cour d'appel qui, pour écarter cette qualification, retient que les contrats litigieux ont pour objet des opérations ponctuelles à objet et durée limités, de cinq ans, ne générant aucun courant d'affaires stable et continu et n'impliquant aucune volonté commune et réciproque d'effectuer, de concert, des actes ensemble dans des activités de production, de distribution ou de services
Commentaire :
L’un des changements remarqué résultant de l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, qui a refondu le droit des pratiques restrictives de concurrence, a porté sur la qualité des personnes contractantes.
Tandis que les anciennes dispositions relatives aux pratiques restrictives de concurrence, soit l’article L. 442-6 du code de commerce, étaient applicables aux relations nouées entre « tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers » et un « partenaire commercial », l’article L. 442-1 du même code, issu du nouveau texte, vise les relations liant « toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services » et « l’autre partie ».
Par cet arrêt, la chambre commerciale de la Cour de cassation a, à propos d’un contrat de mise à disposition de site internet, conclu sous le régime de l’ancien texte, contesté comme comportant des clauses de nature à créer un déséquilibre significatif au détriment de la société cliente, retenu la même conception, élargie, de « partie » à la relation contractuelle, visée par le nouveau texte, montrant ainsi que le changement des termes n’avait pas induit de changement sémantique.
C’était la première fois en effet qu’elle était conduite à se prononcer aussi clairement sur la notion de « le partenaire commercial », qu’elle a défini comme étant « la partie avec laquelle l’autre partie s’engage, ou s’apprête à s’engager, dans une relation commerciale », retenant, ainsi, une définition similaire à celle du nouveau texte.
Estimant que la cour d’appel avait ajouté à la loi des conditions qu’elle ne comportait pas, elle a censuré l’arrêt attaqué, qui avait retenu que la notion de « partenaire commercial » supposait une volonté commune et réciproque d’effectuer ensemble des actes dans des activités de production, de distribution ou de services, et, jugé, qu’en l’espèce, l’activité consistant pour une entreprise à créer un site internet, puis à le mettre à disposition d’une autre société, pour une durée de 4 ans, tacitement renouvelable pour 1 an, en
lui faisant signer un contrat d’abonnement et un contrat de licence d’exploitation, qui était ensuite cédé à un loueur financier, correspondait à des opérations ponctuelles à objet limité et à durée limitée de 5 ans, ne générant aucun courant d’affaires stable et continu.
La chambre commerciale a, ainsi admis, que la responsabilité du fournisseur d’un site internet pouvait être engagée sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause, et que le ministre de l’économie, pouvait, de son côté, poursuivre l’annulation des clauses contractuelles litigieuses et le paiement de l’amende civile.
Dans ce même arrêt, aussi, elle a rappelé la primauté du code monétaire et financier sur les textes relatifs aux pratiques restrictives de concurrence, en jugeant que les contrats de location financière conclus entre les entreprises clientes et une société de financement intervenant pour les opérations de banque et les opérations connexes définies à l’article L. 311-2 du code monétaire et financier, n’étaient pas soumises aux dispositions du code de commerce relatives aux pratiques restrictives de concurrence mais au seules dispositions spécifiques du code monétaire et financier, justifiant la cassation partielle prononcée.
Pratiques anticoncurrentielles - Dommage - Preuve
Com., 8 juillet 2020, pourvoi n° 19-25.065
Il résulte de l'article L. 483-1 du code de commerce, tel qu'interprété à la lumière des articles 5 et 6 de la directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014, que la juridiction saisie d'une demande de communication de pièces ayant pour objet de permettre d'établir les preuves nécessaires à l'indemnisation d'une victime du fait d'une pratique anticoncurrentielle doit, en apportant toute précision dans sa décision à cet égard, tenir compte des intérêts légitimes des parties et des tiers, quand bien même ceux-ci ne seraient pas représentés, et veiller à concilier la mise en œuvre effective du droit à réparation, en considération, d'abord, de l'utilité des éléments de preuve dont la communication ou la production est demandée, ensuite de la protection du caractère confidentiel de ces éléments de preuve, enfin de la préservation de l'efficacité de l'application du droit de la concurrence par les autorités compétentes.
Commentaire :
Par cet arrêt, portant sur l’étendue de l’examen auquel doit procéder le juge des référés lorsqu’il est saisi d’une demande de production de pièces dans l’objectif de fonder une action en réparation des dommages causés par une pratique anticoncurrentielle, la chambre commerciale s’est, pour la première fois, prononcée sur l’application des dispositions relatives aux communications de pièces, créées par l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles, transposant la directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014 sur ces mêmes actions.
Par cette directive, le législateur européen a mis en place des mécanismes permettant d’assurer un équilibre entre le droit à la preuve des victimes de pratiques anticoncurrentielles afin de pouvoir obtenir réparation de leur préjudice, le droit à la protection des secrets d’affaires des auteurs de ces pratiques et, enfin, l’efficacité des procédures de clémence par lesquelles les autorités de concurrence nationales et européenne peuvent obtenir les éléments sur lesquels fonder les poursuites de sanction des comportements d’ententes anticoncurrentielles. Pour assurer cet équilibre les juridictions doivent procéder à un contrôle de proportionnalité, pour lequel elles doivent prendre en compte, notamment, le caractère étayé de la demande, le fait que les preuves dont la production est demandée « contiennent des informations confidentielles, en particulier concernant d'éventuels tiers, et les modalités existantes de protection de ces informations confidentielles » mais aussi « la nécessité de préserver l’efficacité de la mise en œuvre du droit de la concurrence par la sphère publique » (Articles 5 et 6-4 de la directive)
La transposition de cette directive a été réalisée aux articles L. 483-1 et suivants du code de commerce par l’ordonnance n° 2017-303 et par le décret n° 2017-305 du 9 mars 2017, selon une architecture et des mécanismes identiques, l’article L. 483-1 reprenant les exigences qui viennent d’être énoncées.
En application de ces dispositions, la Cour de justice de l’Union européenne a, déjà à plusieurs reprises, énoncé que le juge saisi d’une demande de production de pièces devait procéder au contrôle de proportionnalité par une « [mise] en balance [d]es intérêts protégés par le droit de l’Union » en prenant en compte tous les éléments pertinents de l’affaire (Arrêts CJUE, 14 juin 2011, Pfleiderer, C- 360/09 ; 6 juin 2013, Donau Chemie e.a., C-536/11) et, en particulier, le droit des secrets d’affaires des parties à l’entente (CJUE, 27 février 2014, EnBW, C- 365/12, § 105 et 106).
Pour sa part, la jurisprudence de la Cour de cassation exige, de façon générale, du juge saisi d’une demande de pièce, de quelque nature qu’elle soit, qu’il procède à un contrôle de proportionnalité entre le droit à la preuve et les droits ou intérêts d’autres parties. Ainsi, la jurisprudence relative à l’application de l’article 145 du code de procédure civile comporte de nombreux exemples de l’obligation qui pèse sur le juge de procéder à une telle mise en balance entre les droits que la demande vise à protéger et ceux auxquels l’exécution de la demande peut porter atteinte. Tel est le cas, notamment, lorsque la demande se heurte au secret médical, au secret des affaires, à l’intimité de la vie privée ou tous autres droits de la personne (Voir en ce sens, 1re Civ., 5 avril 2012, pourvoi n° 11-14.177, Bull. 2012, I, n° 85 ; 1re Civ. 22 juin 2017, pourvoi n° 15-27.845, Bull. 2017, I, n° 150, Com. 22 mars 2017, n° 15-25.151 ; Com., 18 octobre 2017, pourvoi n° 16-15.891 et a. ; Com., 5 juin 2019, pourvoi n° 17-22.192).
Il ne s’agit pas, par ces exigences, d’imposer au juge de prendre la place des tiers, nécessairement absents de la procédure de référé, mais à tout le moins de montrer qu’il a pris en compte la sauvegarde de leurs intérêts notamment au regard du secret des affaires. Tel n’était pas le cas en l’espèce, la cour d’appel n’ayant fondé sa décision ordonnant la production des pièces contestées que sur leur utilité pour permettre au demandeur d’agir en réparation, négligeant ainsi la protection des droits des tiers à la procédure de réparation (ici les autres parties à l’entente) mais aussi l’efficacité de la prohibition des pratiques anticoncurrentielles et de leur poursuite.