Recueil annuel des études 2022 (b) Les réponses graduelles de la Cour de cassation aux interrogations sur la portée de l’article 1843-4 du code civil à partir de l’arrêt du 4 décembre 2007)

Étude

  • Contentieux des clauses abusives : illustration d'un dialogue des juges
  • Les enjeux juridiques des locations de courte durée
  • Retour sur un bris de jurisprudence : la réforme de l'article 1843-4 du code civil
  • Restructuration des sociétés : quelle responsabilité pénale pour les personnes morales

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Étude

Recueil annuel des études 2022 (b) Les réponses graduelles de la Cour de cassation aux interrogations sur la portée de l’article 1843-4 du code civil à partir de l’arrêt du 4 décembre 2007)

Si des auteurs avaient pu évoquer des préoccupations sur la problématique générale de l’évaluation des droits sociaux à dire d’expert [19], ce fut l’arrêt du 4 décembre 2007 [20], précité, qui marqua le début de la controverse, du moins en exacerba les termes.

Il posait le principe de ce que les prévisions statutaires cédaient devant l’article 1843-4 du code civil, en cas de contestation sur le prix de rachat de droits sociaux par un associé retrayant, prix prévu par lesdits statuts. Les prévisions des parties étaient écartées, au profit de la libre appréciation par l’expert devant alors être désigné par application de ce texte.

L’arrêt posait ainsi la première pierre de la double interprétation qui fit tant débat, soit d’une part, l’application des dispositions de l’article 1843-4 du code civil aux cessions ou rachats de droits sociaux convenus, sans être imposés par la loi, s’agissant, au cas d’espèce, d’un associé d’une société civile devant céder ses parts dès lors qu’il ne remplissait plus les conditions statutaires pour demeurer associé, et dont les modalités avaient été déclinées par des stipulations statutaires, et, d’autre part, la liberté d’évaluation de l’expert, quel qu’ait pu être le contenu de ces stipulations.

Sur le premier point, l’arrêt pouvait être rapproché d’un arrêt de la première chambre civile [21], selon lequel l’article 1871, alinéa 2, du code civil ne faisait pas obstacle à ce qu’en cas de contestation d’un associé qui exerçait son droit de retrait dans les conditions prévues par les statuts sur la valeur de ses parts, cet associé demandât au juge des référés, en application de l’article 1843-4 du code civil, de désigner un expert en vue de déterminer cette valeur.

Mais indéniablement, cet arrêt antérieur concernait une hypothèse de retrait volontaire pour lequel l’article 1869 du code civil précisait qu’en cas de désaccord, « l’expertise » prévue à l’article 1843-4 du même code pouvait être demandée. Un précédent arrêt [22] avait également déjà admis, comme indiqué supra, que l’évaluation prévue par ces dispositions pouvait être ordonnée dans le cas d’un désaccord portant sur la cession de droits incorporels, mais, dans cette affaire, les parties elles-mêmes avaient précisé qu’en cas de désaccord, il serait recouru à une expertise dans les conditions prévues par ce texte. Dans un autre arrêt [23], l’article 1843-4 avait été appliqué à une cession pour cause de décès, prévue par les statuts de la société, dans ce que l’on peut appeler son champ originel, tel qu’issu de la loi no 66-538 du 24 juillet 1966.

Sur le second point, l’arrêt du 4 décembre 2007 pouvait, s’agissant de l’absence de pouvoirs propres du juge de déterminer la valeur des parts, être rapproché d’une solution également déjà dégagée par la première chambre civile [24], en ce que cette chambre avait décidé qu’il appartenait au seul expert désigné en application de l’article 1843-4 du code civil, et non au juge, de déterminer la valeur des droits sociaux.

Par ailleurs, il ne pouvait être omis que cette même chambre avait énoncé que l’article 1843-4 du code civil était une disposition d’ordre public [25].

Le 4 décembre 2007 était également rendu un arrêt [26], non publié, appliquant la même solution à l’associé retrayant volontaire, ajoutant le visa de l’article 1869, alinéa 2, du code civil à celui de l’article 1843-4 du même code, et dont un auteur [27] tirait la conclusion, exacte, que la solution dégagée par l’arrêt publié du 4 décembre 2007 ne se limitait pas à la situation du retrait obligatoire de l’associé.

Le débat se cristallisait alors sur la place devant être reconnue à la liberté contractuelle. Ainsi était-il indiqué à propos de l’arrêt du 4 décembre 2007 : « La liberté contractuelle est bien l’enjeu de l’affaire soumise à la Cour de cassation. Sans doute l’article 1843-4 du code civil est-il d’ordre public mais il se présente comme une soupape de sécurité lorsque la liberté contractuelle n’a pas fait son œuvre » [28]. La solution retenue était critiquée en ces termes : « Ce serait porter atteinte à la force obligatoire du contrat que de permettre à l’expert de s’évader de la clause d’évaluation. » Faisait écho à cette critique une formulation plus radicale, réprouvant « [l’éradication de] l’anticipation contractuelle » en résultant, selon un auteur [29]. Le débat était ainsi étendu à la question de la prévisibilité et de la sécurité des anticipations des parties.

Pour autant, qu’aurait pu signifier le pouvoir de l’expert de « déterminer », ainsi que la loi l’indiquait, le prix de cession, si sa liberté n’avait pas été reconnue ? [30] Le terme « déterminer » renfermait nécessairement, selon la chambre commerciale, cette libre appréciation, ce qu’elle dirait, il est vrai plus explicitement, dans un arrêt ultérieur.

Se posait en filigrane la question de la ratio legis de l’article 1843-4 du code civil sous-tendant l’interprétation retenue par la Cour de cassation, moins analysée, par certains commentateurs [31], malgré son caractère d’ordre public non contesté, comme un mécanisme de protection permettant au surplus de « surmonter une impasse » tel qu’exposé par d’autres auteurs [32], que comme un moyen de dépasser un « dissensus » [33] empêchant un processus de cession de droits sociaux d’arriver à son terme ou manifestant, selon les termes ultérieurs du même auteur, « la lutte contre le blocage du contrat forcé » [34].

La finalité de la protection de l’associé minoritaire était mise en exergue par un autre auteur [35], estimant que « le caractère d’ordre public de ce texte se justifi[ait] (et devrait définir l’étendue de son champ d’application) par la volonté du législateur d’éviter que des associés ne soient gravement lésés par des clauses d’évaluation qui leur auraient été imposées à l’issue d’un processus décisionnel majoritaire, auquel ils n’auraient pu s’opposer ». Autrement dit, il s’agissait, selon lui, « de lutter contre l’absolutisme majoritaire, c’est-à-dire, en l’occurrence, le pouvoir de la majorité d’imposer dans les statuts ou un règlement intérieur, la cession des titres d’un associé pour un certain prix, sans que l’associé concerné n’ait pu consentir personnellement ni à cette cession, ni à ce prix ». À l’appui de cette analyse, il était souligné, comme le faisait un autre commentateur [36], que le législateur avait, a contrario, permis que soit écartée conventionnellement l’application de ce texte par les associés d’une société par actions simplifiée [37], tout en s’assurant de ce qu’une éventuelle adoption ou modification de clauses statutaires fixant les modalités de détermination du prix de cession des actions, lorsque sont mises en œuvre les clauses d’agrément et les clauses obligeant un associé à céder ses actions, se fasse à l’unanimité des associés [38]. Si pour certains auteurs [39], le traitement par l’abus de majorité ou l’exigence d’unanimité pour l’adoption de telles dispositions d’évaluation des droits sociaux dans les statuts était la solution adaptée à ce risque d’atteinte aux droits des associés minoritaires, l’inquiétude était prégnante s’agissant de l’extension de la solution issue de l’arrêt aux pactes extrastatutaires, lesquels pouvaient apparaître comme résultant de l’expression d’un consentement véritablement libre.

Le deuxième temps de la réponse graduée de la Cour de cassation fut celui d’un arrêt du 5 mai 2009 [40], lequel consacra la liberté d’appréciation de l’expert, quelles qu’eussent été les prévisions des parties ayant envisagé, dans les statuts, la valorisation des droits sociaux en cas de cession ou achat forcé, cette fois-ci dans l’hypothèse de l’associé exclu. À cet égard, l’étendue de la liberté d’appréciation de l’expert était significativement clarifiée par rapport à l’arrêt précité de la première chambre civile du 25 novembre 2003, lequel pouvait être interprété comme délimitant seulement les pouvoirs respectifs du juge et de l’expert. La chambre commerciale énonçait ainsi que « seul l’expert détermine les critères qu’il juge les plus appropriés pour fixer la valeur des droits, parmi lesquels peuvent figurer ceux prévus par les statuts », l’arrêt d’appel étant censuré pour avoir précisé la méthode à suivre par l’expert.

Le commentaire au Rapport annuel de la Cour de cassation, signant l’importance de cet arrêt du 5 mai 2009, l’inscrivait dans une continuité jurisprudentielle [41], s’agissant de ce que les parties s’en remettent à l’expert, et relevant que, sous la limite de l’erreur grossière, l’expertise s’imposait également au juge. La spécificité du rôle de l’expert désigné sur le fondement de l’article 1843-4 du code civil, ainsi faussement dénommé, comme unanimement remarqué, et plus exactement désigné sous le vocable de tiers évaluateur, avait en effet déjà été affirmée par la jurisprudence et approuvée par certains auteurs qui insistaient sur sa figure originale de régulateur d’intérêts divergents [42].

L’enseignement de ce commentaire tenait plus spécialement à ce que la raison de la solution énoncée par la chambre commerciale était très clairement exprimée, s’agissant de la réponse à la question posée de savoir si l’expert pouvait s’affranchir d’une méthode convenue par les statuts, faisant donc en principe la loi des parties. Cette question appelait, aux termes du commentaire, une réponse positive, dès lors que « la raison d’être [de l’expert] est d’arbitrer afin que l’associé obligé de céder ses droits ne soit pas spolié ou exproprié » [43]. Ainsi était assumée la motivation de protection inspirant cette jurisprudence, qu’au demeurant les commentateurs de l’arrêt du 4 décembre 2007 avaient cru pouvoir, à juste titre, discerner, et, pour certains, approuver [44], cependant que cet arrêt ne disait rien de l’interprétation, par la chambre commerciale, de la ratio legis de l’article 1843-4 du code civil, qu’elle visait et reproduisait, et donc de la ratio decidendi de sa propre solution.

Cette vision de la finalité de cette disposition légale aux yeux de la chambre commerciale était ultérieurement rappelée  [45], par l’un de ses anciens présidents, en des termes explicites, que n’avaient pas non plus manqué de relever les commentateurs : « l’égalité entre associés dans la société commande que la contribution de chacun à la constitution du capital donne lieu à un traitement identique, pour un nombre de parts égales, au moment où l’associé sort de la société. À défaut, le pacte social, né dans l’égalité, se dissout par l’effet incontrôlé de la puissance du plus fort. C’est un ordre public de protection, non de direction ». L’illustration de ce rappel par une fable de La Fontaine évocatrice [46] ne manqua pas d’être soulignée.

Cette justification protectrice des droits de l’associé cédant était d’ailleurs à nouveau formulée dans l’arrêt [47] refusant de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité sur ce texte, en indiquant que « les dispositions de l’article 1843-4 du code civil, qui n’ont ni pour objet ni pour effet d’investir l’expert du pouvoir de prononcer une sanction ayant le caractère d’une punition et ne font pas par elles-mêmes obstacle à l’application d’une procédure contradictoire, visent seulement à garantir, dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux ou le rachat de ceux-ci par la société, et s’il y a désaccord sur leur valeur, la juste évaluation des droits du cédant par l’intervention d’un tiers chargé de fixer cette valeur pour le compte des parties sans être tenu de se plier à des clauses qui pourraient être incompatibles avec la réalisation de cet objectif ».

Ne saurait être passé sous silence l’enjeu de protection du droit de propriété lié à l’application de ce texte qui conduisit en revanche la même chambre à transmettre au Conseil constitutionnel [48] une autre question relative à la date d’évaluation de la valeur des droits sociaux retenue par sa jurisprudence et fixée, en l’absence de dispositions statutaires sur ce point, à la date la plus proche du jour de leur remboursement et non à la date de la perte de la qualité d’associé. Le Conseil constitutionnel devait retenir [49]que :

« 11. Les dispositions contestées fixent dans tous les cas, et quelle que soit la nature des sociétés concernées, la date de l’évaluation à celle qui est la plus proche du remboursement des droits sociaux de l’associé cédant, retrayant ou exclu, sauf disposition contraire des statuts. Elles n’introduisent en conséquence aucune différence de traitement. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit donc être écarté.

12. L’article 1843-4 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 4 janvier 1978, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution. »

On relèvera qu’approuvant l’interprétation de l’article 1843-4 du code civil issue des arrêts de 2007 et 2009, un auteur [50] posait la question de savoir si l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales aurait pu se satisfaire d’une solution dans laquelle de simples volontés privées auraient pu contraindre un associé à sortir d’une société en lui imposant les conditions de la cession du rachat de ses parts. Il estimait que c’était le caractère d’ordre public du droit à l’expertise, prévu à l’article 1843-4 du code civil, qui ne permettait pas à l’associé de renoncer à l’avance au bénéfice de ce droit destiné à lui garantir la juste évaluation de ses droits sociaux, « de ses biens », soulignait-il.

C’est aussi au regard de la protection du droit de propriété sur des parts sociales ou des actions, « lorsqu’il est entravé dans l’exercice de son droit de disposer de la chose », qu’un autre auteur estimait lui aussi que la jurisprudence avait voulu se placer sous l’ombre de l’article 544 du code civil [51] et rappelait que la solution pouvait se prévaloir de l’interprétation précitée.

La liberté d’appréciation de l’expert était, par ailleurs, présentée comme l’auxiliaire indispensable de la protection de l’associé. Il était relevé, pour approuver la solution, « qu’au-delà de la rédaction, en soi déjà impérative de l’article 1843-4, la finalité même de la disposition, la “découverte”, par définition en temps de conflit opposant la société à un associé […], de la “juste valeur” des parts, s’accommoderait mal d’un corset engonçant le tiers au litige, alors que, précisément, la clause d’évaluation procède le plus souvent de l’actionnaire majoritaire. Mesurée à cet objectif fondamental, la protection de l’associé cédant ou retrayant, l’autonomie de l’expert devient l’indispensable instrument de la volonté du législateur » [52].

S’il critiquait le « dirigisme judiciaire » qu’aurait manifesté cette jurisprudence, un autre auteur [53] admettait la difficulté d’interprétation du texte, dont il notait que, littéralement, il excluait que les parties déterminent la valeur puisque c’était à l’expert désigné de le faire en cas de contestation.

La chambre commerciale précisa ensuite, dans un troisième temps de la construction jurisprudentielle, le champ d’application de l’article 1843-4 du code civil, en plaçant sous son empire des conventions à caractère extrastatutaire, relevant du droit commun des contrats. Cette solution résultait implicitement d’un arrêt du 24 novembre 2009 [54], jugeant, alors que les demandeurs au pourvoi se prévalaient de l’article 1843-4 du code civil, que celui-ci était sans application pour une promesse de vente dont le prix était devenu déterminable dès la levée de l’option. Cet arrêt réglait au surplus la question de la chronologie d’application du texte, en admettant que la contestation ne pouvait être utilement formée qu’avant la levée de l’option. L’arrêt déféré était approuvé ; car dès lors qu’il avait été relevé, par référence aux stipulations précisant les modalités de calcul du prix de cession, que celui-ci était déterminable et que la cession était devenue parfaite dès la levée de l’option, il s’en déduisait que le prix n’avait fait l’objet d’aucune contestation antérieure à la conclusion de la cession, vouant au rejet la demande de fixation du prix à dire d’expert. Si la demande d’application de l’article 1843-4 du code civil était écartée, ce n’était pas pour une raison tenant au siège de la promesse de cession en cause, laquelle, pour relever d’un acte extrastatutaire, se serait donc trouvée soumise à la mise en œuvre de l’article 1843-4 du code civil, si l’accord entre les parties n’avait pas été déjà mis en œuvre par la levée de l’option. Le texte exigeant que la cession ou le rachat soient prévus, il en résultait qu’il ne trouvait pas à s’appliquer dans un cas où la cession ou le rachat n’était plus envisagé comme un événement futur mais était d’ores et déjà parfait. Une vente déjà formée au prix fixé par les parties ne pouvait donc faire l’objet d’une contestation sur le fondement de l’article 1843-4 du code civil.

Cette analyse fut confirmée, sur ce point, par un arrêt [55] jugeant qu’une cession ayant été conclue et que son prix était déterminable, une cour d’appel avait exactement retenu, dès lors que la cession n’entrait dans aucun des cas prévus par l’article 1843-4 du code civil, que les dispositions de ce texte n’étaient pas applicables.

Il s’en déduisait logiquement qu’un désaccord sur le prix, exprimé entre la date de conclusion du contrat et la levée de l’option, aurait eu pour conséquence de rendre obligatoire le recours à un tiers estimateur, dans l’hypothèse d’une clause de cession comprenant les modalités de détermination du prix figurant dans un acte extrastatutaire.

La jurisprudence s’en tenait donc à l’absence de distinction par la loi entre les différents cas de cession, eu égard à une formulation de la loi extrêmement large et donc très extensive puisqu’englobant, à la lettre, « tous les cas où la cession des droits sociaux est prévue » et, il faut y insister, après suppression, au cours des débats parlementaires, d’une rédaction qui circonscrivait de façon plus étroite et précise le champ d’application du texte.

Certes, des auteurs [56] avaient proposé, par anticipation, non couronnée de succès, une réponse négative à la définition d’un tel périmètre d’application, question qui avait surgi dès l’arrêt du 4 décembre 2007. C’est la sécurité juridique qui, selon eux, appelait une telle réponse pour ne pas déjouer les prévisions des parties, alors qu’était soulignée la pratique abondante, dans la vie des affaires, de telles stipulations.

À cet égard, la question du sens de la notion de condition de contestation, dont on rappelle qu’elle avait été introduite au cours des débats parlementaires sur un amendement du sénateur Étienne Dailly, se posait avec encore peut-être plus d’acuité en cas de pactes extrastatutaires, la question de la date d’expression de la contestation étant alors posée pour savoir si celle-ci en était une, au sens de la loi. Ainsi, pour certains auteurs, aucune contestation ne pouvait entrer dans la visée du texte lorsqu’un désaccord était exprimé après la conclusion d’un accord fixant les conditions d’évaluation des droits sociaux, sauf à manifester alors, en réalité, une volonté de s’abstraire de la force obligatoire du contrat. C’était le sens de l’analyse selon laquelle « l’existence d’un accord quant à la détermination du prix consacre évidemment l’absence de contestation », qu’il en est ainsi « quelle que soit la date de cet accord » et que le caractère impératif du texte devait à cet égard être considéré sans incidence, ce caractère n’étant pas de nature à étendre son domaine d’application [57]. Dans le même sens, il avait été relevé que : « l’article 1843-4, bien que d’ordre public il est vrai, n’a vocation à s’appliquer qu’en cas de désaccord des parties, ce qui laisse à l’accord de volonté toute latitude pour s’exprimer », ajoutant « On voit mal ici pourquoi il conviendrait d’interdire à l’associé de s’engager sur le prix futur (déterminable) de son bien alors qu’il en a la parfaite maîtrise. » [58]

Certains auteurs se montraient cependant plus réservés sur cette question. Il était ainsi observé que « L’exigence d’une contestation ne d[evait] pas être surestimée » et il était relevé en ce sens, d’une part, que les textes de droit spécial qui renvoyaient à l’article 1843-4 du code civil ne mentionnaient pas tous cette exigence [59], d’autre part, que le mot ne devait pas être pris dans son sens procédural comme synonyme de litige, mais dans son sens courant de désaccord, constitutive alors d’une simple question de fait [60].

De même, il était souligné que la jurisprudence ne faisait pas de la contestation une condition sine qua non de l’intervention de l’expert, laquelle pouvait être prévue par la convention des parties alors même que la loi ne l’imposait pas [61].

Il était enfin constaté que l’existence d’une clause statutaire d’évaluation des parts ne s’opposait pas à ce que s’élevât néanmoins une contestation opposant précisément les parties « sur la valeur de ces parts et donc, en l’occurrence, sur leur mode de calcul tel qu’il est prévu dans les statuts » [62].

Et de fait, si contentieux il y eut, c’est bien qu’un différend naissait, y compris alors qu’un accord de volonté avait été conclu, au moment où cet accord devait être mis en œuvre. C’était alors d’une pure situation de fait dont il s’agissait, ainsi qu’il ressortait d’ailleurs d’un arrêt de la deuxième chambre civile [63] lequel, répondant à un moyen invoquant notamment un manque de base légale au regard de l’article 1843-4 du code civil, tiré d’une insuffisance des constatations de l’arrêt quant à l’existence d’une contestation au sens de ce texte, jugeait que les critiques formulées ne tendaient « qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine par la cour d’appel de l’existence d’une contestation sur le prix de cession des parts sociales ».

La solution implicite de l’arrêt du 24 novembre 2009 précité fut explicitement confirmée par un arrêt du 4 décembre 2012 [64], dans une affaire où le salarié et associé d’une société, signataire d’une charte en vertu de laquelle il s’engageait, en cas de départ de la société, à céder par une promesse de vente irrévocable prenant effet le jour suivant la cessation des fonctions salariées, toutes les actions qu’il détenait, au profit des membres du conseil d’administration de la société dont il était l’associé, ou de toute autre personne, physique ou morale s’y substituant. La charte prévoyait une méthode de calcul du prix de cession de l’action. La cour d’appel ayant jugé que le promettant invoquait à tort les dispositions de l’article 1843-4 du code civil puisque les parties n’avaient pas convenu, en cas de désaccord, de désigner un expert pour la détermination du prix par application de ce texte, l’arrêt fut cassé pour refus d’application de ce texte, à son seul visa et sur sa seule reproduction. Il s’en déduisait qu’il s’appliquait aux cessions de droits sociaux organisées par des pactes extrastatutaires, lors même que les parties à ces conventions n’avaient pas fait le choix de faire du recours à ce texte leur propre loi.

Ainsi, statuts et pactes extrastatutaires, tous de nature conventionnelle mais les premiers ne relevant pas du droit commun des contrats et pouvant notamment être modifiés dans des conditions ne requérant pas nécessairement l’unanimité des associés, étaient traités de la même façon s’agissant de la survenance d’une contestation sur la valorisation des droits sociaux devant, aux termes de ces conventions, faire l’objet d’une cession, sans que celle-ci soit imposée par la loi.

Parmi de nombreux commentaires accompagnant cette décision, était à nouveau observé l’« imperium de l’expert de l’article 1843-4 [du code civil] versus [le] consensualisme » [65].

La dernière étape de l’interprétation de l’article 1843-4 du code civil, « avant la ruine de ce texte », selon les termes d’un auteur [66] annonçant la modification qui en était prévue par une habilitation donnée, à la date de l’arrêt, au gouvernement par le Parlement, résulta d’un arrêt de la chambre commerciale du 11 mars 2014 [67], qui jugea que « les dispositions de ce texte, qui ont pour finalité la protection des intérêts de l’associé cédant, sont sans application à la cession de droits sociaux ou à leur rachat par la société résultant de la mise en œuvre d’une promesse unilatérale de vente librement consentie par un associé ». Était ainsi écarté le recours à la tierce évaluation pour une contestation sur la valeur d’actions faisant l’objet d’une promesse unilatérale de vente figurant dans une convention d’actionnaires, laquelle fixait par avance la valeur des parts ou des actions rachetées, contrairement à ce qu’avait jugé la cour d’appel. Était là exprimée, par une motivation expresse, une interprétation retranchant du champ d’application de l’article 1843-4 du code civil certains actes conduisant à une cession de droits sociaux, avec l’indication, par la chambre commerciale, de l’interprétation de la finalité du texte reprenant la ratio legis d’un ordre public de protection, mais limitée au seul associé cédant contraint à la cession.

Ces explications se retrouvaient dans le commentaire au Rapport annuel de cet arrêt, relevant que cette décision marquait « clairement la volonté de la Cour de rompre avec l’interprétation extensive de l’article 1843-4 du code civil dont les décisions des 24 novembre 2009 et 4 décembre 2012 se faisaient l’écho » [68], non sans réaffirmer la logique de protection du cédant dont le commentaire rappelait la filiation depuis l’ancien article 1868 du code civil, en cantonnant désormais celle-ci au cédant contraint. In fine, le commentaire plaçait l’arrêt dans la préfiguration de la solution retenue par la réforme du texte, intervenue entre le prononcé de l’arrêt et la publication du Rapport annuel, en indiquant que « Les limites ainsi fixées au champ d’application de l’article 1843-4 du code civil se retrouvent dans la nouvelle rédaction de ce texte issue de l’ordonnance no 2014-863 du 31 juillet 2014 relative au droit des sociétés. » [69] Un lien reliait ainsi les différentes sources du droit positif, ce commentaire pouvant être vu comme une première interprétation de la portée du nouveau texte.

 


 [19]. Voir notamment l’article de J. Moury précité et A. Couret, « L’évolution récente de la jurisprudence rendue sur le fondement de l’article 1843-4 du code civil », in Mélanges dédiés à Bernard Bouloc, Dalloz, 2006, p. 249 et s.

 [20]. Com., 4 décembre 2007, pourvoi n° 06-13.912, Bull. 2007, IV, n° 258.

 [21]. 1re Civ., 2 juin 1987, pourvoi n° 85-17.561, Bull. 1987, I, n° 180.

 [22]. Com., 30 novembre 2004, pourvoi n° 03-13.756, Bull. 2004, IV, n° 210.

 [23]. Com., 30 novembre 2004, pourvoi n° 03-15.278, Bull. 2004, IV, n° 211.

 [24]. 1re Civ., 25 novembre 2003, pourvoi n° 00-22.089, Bull. 2003, I, n° 243.

 [25]. 1re Civ., 25 novembre 2003, pourvoi n° 00-22.089, Bull. 2003, I, n° 243.

 [26]. Com., 4 décembre 2007, pourvoi n° 06-13.913.

 [27]. R. Mortier, « Un arrêt peut en cacher un autre : retour sur l’absolutisme jurisprudentiel de l’article 1843-4 du code civil », Dr. sociétés août 2008, comm. 177, et « L’absolutisme jurisprudentiel de l’article 1843-4 du code civil », Dr. sociétés février 2008, comm. 23.

 [28]. H. Hovasse, « Supériorité de l’article 1843-4 du code civil sur les statuts quant à la détermination de la valeur de droits sociaux par un expert », JCP 2008, éd. E, 1159.

 [29]. R. Mortier, « L’absolutisme jurisprudentiel de l’article 1843-4 du code civil », loc. cit.

 [30]. Le conseiller H. Le Dauphin, dans son rapport sur le pourvoi donnant lieu à l’arrêt du 11 mars 2014 (Com., 11 mars 2014, pourvoi n° 11-26.915, Bull. 2014, IV, n° 48, publié au Rapport annuel), justifiait ainsi la jurisprudence de la Cour de cassation sur ce point : « la mission du tiers aurait-elle un sens si, tenu d'appliquer une méthode fixée par les parties, ou plus probablement, en fait, par l'une d'elles, qu'il est cependant libre de prendre en considération s'il la juge pertinente, il se trouvait réduit à un rôle de "calculette", pour aboutir... au résultat qui a donné naissance à la contestation ayant motivé sa désignation ? ».

 [31]. R. Mortier, « L’absolutisme jurisprudentiel de l’article 1843-4 du code civil », loc. cit.

 [32]. Cf., notamment, J. Moury ou A. Lienhard.

 [33]. R. Mortier, « L’absolutisme jurisprudentiel de l’article 1843-4 du code civil », loc. cit.

 [34]. R. Mortier, « Coup de tonnerre sur l’article 1843-4 : la Cour de cassation cède du terrain ! », Dr. sociétés mai 2014, comm. 78.

 [35]. A. Constantin, « Interrogations (et inquiétudes) sur le champ d’application des dispositions de l’article 1843-4 du code civil, notamment son extension aux conventions extrastatutaires », RTD com. 2012, p. 805.

 [36]. A. Lienhard, « Cession de droits sociaux : totale liberté pour le tiers estimateur », D. 2009, p. 1349.

 [37]. Articles L. 227-18 et L. 227-19 du code de commerce.

 [38]. Exigence d’unanimité dont on relèvera qu’elle a disparu depuis une ordonnance no 2017-747 du 4 mai 2017 portant diverses mesures facilitant la prise de décision et la participation des actionnaires au sein des sociétés.

 [39]. Notamment R. Mortier.

 [40]. Com., 5 mai 2009, pourvoi n° 08-17.465, Bull. 2009, IV, n° 61, publié au Rapport annuel.

 [41]. Citant notamment Com., 19 avril 2005, pourvoi n° 03-11.790, Bull. 2005, IV, n° 95, publié au Rapport annuel.

 [42]. Voir les commentaires de C. Champaud et D. Danet, « Cession de parts sociales. Rachat. Détermination du prix à défaut d’accord amiable. Expertise de l’article 1843-4 du code civil. Réforme procédant de l’ordonnance du 25 mars 2004. Suppression de la seconde phrase de l’article L. 223-14 du code de commerce. Nature et portée de la modification rédactionnelle ? », RTD com. 2004, p. 523.

 [43]. Rapport annuel 2009 de la Cour de cassation, p. 394.

 [44]. Outre la doctrine favorable recensée par J. Moury, on citera également C. Champaud et D. Danet commentant l’arrêt du 5 mai 2009 et approuvant la Cour de cassation de « tenir bon » ; il en ressort des visions opposées sur ce dispositif, la doctrine contraire étant analysée comme issue d’« une conception strictement contractualiste du droit des sociétés s’inscrivant dans les théories de la corporate governance d’obédience financialiste », « Cession de droits sociaux préemptés. Défaut d’accord des parties sur le prix. Fixation à dire d’expert. Application de l’article 1843-4 du code civil. Faculté du juge de fixer des règles d’évaluation applicable à l’expertise (non) », RTD com. 2009, p. 752.

 [45]. « L’évaluation à dire d’expert prévue à l’article 1843-4 du code civil. État actuel de la jurisprudence », groupe de travail et de réflexions constitué de D. Tricot, P. Matet, J. Gondran de Robert, J.-P. Lucquin, É. Kleiman, D. Faury et J.-L. Fournier, novembre 2011.

 [46]. La Génisse, la Chèvre et la Brebis en société avec le Lion.

 [47]. Com., 8 mars 2011, QPC n° 10-40.069 et n° 10-40.072, Bull. 2011, IV, n° 36.

 [48]. Com., 16 juin 2016, QPC n° 16-40.018.

 [49]. Cons. const., 16 septembre 2016, décision n° 2016-563 QPC, M. Dominique B [Date d’évaluation de la valeur des droits sociaux des associés cédants, retrayants ou exclus].

 [50]. C. Grimaldi, « Regard civiliste sur la cession ou le rachat forcé de droits sociaux », JCP 2009, éd. E, act. 592.

 [51]. J. Moury, « Réflexions sur l’article 1843-4 du code civil après l’arrêt rendu le 5 mai 2009 par la chambre commerciale de la Cour de cassation », loc. cit.

 [52]. A. Lienhard, « Cession de droits sociaux, totale liberté pour le tiers estimateur », loc. cit.

 [53]. B. Dondero, « La Cour de cassation et le double mystère de l’article 1843-4 du code civil », loc. cit.

 [54]. Com., 24 novembre 2009, pourvoi n° 08-21.369, Bull. 2009, IV, n° 151.

 [55]. Com., 26 février 2013, pourvoi n° 11-27.521.

 [56]. R. Dammann et S. Périnot, dans un article précisément intitulé « Éclairage. L’article 1843-4 du code civil prévoyant une valorisation des droits sociaux par un expert est-il applicable aux pactes extrastatutaires ? », Bull. Joly sociétés novembre 2008, p. 844.

 [57]. R. Mortier, « L’absolutisme jurisprudentiel de l’article 1843-4 du code civil », loc. cit. Cf. déjà R. Mortier, « Le tiers estimateur », in La sortie de l’investisseur, LexisNexis, Colloques et débats, 2007, p. 99 et s., no 22.

 [58]. D. Poracchia, « Saga relative à l’interprétation de l’article 1843 du code civil », Bull. Joly sociétés juin 2009, p. 543.

 [59]. Tel était le cas de l’article 1870-1 du code civil pour les sociétés civiles, ou des articles L. 221-15 et L. 221-16 du code de commerce pour la société en nom collectif, ou de l’article L. 223-14 du code de commerce pour la société à responsabilité limitée.

 [60]. L. Cadiet, « Arbiter, arbitrator, Gloses et post-gloses sous l’article 1843-4 du code civil », in Mélanges en l’honneur de Yves Guyon, Dalloz, 2003, p. 155 et s., spéc. p. 160-161.

 [61]. A. Couret, « L’évolution récente de la jurisprudence rendue sur le fondement de l’article 1843-4 du code civil », in Mélanges dédiés à Bernard Bouloc, op. cit., spéc. p. 251-252, n° 6. Cf. notamment Com., 26 novembre 1996, pourvoi n° 94-15.403, Bull. 1996, IV, n° 284 ; Com., 30 novembre 2004, pourvoi n° 03-13.756, Bull. 2004, IV, n° 210.

 [62]. J. Moury, « La liberté du tiers estimateur de l’article 1843-4 du code civil en dépit de la présence d’une clause statutaire d’évaluation des droits sociaux », Rev. sociétés 2008, p. 341, spéc. no 5.

 [63]. 2e Civ., 10 juin 2010, pourvoi n° 08-19.779.

 [64]. Com., 4 décembre 2012, pourvoi n° 10-16.280, Bull. 2012, IV, n° 223.

 [65]. J.-F. Barbièri, « Éditorial. Imperium de l’expert de l’article 1843-4 versus consensualisme », Bull. Joly sociétés février 2013, p. 101.

 [66]. J. Moury, « Une importante précision sur le champ de l’article 1843-4 du code civil… avant la ruine de ce texte », Rev. sociétés 2014, p. 366.

 [67]. Com., 11 mars 2014, pourvoi n° 11-26.915, Bull. 2014, IV, n° 48, publié au Rapport annuel.

 [68]. Commentaire au Rapport annuel 2014 de la Cour de cassation, p. 509.

 [69]. Commentaire au Rapport annuel 2014 de la Cour de cassation, p. 510.

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