Numéro 9 - Septembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2022

URBANISME

3e Civ., 21 septembre 2022, n° 21-21.102, (B), FS

Rejet

Bâtiments menaçant ruine ou insalubres – Immeuble déclaré irrémédiablement insalubre – Démolition – Prononcé – Recours contre l'arrêté de péril – Absence d'influence

L'arrêté de péril étant exécutoire dès sa notification et le recours formé à son encontre devant la juridiction administrative n'ayant pas d'effet suspensif, le juge judiciaire, saisi par le maire sur le fondement de l'article L. 511-2, V, du code de la construction et de l'habitation, peut ordonner la démolition, nonobstant l'existence d'un recours.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 17 mars 2021), par un arrêté de péril du 14 juin 2019, pris sur le fondement des articles L. 511-1 et L. 511-2 du code de la construction et de l'habitation, dans leur rédaction alors applicables, le maire d'[Localité 2] a prescrit à la société civile immobilière MO.PI.TY (la SCI) de procéder à la démolition d'un immeuble lui appartenant, qui menaçait ruine.

2. A défaut d'exécution dans le délai imparti, le maire a saisi le président du tribunal judiciaire, statuant en la forme des référés, pour être autorisé à procéder d'office à la démolition de l'immeuble.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La SCI fait grief à l'arrêt d'ordonner la démolition de l'immeuble, alors :

« 1°/ que le juge administratif est seul compétent pour apprécier le point de savoir si le recours gracieux adressé par le propriétaire d'un immeuble à l'encontre d'un arrêté de péril pris par l'administration a la nature d'un véritable « recours gracieux » préservant le délai de recours contentieux ; qu'en considérant en l'espèce que le recours gracieux, expressément libellé comme tel par la SCI dans son courrier du 24 juillet 2019 adressé au maire d'[Localité 2] et dirigé contre l'arrêté de péril du 14 juin 2019, n'avait pas la nature de recours gracieux, au motif « qu'une demande de suspension des effets d'un acte administratif ne constitue pas (...) un recours », ce qui en outre est inexact, la cour d'appel a empiété sur les compétences du juge administratif, par ailleurs saisi d'une requête dirigée contre l'arrêté de péril du 14 juin 2019, et a ainsi commis un excès de pouvoir en violation de la loi des 16-24 août 1790, ensemble le décret du 16 fructidor an III ;

2°/ que le juge ne peut dénaturer le sens d'une pièce régulièrement versée aux débats par une partie ; que saisi d'une requête en ce sens par le propriétaire de l'immeuble visé par l'arrêté de péril qui lui est notifié, le juge administratif peut ordonner la suspension de cet acte pour une durée déterminée, d'où il suit que le recours préalable adressé à l'administration concernée en vue de la suspension de l'arrêté litigieux constitue nécessairement un recours gracieux ; qu'en l'espèce, la SCI versait aux débats son courrier du 24 juillet 2019 adressé au maire d'[Localité 2], expressément intitulé « recours gracieux », et tendant à la suspension de l'arrêté de péril du 14 juin 2019 ; qu'en considérant que le courrier de la SCI du 24 juillet 2019 n'était pas un recours gracieux, la cour d'appel a dénaturé le sens de cette pièce, en méconnaissance du principe susvisé ;

3°/ qu'un recours adressé à l'administration qui a pris la décision contestée constitue un recours gracieux et que toute décision administrative peut faire l'objet, dans le délai imparti pour l'introduction d'un recours contentieux, d'un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai ; qu'en considérant que le recours gracieux, expressément libellé comme tel par la SCI dans son courrier du 24 juillet 2019 adressé au maire d'[Localité 2] et dirigé contre l'arrêté de péril du 14 juin 2019, n'avait pas la nature de recours gracieux, au motif « qu'une demande de suspension des effets d'un acte administratif ne constitue pas (...) un recours », ce qui là encore est inexact, la cour d'appel a violé les articles L. 410-1 et L. 411-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

4°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en l'espèce, la commune d'[Localité 2] ne contestait pas l'existence du recours formé par la SCI devant le tribunal administratif de Bordeaux à l'encontre de l'arrêté de péril du 14 juin 2019 et en admettait même à l'inverse l'existence ; qu'en retenant alors que l'exercice de ce recours devant le juge administratif n'était pas justifié par la SCI sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen qu'elle a relevé d'office, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. L'arrêté de péril étant exécutoire dès sa notification et le recours formé à son encontre devant la juridiction administrative n'ayant point d'effet suspensif, le juge judiciaire, saisi par le maire sur le fondement de l'article L. 511-2, V, du code de la construction et de l'habitation, peut ordonner la démolition, nonobstant l'existence d'un recours.

5. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Jacques - Avocat(s) : Me Balat ; SCP Marlange et de La Burgade -

Textes visés :

Article L. 511-2, V, du code de la construction et de l'habitation.

3e Civ., 7 septembre 2022, n° 21-12.114, (B), FS

Cassation partielle sans renvoi

Droit de préemption urbain – Vente d'un immeuble – Annulation de la décision de préemption – Action en annulation de la vente – Intérêt à agir

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 novembre 2018), par acte du 22 juin 2010, la société Voestalpine Rotec France (la société VARF), propriétaire d'un immeuble situé sur le territoire de la commune d'[Localité 4], a consenti à la société Le Bouraq, devenue la société Sofiadis, un bail dérogatoire assorti d'une promesse unilatérale de vente au prix de 1 300 000 euros.

2. Le 13 février 2012, la commune a notifié sa décision d'exercer son droit de préemption.

3. Le 23 février 2012, dans le délai imparti par la promesse, qui avait été prorogé, la société Sofiadis a levé l'option.

4. Selon acte authentique du 14 décembre 2012, la société VARF a vendu l'immeuble à la commune.

5. Par un arrêt confirmatif du 26 juin 2015, devenu définitif, la cour administrative d'appel de Paris a annulé la décision de préemption.

6. La société VARF ayant refusé la rétrocession du bien, qui lui avait été proposée conformément aux dispositions de l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme, la commune l'a proposé à la société Sofiadis, avec laquelle elle a conclu, le 8 septembre 2015, une promesse de vente.

7. La société Sofiadis a assigné la société VARF et la commune pour faire annuler la vente du 14 décembre 2012 et faire déclarer parfaite la vente qu'elle avait précédemment conclue avec la société VARF.

8. La société VARF ayant été radiée du registre du commerce et des sociétés, la société Voestalpine Rotec GmbH (la société Voestalpine) a été désignée en qualité de mandataire ad hoc pour la représenter.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

9. La société Sofiadis fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir déclarer parfaite la vente à son profit de l'immeuble par la société VARF aux conditions de la promesse du 23 février 2012, alors :

« 1°/ que l'annulation de la préemption exercée de manière illicite implique que le préempteur soit réputé ne jamais avoir été propriétaire du bien ; que ce préempteur n'a pu, en conséquence, transférer valablement le bien litigieux, puisqu'il en a jamais eu la propriété ; que, pourtant, après avoir constaté que, à la suite de l'annulation de la préemption « la commune d'[Localité 4] est réputée n'avoir jamais été propriétaire du bien », la cour d'appel a retenu que la société Sofiadis avait « acquis l'immeuble litigieux à la suite de la procédure prévue par l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme organisant le sort du bien acquis à la suite d'une décision de préemption déclarée nulle ou illégale » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs qui excluent la qualité de propriétaire de la commune, tout en reconnaissant que la commune ait pu valablement transférer la propriété du bien à la société Sofiadis, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme ;

2°/ que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; que la force obligatoire du contrat s'impose tant aux parties qu'au juge, qui en est le garant ; que la cour d'appel a annulé la vente conclue le 14 décembre 2012 entre la société VARF et la commune redonnant force obligatoire à l'acte initialement conclu entre la société VARF et la société Sofiadis, acheteur évincé ; que la cour d'appel a par ailleurs constaté que le 23 février 2012 la société Sofiadis avait demandé au vendeur la réalisation de la vente à son bénéfice ; qu'elle a pour autant refusé de prononcer le perfectionnement de la vente ; qu'en statuant ainsi, en privant l'acte de sa force obligatoire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé l'article 1134 dans sa rédaction applicable à la cause, devenu 1103 du code civil. »

Réponse de la Cour

10. Ayant relevé qu'à la suite de la mise en oeuvre de la procédure prévue par l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme, la société Sofiadis avait, le 8 septembre 2015, conclu avec la commune une promesse de vente, la cour d'appel en a exactement déduit que cette société n'était plus fondée à réclamer l'exécution de la promesse de vente portant sur ce même immeuble, que lui avait consentie la société VARF le 22 juin 2010.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

12. La société Voestalpine, ès qualités, fait grief à l'arrêt de déclarer recevable la demande de la société Sofiadis et d'annuler la vente conclue le 14 décembre 2012 entre la société VARF et la commune, alors « que dans le cas où l'ancien propriétaire a renoncé expressément ou tacitement à l'acquisition du bien dont la décision de préemption a été annulée, le titulaire du droit de préemption propose également l'acquisition à la personne qui avait l'intention d'acquérir le bien ; qu'il était constant en l'espèce que la société VARF avait renoncé à l'acquisition que lui avait proposée la commune après l'annulation de décision de préemption, et que la commune était restée en conséquence seule propriétaire de l'immeuble dont elle devait proposer l'acquisition à la société Sofiadis, ce qu'elle avait fait, une promesse ayant été signée entre les parties ; qu'en énonçant de façon erronée et contradictoire, pour annuler la vente conclue entre la société VARF et la commune, que celle-ci était réputée ne jamais avoir été propriétaire du bien, et que la société Sofiadis avait acquis l'immeuble litigieux à la suite de la procédure prévue par l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et L. 213-11-1 du code de l'urbanisme :

13. Selon le premier de ces textes, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

14. En application du second, lorsque, après que le transfert de propriété a été effectué, la décision de préemption est annulée ou déclarée illégale par la juridiction administrative, le titulaire du droit de préemption doit proposer l'acquisition du bien en priorité aux anciens propriétaires ou à leurs ayants cause universels ou à titre universel, et, en cas de renonciation expresse ou tacite de ceux-ci à l'acquisition, à la personne qui avait l'intention d'acquérir le bien, lorsque son nom était inscrit dans la déclaration d'intention d'aliéner.

15. Il résulte de ces textes que, lorsque, après s'être acquitté de son obligation de proposer l'acquisition du bien à l'ancien propriétaire, qui y a renoncé, le titulaire du droit de préemption propose cette acquisition à l'acquéreur évincé, qui l'accepte, celui-ci n'est plus recevable à demander l'annulation de la vente conclue avec l'ancien propriétaire à compter de la date de la conclusion de la promesse de vente.

16. Pour déclarer recevable la demande de la société Sofiadis et annuler la vente conclue entre la commune et la société VARF, l'arrêt retient que, en sa qualité d'acquéreur évincé à la suite de la décision, ultérieurement annulée, de la commune d'exercer son droit de préemption sur le bien, la société Sofiadis a intérêt à agir en annulation de la vente conclue entre la commune et la société VARF et que sa demande en annulation est donc recevable.

17. L'arrêt ajoute que la vente conclue entre la société VARF et la commune en application d'une décision administrative qui a été annulée doit être elle-même déclarée nulle et que, en conséquence de cette annulation, la commune est réputée n'avoir jamais été propriétaire du bien.

18. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la société Sofiadis avait conclu une promesse de vente avec la commune, ce dont il résultait qu'elle n'était plus recevable à agir en annulation de la vente conclue entre la société VARF et cette commune, demeurée propriétaire en dépit de l'annulation de la décision de préemption, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

19. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

20. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

21. Du seul fait qu'elle a conclu, le 8 septembre 2015, une promesse de vente avec la commune, la société Sofiadis n'est plus recevable à demander l'annulation de la vente conclue le 14 décembre 2012 entre la commune et la société VARF.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare recevable la demande de la société Sofiadis et annule la vente conclue le 14 décembre 2012 entre la société Voestalpine Rotec France et la commune d'[Localité 4] portant sur l'immeuble à usage industriel et de bureaux situé à [Adresse 5], l'arrêt rendu le 16 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DÉCLARE irrecevable la demande en annulation de la vente conclue le 14 décembre 2012 formée par la société Sofiadis ;

REJETTE le pourvoi incident.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Jacques - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle -

Textes visés :

Article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 22 juin 2005, pourvoi n° 03-20.473, Bull. 2005, III, n° 142 (cassation), et les arrêts cités.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.