Est ici en cause l’interprétation de l’article 3, § 1, de la directive 93/13, qui dispose qu’« une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat ».
Cette disposition relève des critères généraux utilisés par le législateur européen pour définir la notion de clause abusive. L’interprétation de ces critères relève de la compétence de la Cour de justice, à la différence de leur application à une clause particulière, qui doit être examinée par le juge national en fonction des circonstances propres au cas d’espèce, ainsi qu’il résulte d’un arrêt de la Cour de justice [35], rendu sur renvoi préjudiciel d’une juridiction allemande, qui s’interrogeait sur le caractère abusif d’une clause d’exigibilité du prix contenue dans les conditions générales d’un contrat de vente.
Saisie par une juridiction hongroise, qui s’interrogeait sur le caractère abusif de plein droit d’une clause des conditions générales similaire à l’une de celles visées à l’annexe de la directive 93/13, la Cour de justice [36] indique que le caractère éventuellement abusif d’une telle clause doit être apprécié au regard de toutes les autres clauses des conditions générales du contrat concerné, ce qui rejoint au demeurant les dispositions de l’article 4, § 1, de la directive 93/13, dont il résulte que le caractère abusif d’une clause contractuelle s’apprécie au regard de toutes les circonstances qui entourent la conclusion du contrat et de toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend.
L’appréciation de l’abus doit également s’opérer par référence aux règles supplétives nationales. C’est ainsi que, saisie par une juridiction espagnole, qui s’interrogeait sur le caractère abusif de certaines clauses de déchéance du terme, de fixation d’intérêts moratoires et d’exécution de la créance, la Cour de justice [37] précise que « la notion de “déséquilibre significatif”, au détriment du consommateur, doit être appréciée à travers une analyse des règles nationales applicables en l’absence d’accord entre les parties, afin d’évaluer si, et, le cas échéant, dans quelle mesure, le contrat place le consommateur dans une situation juridique moins favorable par rapport à celle prévue par le droit national en vigueur » (point 76).
Une telle approche a été rapidement complétée par une autre décision, rendue sur renvoi préjudiciel également formé par une juridiction espagnole, aux termes de laquelle la Cour de justice [38] précise que « l’existence d’un “déséquilibre significatif” ne requiert pas nécessairement que les coûts mis à la charge du consommateur par une clause contractuelle aient à l’égard de celui-ci une incidence économique significative au regard du montant de l’opération en cause, mais peut résulter du seul fait d’une atteinte suffisamment grave à la situation juridique dans laquelle ce consommateur, en tant que partie au contrat, est placé en vertu des dispositions nationales applicables, que ce soit sous la forme d’une restriction au contenu des droits que, selon ces dispositions, il tire de ce contrat ou d’une entrave à l’exercice de ceux-ci ou encore de la mise à sa charge d’une obligation supplémentaire, non prévue par les règles nationales » (point 30). Il s’ensuit qu’en principe le déséquilibre significatif ne s’apprécie pas au regard d’une mise en balance économique entre les droits et obligations des parties au contrat. Il suffit que la clause litigieuse s’éloigne à un point tel des règles supplétives nationales que la situation du consommateur s’en trouve altérée, indépendamment de toute considération économique.
Saisie par une juridiction polonaise, qui s’interrogeait sur le fait de savoir si la directive 93/13 s’opposait à une réglementation nationale qui permet de garantir le paiement d’une créance issue d’un contrat de crédit à la consommation, conclu entre un professionnel et un consommateur, au moyen d’un billet à ordre émis en blanc, la Cour de justice [39] indique encore qu’« afin de savoir si une clause est susceptible d’être qualifiée d’“abusive”, la juridiction nationale doit vérifier si le professionnel, en traitant de façon loyale et équitable avec le consommateur, pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ce dernier accepte une telle clause à la suite d’une négociation » (point 55).
À noter que le dialogue transnational sur la notion de déséquilibre significatif se double parfois d’un dialogue purement national.
C’est ainsi qu’aux termes d’une demande d’avis formée en application de l’article 1031-1 du code de procédure civile, le tribunal d’instance de Villefranche-sur-Saône a saisi la Cour de cassation afin qu’elle se prononce sur le caractère abusif des clauses d’un contrat de crédit accessoire à la vente d’un véhicule automobile prévoyant :
1o) une subrogation par acte sous seing privé du prêteur dans la réserve de propriété du vendeur, par application des dispositions de l’article 1250, 1o, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 ;
2o) un cumul de ladite garantie avec un gage sans dépossession ;
3o) une valeur du bien repris déterminée par son seul prix de revente.
Dans son avis du 28 novembre 2016 [40], la Cour de cassation considère :
1o) qu’est abusive la clause prévoyant la subrogation du prêteur dans la réserve de propriété du vendeur, dès lors qu’elle laisse faussement croire à l’emprunteur, devenu propriétaire du bien dès le paiement du prix au vendeur, que la sûreté réelle a été valablement transmise, ce qui entrave l’exercice de son droit de propriété et a pour effet de créer un déséquilibre significatif à son détriment ;
2o) qu’est présumée abusive, sauf preuve contraire, par l’article R. 132-2, 6o, du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret no 2016-884 du 29 juin 2016, la clause prévoyant la renonciation du prêteur au bénéfice de la réserve de propriété grevant le bien financé et la faculté d’y substituer unilatéralement un gage portant sur le même bien, outre qu’une telle clause est abusive en ce qu’elle laisse l’emprunteur, s’il n’est pas tenu informé d’une telle renonciation, dans l’ignorance de l’évolution de sa situation juridique, ce qui est de nature à entraver l’exercice de son droit de propriété ;
3o) qu’est abusive la clause ne prévoyant pas, en cas de revente par le prêteur du bien financé grevé d’une réserve de propriété, la possibilité pour l’emprunteur de présenter lui-même un acheteur faisant une offre, dès lors que le prix obtenu par le prêteur à l’occasion de cette revente est généralement inférieur à celui qui pouvait être escompté, de sorte que la situation financière du débiteur s’en trouve aggravée.
À supposer l’existence d’un déséquilibre significatif au détriment du consommateur, reste à déterminer le sort des dispositions contractuelles concernées.
[35]. CJCE, arrêt du 1er avril 2004, Freiburger Kommunalbauten, C-237/02.
[36]. CJUE, arrêt du 26 avril 2012, Invitel, C-472/10.
[37]. CJUE, arrêt du 14 mars 2013, Aziz, C-415/11.
[38]. CJUE, arrêt du 16 janvier 2014, Constructora Principado, C-226/12.
[39]. CJUE, arrêt du 7 novembre 2019, Profi Credit Polska, C-419/18 et C-483/18.
[40]. Avis de la Cour de cassation, 28 novembre 2016, n° 16-70.009, Bull. 2016, Avis, n° 9, publié au Rapport annuel.